VERS UN AVENIR RADIEUX
Giovanni, cinéaste italien renommé, s’apprête à tourner son nouveau film. Mais entre son couple en crise, son producteur français au bord de la faillite et sa fille qui le délaisse, tout semble jouer contre lui ! Toujours sur la corde raide, Giovanni va devoir repenser sa manière de faire s’il veut mener tout son petit monde vers un avenir radieux.
CRITIQUE DU FILM
Un réalisateur prépare son nouveau film, son couple est en crise et tout est excuse à mettre sur le grill la propre œuvre du cinéaste qui se filme. On est chez Moretti comme on est chez Hong Sangsoo, dans des figures simples et évidentes où on règle d’une certaine manière des comptes avec soi-même et aussi avec le monde du cinéma, auquel il contribue depuis près d’un demi-siècle. Si Tre Piani était un pas de coté assez différent du reste de l’oeuvre du cinéaste italien, ce Vers un avenir radieux se situe dans un contexte plus familier, avec Moretti au centre de la caméra, les yeux exaltés, le verbe haut et les situations ubuesques qui parlent d’elles-mêmes. Nanni est Giovanni, ou bien est-ce l’inverse ? Développant un nouveau film sur fond de parti communiste italien, rarement un film n’aura autant sonné comme le testament d’une œuvre, convoquant les obsessions et les acteurs, actrices, qui l’ont accompagnés toute sa vie d’artiste.
C’est le premier constat, l’humour est de retour, avec la conception de scènes burlesques où Giovanni épuise son monde. S’il parle très lentement, jusqu’à la caricature, il n’arrête pas une seule seconde de proposer sa vision des choses, que cela soit sur le tournage de son film, sur celui d’un autre jeune loup produit par sa femme, ou bien face à n’importe quel interlocuteur qui a le malheur de se présenter devant lui. Face aux critiques qui lui diraient de privilégier telle piste ou telle direction, il répond simplement, « ce que je fais est à l’exact opposé ». Dans cette réplique assénée à une actrice trop sûre de la direction à donner à son personnage, Moretti acteur/auteur réaffirme la primauté de sa vision, sans jamais se déparer de son humour. Quand il se retrouve simple spectateur d’un film d’action violent, il menace d’appeler Martin Scorsese en personne pour justifier de la dérive du cinéma, interrompant la dernière scène du film, devenant l’obstacle à la bonne marche d’un cinéma commercial qu’il exècre.
Plus drôle encore, un rendez-vous avec des exécutifs de Netflix, pour espérer sauver le financement des dernières semaines de tournage, empêchées par la faillite du producteur français (Mathieu Amalric). Giovanni se prête au jeu de mauvaise volonté et se retrouve dans une scène ubuesque, où la seule préoccupation des financiers américains est l’aspect international de leur catalogue, qui nécessite des ajustements dans le scénario du maître italien jugé trop compliqué. Que ce soit sur le plateau du jeune poulain de son épouse ou dans ce rocambolesque entretien, c’est toute la gouaille du réalisateur de La Chambre du fils qui s’exprime en réaction à une tendance de fond du cinéma international, tournant en dérision les exigences de rentabilité face à son envie de rester en phase avec sa méthode de travail, invariable et inchangée depuis ses premiers films.
Giovanni est décrit comme épuisant, on ose peu le contredire, sa femme n’ose pas le quitter, et sa fille le tient à distance de son travail de compositrice. Malgré tout, c’est dans une joie de vivre incroyable que se boucle cette métaphore du métier de cinéaste, les difficultés étant écartées d’un revers de la main pour ne laisser place qu’à la beauté du moment partagé, dans une farandole où l’on retrouve tous les visages qui ont fait la grandeur et la variété du cinéma de Nanni Moretti. Loin de la mosaïque factice de célébrités d’un Wes Anderson, ce sont des personnalités importantes des grands films de l’italien qui reviennent une dernière fois pour célébrer un art de vivre et de jouer, qui prend la métaphore de la troupe circassienne revenue pour saluer le public. On pourrait croire à un adieu tant il semble évident que tous et toutes sont rassemblées pour une même raison, s’aimer une dernière fois devant le regard qui a en partie fait leur renommée, dans une société d’acteurs et d’actrices où le bien commun est tout.
Bande-annonce
28 juin 2023 – De Nanni Moretti, avec Nanni Moretti, Margherita Buy, Silvio Orlando