WHITE BIRD
Kat Connors a 17 ans lorsque sa mère disparaît sans laisser de trace. Alors qu’elle découvre au même moment sa sexualité, Kat semble à peine troublée par cette absence et ne paraît pas en vouloir à son père, un homme effacé. Mais peu à peu, ses nuits peuplées de rêves vont l’affecter profondément et l’amener à s’interroger sur elle-même et sur les raisons véritables de la disparition de sa mère…
Culte pop
Le cas d’école Gregg Araki. Plus grand des « petits » cinéastes indés, dont la notoriété ne repose que sur des œuvres qui trouvent leur public avec le temps, jamais instantanément. On découvre Araki presque par hasard, au détour d’un télé-film pourri du dimanche soir, ou au fond d’une caisse poussiéreuse dans la cave de ses parents (divorcés), entre deux films de giallo mal gravés et quelques classiques de jeunesse (Maman, j’ai rétréci les gosses, Jurassic Park et autres Hook, Forrest Gump…). Un peu à l’instar de Larry Clark ou des artistes de la Nouvelle Vague, Gregg Araki reste un outsider. Le cinéaste américano-japonais, connu donc dans un petit cercle sérré pour ses films à la fois osés, loufoques mais touchants (Totally F***ed Up, Nowhere, Mysterious Skin et Kaboom en tête), aime aussi se faire désirer.
D’ailleurs, son dernier long-métrage, dont il est question ici, White Bird in a Blizzard, adaptation libre d’un roman de Laura Kasischke, est déjà sorti en 2014. Depuis, outre la réalisation de quelques épisodes de séries et le lancement de son propre programme (Now Apocalypse, totalement perché), Araki n’est plus revenu sur grand écran, à notre grand désarroi.
C’est dire, White Bird a été un four au box-office. Pourtant, le film respectait à la lettre le cahier des charges du réalisateur : alignant l’imagerie, l’esthétique et les thèmes qu’il aimait précédemment aborder. « Aimer » ? Trop peu représentatif de cette véritable passion qu’il défend depuis presque vingt ans. Son cinéma est inventif, jeune, coloré, brûlant, sensuel… En d’autres termes, ses films se rythment au fil des nombreuses musiques qu’il pioche pour les illustrer : de la pop nostalgique qui n’a pas d’âge au rock débridé (The Cure, Cocteau Twins, Soft Cell et Depeche Mode en tête). Une musique éternelle pour un cinéma intemporel ?
Pas si sûr… Ses premiers films, bien que sincères et tous aussi passionnants – qui traitent d’une jeunesse débridée et en quête d’une identité, d’un but – se tarissent un peu avec le temps. White Bird, cependant, reste fidèle à notre époque et ouvre le champ des possibles quant à l’avenir du monsieur au cinéma. La photographie de Sandra Valde-Hansen est sublime, léchée ; le montage habile et aiguisé (pour preuve, Araki le supervise lui-même). L’histoire, de son côté, se déploie de manière éthérée entre flash-back et clip shows mis en scène avec classe.
Araki est un amoureux de l’image, qui travaille ses plans comme s’il était dans la tête de ses protagonistes. Ici, Kate (interprétée par Shailene Woodley, son meilleur rôle) qui tente vainement de trouver une explication à la disparition soudaine de sa mère (Eva Green, hypnotisante et fantomatique). Dans ses rêves, Kate voit sa génitrice pétrifiée, ses yeux renferment un secret que même la mort ne pourra garder.
Au fond, même si White Bird se construit comme un (faux) teen movie reposant grandement sur l’esthétique, la trame laisse jaillir des idées inédites pour l’auteur. On pense à la relation mère-fille, la toxicité masculine, la violence conjugale et surtout, la vie de famille en pleine banlieue américaine, où le patriarcat est sans cesse remis en question (à raison). Et puis Araki donne à son film des allures de thriller pop sous hallucinogène, nous menant jusqu’au bout par la main pour finalement nous lâcher, patatras, dans un final ahurissant mais logique, absurde mais satisfaisant.
Sans doute, White Bird est à ce jour son film le plus abouti, mais aussi le plus accessible – aux côtés du bouleversant Mysterious Skin. Malheureusement, il demeure aussi tout à fait méconnu du grand public. Gregg Araki ne changera jamais : il reste un éternel adolescent fan de bonne musique et de visuels. Un peu comme chez Dolan, ou dans C.R.A.Z.Y de Jean-Marc Vallée, la forme et le fond se déterminent ensemble et partent en une valse fascinante. Si l’avenir du cinéma d’Araki réside dans des boites en carton destinés aux brocantes, qu’il en soit ainsi. En fait, c’est une bénédiction pour une malédiction.
Ces œuvres, parfois incomplètes, imparfaites mais jamais dénuées de sens et d’intérêt, voyagent, fonctionnent au bouche-à-oreilles. Se laissent visionner, comme on l’écrivait plus haut, souvent pas hasard. Chez un voisin, un ami, une famille inconnue à l’autre bout de la ville, du continent. Voilà comme Gregg Araki construit sa propre légende, dans les placards d’un temps passé, post-punk et révolutionnaire. Un temps qu’on aime, indéniablement, retrouver et apprécier à sa juste valeur.