UTOYA, 22 JUILLET
Le 22 juillet 2011, sur la petite île d’Utoya, à quelques kilomètres d’Oslo, un terroriste identitaire d’extrême droite attaque un camp de jeunes militants norvégiens. L’attaque dure plus d’une heure et fait plus de 70 victimes.
Droit dans les yeux.
Lorsque les mots manquent, l’image peut prendre sur elle la fonction de témoin. Après plusieurs années de recherche et un questionnement légitime sur le comment autant que le pourquoi, Utoya, 22 Juillet sort en salle. Erik Poppe reprend l’horreur des attentats norvégiens de 2011, la même année que l’américain Paul Greengrass sur Un 22 Juillet, lui disponible sur Netflix. Le calendrier et le sujet sont les derniers liens entre les deux films. Poppe choisit un parti-pris fort, celui d’un seul et long plan-séquence reprenant les 72 minutes de l’attaque en temps réel. Un procédé de petit malin avancent déjà certains : leur inquiétude est d’un même mouvement légitime et balayée. Utoya, 22 Juillet est un trésor de justesse, pour une seule et simple raison : il n’y a pas vraiment le choix.
Après quelques images d’archives des bombes explosant à Oslo, les yeux de Kaja (formidable Andrea Berntzen) fixent le spectateur. Ni elle, ni ses amis Petter (Brede Fristad) et Kristine (Ingeborg Enes), ni sa soeur Caroline (Ada Eide), ni personne d’autres des figures inconnues qu’elle croise ne se doutent de ce qui va se passer. Elle assure à sa mère, au téléphone, être dans « l’endroit le plus sûr du monde ». Le poids de la fatalité n’est jamais surligné chez ces jeunes qui sont là, au choix, pour militer, pour discuter, ou pour draguer. Ce fardeau est laissé, intégralement, à la charge du spectateur. Même au début de l’attaque, la peur n’existe pas. Plutôt, elle est remplacée par une insouciance naïve : c’est forcément un exercice. C’est forcément un test. C’est forcément autre chose. Jusqu’à ce que les premiers cadavres soient sous leurs yeux, sous les nôtres, et qu’il n’y ait plus d’autre alternative que de considérer une mort aléatoire, brutale, haineuse, au plus noir de l’iris. Utoya, 22 Juillet est une question de regard qui en pose une autre : peut-on voir sans juger ?
En se débarrassant du genre et de ces impératifs, Utoya, 22 Juillet suspend les attentes du spectateur, notamment en reléguant une grande partie du film en hors-champ. Le réalisateur norvégien place sa caméra comme un personnage invisible, rampant avec ceux qui rampent, épiant à chaque bruissement, sursautant à chaque coup de feu qui parsèment plus d’une heure la terreur. Le terroriste est loin, ou proche, ou seul, ou guidant une armée, ou vivant, ou mort. La seule certitude, c’est qu’il n’est pas le centre du sujet. Il n’est pas glorifié. Il lui est retiré la représentation – au cinéma, cela équivaut à nier une existence. Il ne mérite rien d’autre. À travers l’horreur, Poppe contrôle le récit et les enjeux de son film pour ne jamais faire sombrer la tragédie dans un spectacle. Cette idée, toute en retenue, éteint par un geste inaliénable toute possibilité de jugement. Voilà une situation impossible, impossible à vivre, impossible à jauger, impossible à raisonner. Voilà ce que ces jeunes-là, dans ce contexte là, ont fait. Point barre. Le but : montrer qu’il n’y en a parfois pas, que certains actes sont irréparables, et que les idéaux et les morales se construisent dans un autre temps, excuses pratiques pour panser et rouvrir des plaies à l’infini. Reste le temps présent. On tient son souffle, on ne tient pas ses promesses. Utoya, 22 Juillet est un réveil intransigeant envers l’empathie sans condition. Avec une conclusion macabre : l’endroit le plus sûr du monde semble éternellement destiné à n’être qu’une utopie.
La ficheUTOYA, 22 JUILLET
Réalisé par Erik Poppe
Avec Andrea Berntzen, Elli Rhiannon, Müller Osborne…
Norvège – Drame
Sortie : 12 décembre 2018 (Potemkine)
Durée : 93 min