WALK-UP
Byungsoo, un réalisateur célèbre, accompagne sa fille chez une amie de longue date, propriétaire d’un immeuble à Gangnam. La visite des lieux entraîne pour Byungsoo un voyage hors du temps où se dessinent, à chaque étage, ses amours passés et à venir.
Critique du film
L’excitation de découvrir une nouveau film d’Hong Sangsoo est toujours palpable quand vient le temps de sa nouvelle proposition saisonnière, comme un fruit tant attendu de nouveau proposé comme chaque année. Cet hiver, c’est avec Walk-Up que le maître coréen revient, plaçant au cœur de sa proposition un immeuble séouliote. Ce n’est pas une surprise de retrouver dans le rôle principal Kwon Haeyo, fidèle du cinéaste, présent dans presque chacun de ses films, si bien qu’il est devenu au fil du temps son double de cinéma. Si l’on sait que Hong Sangsoo n’intellectualise pas ses longs-métrages, étant plus dans l’instinct que dans la théorie, il met souvent à l’honneur une idée de mise en scène, se laissant emporter par ses possibilités.
L’immeuble est ici le mille-feuilles qui va lui permettre d’exprimer son propos, jouant avec les personnages, leur faisant revêtir divers rôles, d’étage en étage, pour raconter la vie de ce petit ensemble composé d’un restaurant et de quelques appartements. Les premières scènes sont dans la tradition du réalisateur de La romancière, le film et le heureux hasard, des personnages rassemblés autour d’une table de restaurant, de l’alcool, et des conversations somme toute banales. On y parle de ses projets, notamment ceux de la fille du réalisateur, et, de fil en aiguille, se met en place un drôle de ballet, où chacun va coulisser pour proposer quelque chose de différent de lui-même, ceci grâce à la géographie du lieu et ses étages.
Sur le prétexte d’aller chercher à boire, une sortie de la fille de Byungsoo, l’histoire mute, et la caméra investit chaque étage. Byungsoo change de vie, abandonne le cinéma, se met en couple avec la restauratrice du 1er étage, puis se retrouve sur la petite terrasse aperçue au début du film, et change encore de chemin affectif et professionnel. Cette histoire fleure bon le Building Stories de Chris Ware, chef d’oeuvre de bande dessinée américaine, qui découpait un immeuble et racontait par tranches ces petites histoires du quotidien. Le fil est difficile à comprendre en premier lieu, il y a quelque chose de déroutant dans la manière qu’a l’histoire de passer d’un récit à un autre, mais assez vite, on comprend qu’à la manière de Hill of Freedom, où la narration épousait les courriers des personnages, Hong Sangsoo rythme son histoire par le biais d’un artifice astucieux.
Là où ses précédents films étaient hantés par la mort, on pense notamment à Hotel by the River, Walk-up, dans son thème même d’élévation de la pensée, regorge de vie et de possibilités. Dans son style si particulier, dans une économie de moyens rare, Hong Sangsoo se permet de suivre son postulat jusqu’au bout, clôturant comme il l’avait commencé, dans une boucle harmonieuse où l’on retrouve la situation initiale, dans un mouvement magnifique de la caméra, comme s’il ne s’était rien passé d’autre que quelques instants. C’est tout simplement un songe, fugace et délicat, que raconte HSS, une toute petite phrase qu’il a pris le soin de raconter dans un langage purement cinématographique.
Cette liberté de ton, pouvoir raconter le film qu’il souhaite sans aucune pression liée au financement, est possible grâce à une structure de production réduite à quelques personnes, dont Kim Minhee, aujourd’hui moins actrice que collaboratrice, notamment à la production. Cette équipe minuscule et le peu de moyens nécessaires pour mettre en branle chaque projet, est ce qui a rendu possible cette trentaine de long-métrages, chiffre conséquent et qui ne semble pas prêt de s’arrêter. Un autre film est d’ores et déjà prévu pour juillet, intitulé De nos Jours, et un autre sera en compétition à la Berlinale dans quelques jours. A ce rythme, nos saisons ne risquent pas de manquer de nouveaux Hong Sangsoo.
Bande-annonce
21 février 2024 – De Hong Sangsoo, avec Hae-hyo Kwon, Hye-Young Lee, Mi-so Park