UNE PART MANQUANTE
Tous les jours, Jay parcourt Tokyo au volant de son taxi à la recherche de sa fille, Lily. Séparé depuis 9 ans, il n’a jamais pu obtenir sa garde. Alors qu’il a cessé d’espérer la revoir et qu’il s’apprête à rentrer en France, Lily entre dans son taxi…
Critique du film
C’est en 2018, alors qu’il accompagnait la sortie de Nos batailles au Japon accompagné de son comédien Romain Duris, que Guillaume Senez a rencontré des parents luttant pour revoir leurs enfants après une séparation. Car, au pays du Soleil Levant, la législation est bien différente de la loi française. En effet, lorsqu’un couple se sépare, le parent qui part avec le ou les enfants en récupère de facto la garde, arguant que la stabilité de l’enfant doit être assurée et qu’il serait donc préférable qu’il ne soit pas balloté entre plusieurs foyers. Bouleversé par les témoignages recueillis, le cinéaste a progressivement réalisé à quel point ce phénomène concernait autant de Japonais⸱es que d’étranger⸱e⸱s, autant d’hommes que de femmes. Une part manquante est ainsi une fiction inspirée d’une carence législative bien réelle.
Le long-métrage nous présente Jay, ancien restaurateur reconverti chauffeur de taxi par la force des choses, alors qu’il envisage de rentrer en France, prêt à baisser les bras après presque une décennie de démarches pour revoir sa fille Lily. Tandis que sa maison est mise en vente et que son nouveau projet prend forme avec l’aide de son père qui l’attend de pied ferme au pays, le quadragénaire termine sa mission de chauffeur. Résigné et prêt à faire le deuil de sa parentalité contrariée, il prend en charge une adolescente en béquilles et pense reconnaître sa fille, qu’il n’a pas vue depuis qu’elle avait 3 ans. Sidéré, il ne parvient pas à trouver les mots. Chaque jour, il va progressivement chercher à confirmer son intuition, puis à savoir ce qu’elle sait et comment elle considère ce père qu’elle ne voit plus et, potentiellement, comment revenir dans la vie de sa fille, si elle en manifeste le désir.
Si le mécanisme par lequel Jay finit par passer du temps avec sa fille peut paraître improbable, cette étrange coïncidence devient un terrain fertile pour Romain Duris, touchant dans son jeu contenu, bien obligé de dissimuler son euphorie alors qu’il scrute avec fascination le visage de sa fille dans le rétroviseur. Refréné par les règles autant que par les conventions, l’homme renait silencieusement dans le véhicule, le temps de ces quelques trajets jusqu’au collège où elle est scolarisée. Si la mise en scène se veut aérée, on ressent néanmoins ce sentiment d’amour presque étouffé par le désespoir. Sa performance est le coeur battant du film, qui emporte notre compassion sans que son personnage ne soit angélisé – il admet lui-même ses excès passés par le passé, guidé par une colère qu’il tente d’apaiser chez son amie, incarnée par Judith Chemla, avec qui il partage le même combat pour revoir son enfant.
Une part manquante est donc le récit d’une injustice, celle d’une loi qu’un regard occidental pourra percevoir comme archaïque (et qui semble être en passe d’évoluer de façon imminente), véritable obstacle aux retrouvailles entre un père et sa fille. Grâce à un scénario qui retient longtemps son émotion, au risque de laisser sur le côté quelques spectateurs impatients, le film de Senez trouve une note de lyrisme dans son dernier segment, parenthèse enchantée où Lily et Jay se retrouvent enfin, bien conscients qu’il faudra bientôt revenir à la réalité et assumer les conséquences de cette échappée.
Bande-annonce
13 novembre 2024 – De Guillaume Senez, avec Romain Duris, Judith Chemla, Mei Cirne-Masuki