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DARK CRYSTAL | Pouvoir de la force et Arbre de Vie

Voici donc la seconde partie de notre dossier thématique (dont la première partie, à lire absolument, se trouve ici) consacré aux origines mystiques et culturelles de la saga Dark Crystal. Au programme : les liens du film et de la série avec la saga Star Wars, mais aussi leurs possibles représentations kabbalistiques des lois de l’univers…

La force, Thra, même combat

Star Wars et Dark Crystal tissent de nombreux liens entre eux : un monde régit par une « force » présente dans toute chose (connectant l’ensemble des êtres entre eux), des « méchants » obnubilés par le pouvoir de cette force, un héros chargé de remettre un monde à l’équilibre alors qu’il est en proie à un Ordre mortifère (L’Empire, le Premier Ordre, les Skeksis), autant de points de convergences entre les oeuvres de deux créateurs qui se connaissent et s’estiment.

Soulignons tout d’abord que Jim Henson a participé à l’élaboration du personnage de Yoda pour L’Empire contre-attaque (il a suggéré à Gary Kurtz, futur producteur de Dark Crystal, et à George Lucas d’engager Frank Oz pour « incarner » le personnage). Les trois films de la première trilogie ont d’ailleurs tous été tournés (du moins en partie) aux Elstrees Studios, dont Jim Henson est un habitué, les épisodes du Muppet Show y étant tournés depuis 1976. C’est également là-bas qu’Henson tournera Dark Crystal et Labyrinthe (dont George Lucas sera le producteur exécutif).

Comme deux incarnations d’une même force, les saga Star Wars et Dark Crystal se répondent encore aujourd’hui, avec notamment le dernier volet de la saga, Les Derniers Jedi, réalisé par Rian Johnson. Le thème de la dualité, essentiel dans Star Wars, y est cette fois-ci représenté au travers d’une relation entre deux personnages (et non plus au travers d’un seul Skywalker) :  Rey et Kylo Ren. L’un comme l’autre cherchent l’équilibre, prisonniers d’un passé qui leur reste obscur (Rey), ou bien qu’ils connaissent beaucoup trop (Kylo Ren). L’enjeu de leur unité est au coeur de l’épisode huit, et fait clairement écho à celui de la réunification des urRus et des skeksis dans Dark Crystal. Le point acmé de ce « rêvaillement » (« dreamfasting ») entre les deux univers, c’est la fameuse image où Rey et Kylo Ren sont sur le point de se toucher du bout des doigts, après avoir établi une connexion spirituelle rappelant le fameux pouvoir des Gelflings. Enfin, avec Age of Resistance, on nous rappelle dès les premières minutes que Thra est un monde, mais aussi une planète (à laquelle Luke Skywalker n’est pas étranger, son interprète, Mark Hamill, prêtant sa voix à skekTek, le skeksis savant) ! D’accord, les trois soleils ne correspondent pas aux deux astres de Tatooine. Mais l’univers est grand, et ces récits ont eu lieu « a long time ago, in a galaxy far far away », « in another world, another time, in the age of Wonder ».

Dans Star Wars comme dans Dark Crystal, le « voyage du héros » permet d‘invoquer des archétypes qui mettre en scène un enjeu spirituel assez passionnant : la quête de la plénitude de l’être (et des êtres entre eux), laquelle passe nécessairement par l’acceptation du caractère oxymoronique (adjectif dérivé du nom « oxymore », figure consistant à rapprocher deux termes de sens incompatibles) de la vie et du cosmos, dont le « Dark Crystal » est l’incarnation la plus puissante. Cela ne relève pas du manichéisme, dans l’acceptation chrétienne du terme. Car comme le dit Aughra dans Age of Resistance, chacun a un rôle à jouer. Même les skeksis, dont la peur viscérale de la mort les rend plus « humains » que toutes les autres créatures de Thra…

 

Jim Henson et George Lucas sur le tournage de Labyrinthe (1986)

Pour avoir les images sous les yeux, consultez donc cette vidéo assez édifiante sur les liens unissant les deux univers.

L’Arbre de Vie

J’aimerais faire un ultime détour mystique, en m’arrêtant cette fois-ci au pied de Vliste-Staba, l’Arbre Sanctuaire, perché au sommet des Montagnes de Grot. Si Aughra est l’incarnation animée (Anima Mundi ?) de Thra, Vliste-Staba en est le catalyseur « inanimé ». Annonceur de prophéties et capteur de l’Obscurcissement (« The Darkening ») menaçant Thra, l’Arbre Sanctuaire pourrait être vu comme un nouveau symbole, partition clairvoyante d’un monde menacé par un grand Déséquilibre. Tel l’Arbre de Vie de la kabbale, Vliste-Staba serait l’incarnation symbolique des lois de l’Univers. Poussons donc un peu plus loin la comparaison. Dans la kabbale, cette tradition ésotérique issue du judaïsme consistant à chercher le sens secret des principes régissant l’univers et l’existence, l’Arbre de vie est composé de dix Sephiroth (qui sont les puissances créatrices du monde), traçant entre elles vingt-deux chemins différents. Il y la Couronne (« Kether »), la Sagesse (« Chokhmah »), la Compréhension (« Binah »), la Miséricorde (« Chesed »), la Force (« Geburah »), la Beauté (« Tiphareth »), la Victoire (« Netzach »), la Gloire (« Hod »), la Fondation (« Yesod »), et enfin le Royaume (« Malkuth »). Les Sephiroth sont, au sein du monde fini, la manifestation du Pouvoir Suprême infini, le « En Sof ». « En Sof » est un principe primordial, inconnu car caché, à l’origine de toutes choses. Le Pouvoir dans toute sa pureté. 

L’Arbre de Vie

L’Arbre Sanctuaire (Age of Resistance)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous me voyez venir ? Car si on fait le compte, il y a bien dix Skeksis, comme il y a bien dix Sephiroth : skekSil (le chambellan), skekLach (le percepteur), skekSo (l’empereur), skekVar (le général), skekAyuk (le gourmand), skekMal (le chasseur), skektEkt (l’ornementaliste), skekZok (le grand prêtre), skeTek (le savant), et skekOk (le gardien des parchemins). Ah non, attendez ! Il en manque un : skekGra, dit l’hérétique. Bon, du coup ça ne colle plus avec mes dix Sephiroth. L’autre problème, c’est qu’à la fin de la première saison (qui est pour rappel une prequelle du film), les comptes ne sont plus les mêmes, puisque le chasseur, le général et le percepteur sont tués. Or, au début du film de 82, les skeksis sont bien dix (bientôt neuf, car l’empereur n’est vraiment pas au top). Contre-sens scénaristique ? Ou bien devons-nous prendre notre mal en patience avec une possible saison deux ? Et de toute façon, même si l’on ne part que du film, l’équation « Sephiroth = skeksis » ne colle pas, car ce serait oublier les urRus mystiques, pendants spirituels des skeksis. 

Or, plusieurs occultistes et cabalistes, parmi lesquels Aleister Crowley, ont proposé l’idée que chaque Sephira serait placé sous l’autorité conjointe d’un archange et d’un démon. Autrement dit : 10 Sephiroth = 10 archanges (10 urRus) + 10 démons (10 Skeksis). Ces entités ne sont pas le « en sof » (l’Être infini, dont Thra est une représentation plausible), ils n’en sont que ses puissances constitutives, qui, au travers de Da’ath, le « onzième sephira » camouflé derrière les branches de l’Arbre de vie, engendrent le monde. Da’ath, c’est la porte par laquelle le monde se réalise. Il est la connaissance, mais pas forcément la sagesse nécessaire à son propre usage. Il ressemble tellement au Cristal de Vérité, à la fois lumineux canal d’énergie et terrifiante source d’Obscurcissement…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Neuf et un qui font bien dix

 

Chaque individu aurait en lui une portion de tous les Sephiroth, qui sont autant de parts d’ombres et de lumières que n’en suggéraient Jane Roberts. Comme elle, l’Arbre de vie propose de symboliser les liens paradoxaux qui nous unissent (avec nous même, avec les autres), et dont l’acceptation serait la source de l’accomplissement du « Soi », mais aussi et surtout, du « Nous ».

 

Quand on redevient « Soi »

 

La suite et fin de notre dossier sera publiée demain sur Le Bleu du Miroir