WATCHER
Julia et son mari d’origine roumaine quittent les États-Unis pour emménager à Bucarest, où ce dernier a trouvé un nouvel emploi. Ayant tiré récemment un trait sur sa carrière de comédienne, Julia se retrouve souvent seule dans son grand appartement et essaye de s’occuper comme elle peut. Une nuit, en scrutant par la fenêtre l’immeuble d’en face, elle aperçoit une silhouette qui semble la regarder en retour…
Critique du film
Dans son prologue, Watcher nous fait découvrir une jeune actrice étasunienne n’ayant pas réussi à percer, fraichement débarquée en Roumanie avec son époux, qui vient d’y être nommé pour une nouvelle mission de marketing. Tandis qu’il part travailler chaque jour, Julia tente de prendre ses marques dans cette nouvelle vie d’expatriée, profitant tant bien que mal du grand appartement de fonction mis à leur disposition. Ce dernier, spacieux et confortable, souffre néanmoins d’un inconvénient : son vis-à-vis. Encore en jetlag, la jeune américaine a du mal à dormir paisiblement et, lorsqu’elle se lève en pleine nuit, découvre que leur voisin d’en face semble les observer, avec une inquiétante insistance.
Quelques jours à découvrir Bucarest ne suffisent pas à apaiser ses difficultés d’adaptation, même si elle s’efforce de s’en donner les moyens en essayant d’apprendre quelques bases de Roumain. Pensant s’offrir une escapade rassurante en allant voir Charade dans un vieux cinéma de quartier, elle est approchée par un autre spectateur qui, même s’il demeure mutique et immobile, la déstabilise, au point de quitter la séance précocément pour se réfugier dans la supérette voisine. Quelle n’est pas sa stupeur lorsqu’elle constate, quelques minutes plus tard, que l’individu se trouve également dans le rayon voisin. L’a-t-il suivi ? Est-il en train de l’épier ou se fait-elle des idées ?
Il faut dire que l’actualité de Bucarest n’aide pas la jeune femme à se détendre : un tueur en série, surnommé L’araignée, a déjà fait quatre victimes – toutes des femmes d’un âge proche du sien. L’observation tenace de son voisin d’en face perdurant, elle ressent le besoin d’en parler à son mari qui l’accompagne le lendemain au supermarché pour visionner l’enregistrement de vidéosurveillance – mais rien n’indique ostensiblement qu’elle a bien affaire à un stalker.
Pour son premier long-métrage, inspiré de son expérience d’expatriée lors de son adolescence, Chloe Okuno embrasse ses références (la trilogie des appartements de Polanski, David Fincher et, bien sûr, Fenêtre sur cour, mais également le Perfect blue de Satoshi Kon) et signe un thriller paranoïaque soigné, dont le suspens croit lentement mais sûrement pour faire monter la tension et l’inconfort. Suivant le point de vue de Julia, Watcher joue habilement avec le doute tel un venin envahissant l’esprit de la protagoniste comme du spectateur, avec un regard féminin (et quelques éléments de sororité) bienvenu.
Le sound design et le montage mettent efficacement en relief, entre silences et bruits environnants, l’isolation et le repli sur soi de Julia. Le film exploite l’architecture singulière de Bucarest, mélange de tradition soviétique et de modernité presque parisienne, offrant un cadre idéal à ce slow burn efficace et déstabilisant. Porté par la prestation convaincante de Maika Monroe, révélée par It follows (précédemment salué à Deauville), cet élégant thriller, en dépit de quelques séquences routinières, s’impose comme la première satisfaction de cette nouvelle édition du festival normand.
3 février 2023 (VOD) – De Chloe Okuno, avec Maika Monroe, Karl Glusman