WENDELL ET WILD
L’histoire de deux frères démons, Wendell et Wild, qui demandent à Kat Elliot, une ado difficile rongée par la culpabilité, de les aider à rejoindre le monde des vivants. Mais ce que Kat souhaite obtenir en retour les propulse dans une aventure aussi étrange que comique, une épopée fantastique qui défie les lois de la vie et de la mort, le tout raconté grâce à la créativité manuelle du stop-motion.
Critique du film
Treize longues années après Coraline et plusieurs projets mis en pause ou annulés, Henry Selick, l’une des dernières grandes figures de l’animation en stop-motion, est enfin parvenu à mener à terme un nouveau long-métrage. L’appui du duo comique Jordan Peele et Keegan-Michael Key à l’écriture du scénario n’est certainement pas étranger à cet aboutissement, tout comme la reprise du projet par Netflix, toujours enclin à financer des grands noms du cinéma contre une diffusion exclusive. Le nouveau représentant de l’univers gentiment macabre de Selick arrive à point nommé pour les célébrations de fin octobre, mais tente tout de même de dépasser la petite case du « classique d’Halloween instantané » que lui a réservé la plate-forme. Jusqu’à peut-être proposer trop de choses pour son bien.
Si les précédentes histoires racontées par le cinéastes brillaient par la profondeur et la justesse de leurs thématiques, elles se caractérisaient aussi par la simplicité de leur narration empruntée du conte. Le scénario de Wendell et Wild, par comparaison, est trop dense pour tenir sur une heure quarante-cinq. Un élagage aurait été nécessaire, quitte à retirer un ou deux personnages de l’ensemble. Le film multiplie en effet les pistes et les intrigues (le deuil des parents, la réinsertion dans une école catholique, la découverte des pouvoirs de « fille de l’Enfer ») avant même que le propos ait réellement démarré, tout en adoptant un rythme soutenu où tout doit se répondre du tac au tac. Chaque élément introduit trouve ainsi un écho à un autre moment de l’histoire, sur le mode du « fusil de Tchekov ». Cette construction contribue malheureusement à la fatigue du spectateur plus qu’à la bonne tenue du récit : les solutions que long-métrage sort régulièrement de son chapeau finissent par ressembler à des deux ex machina paresseux (l’importance du projet d’arts plastiques de l’un des élèves en fin de film) qui dissimulent, avec le recul, quelques gros hasards jamais vraiment expliqués.
Par ailleurs, Wendell et Wild s’inscrit dans la veine d’un certain divertissement hollywoodien des années 1980 et 1990, ce qui se révèle étrangement agréable. Le stéréotype des personnages qui œuvrent pour sauver la ville d’une menace cachée, tout comme certaines représentations un peu kitsch du surnaturel (on pense aux yeux verts fluo des démons), n’avaient pas été vus depuis longtemps. Sans doute est-ce dû à la forte parenté avec le cinéma de Tim Burton, le long-métrage puisant allègrement dans les souvenirs de Beetlejuice (le couple noyé suite à un accident de voiture, le côté déformé des personnages) et des Noces funèbres (la division entre le monde des vivants et celui des morts, et le chamboulement quand ils se retrouvent mélangés) pour composer son intrigue. Il est difficile de cautionner cette posture, renvoyant dos-à-dos la très bonne tenue globale de Wendell et Wild, et ses inspirations assez figées, qui n’aideront pas le grand public à dissocier le travail de Burton de celui de Selick, toujours dans l’ombre de son collègue.
La question se pose douloureusement au cours du visionnage, malgré certaines qualités évidentes du film : qu’est-ce qui rend Wendell et Wild actuel, au regard du parcours d’Henry Selick et du monde de l’animation en général ? Il y a bien une certaine inclusivité dans la représentation des personnages, en accord avec la ligne éditoriale de Netflix, mais qui n’influe en rien les propositions esthétiques du long-métrage, ni son économie narrative. Il y a aussi l’écriture d’une partie des dialogues par le duo Key et Peel, qui les charge d’une certaine verve mais qui n’irrigue pas tout le script au point de changer la face du film. Reste la prouesse technique pure, l’animation jamais mise en défaut malgré les difficultés du stop-motion – les mouvements involontaires des vêtements ici gommés, le travail des fluides et des volutes de fumée déjà impressionnants dans Coraline.
On s’y raccroche tant bien que mal, le réalisateur et son équipe modulant leur travail d’orfèvre en réponse au scénario toujours dense et rythmé. Le seul moment de lâcher-prise est ce passage en deux dimensions où le personnage principal affronte ses peurs projetées sur un mur comme un théâtre d’ombres. Plutôt que de multiplier les couches d’intrigues, Wendell et Wild aurait mérité une incarnation plus nette et poussée des thématiques explorées, pour dépasser ce qu’il est en fin de course : une œuvre plaisante et faite avec esprit, mais une étape en demi-teinte dans la carrière de Selick, celle du regard en arrière plutôt que de l’exploration de nouveaux territoires.
Bande-annonce
28 octobre 2022 (Netflix) – De Henry Selick, avec Keegan Michael Kay, Jordan Peele et Lyric Ross.