DICTIONNAIRE ENCHANTÉ DE LA MUSIQUE AU CINÉMA
Que serait le septième art sans la musique ? Des mariages légendaires entre cinéastes et compositeurs (Hitchcock et Herrmann, Leone et Morricone) aux chansons de Christophe et David Bowie, du cinéma de Clint Eastwood à celui d’Yves Boisset, en passant par les œuvres de Georges Delerue et Burt Bacharach, ce dictionnaire aborde le sujet sous tous les angles.
CRITIQUE DU LIVRE
Dégustation ! Tel est le mot qui s’impose à la lecture du premier tome de ce « dictionnaire enchanté » de la musique de film dont nous gratifie Thierry Jousse. Ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, réalisateur de films, animateur d’émissions de radio dédiées à la musique au cinéma (en ce moment Ciné Tempo sur France Musique), animateur de la version musicale de l’excellent web magazine Blow Up, déjà auteur de plusieurs livres (consacrés notamment à David Lynch et John Cassavetes), il manquait une corde à un arc déjà bien fourni : un ouvrage consacré spécifiquement à la musique sur grand écran. C’est désormais chose faite avec ce tome 1, qui sera complété l’année prochaine par deux autres tomes.
Déguster : apprécier une œuvre avec intensité. C’est ce qu’il nous propose en passant en revue certaines bandes-originales du cinéma sous un prisme éminemment subjectif. Le but n’est pas du tout de viser l’exhaustivité, ni de construire un hypothétique classement des meilleures musiques de cinéma. Du tout. Et bien au contraire. À cette habitude parfois pénible de tout classer, qui nous vient en grande partie des Anglo-Saxons, l’auteur préfère musarder, chiner dans ses souvenirs pour en tirer des expériences musicales de cinéma qui l’ont marqué et sur lesquelles il revient brièvement certes, mais toujours en allant à l’essentiel et avec un art de la concision qui fait merveille.
Les néophytes feront le plein de découvertes passionnantes. Ceux qui aiment déjà la musique de film se régaleront à parcourir ces pages qui couvrent les lettres de A à F, de L’Affaire Thomas Crown (1968), film dans lequel la musique de Michel Legrand est fondamentale, à William Friedkin, dont les mésaventures musicales sur L’Exorciste (1973) font l’objet d’un rappel opportun. C’est un livre qui se lit d’une main, l’autre accrochée au téléphone portable pour découvrir sur un service de streaming les musiques évoquées (elles ne sont pas toutes présentes, mais en bonne partie). Notons notamment les pages consacrées à Vladimir Cosma qui permettent d’exhumer quelques pépites oubliées, dont les BO des films L’Affaire Crazy Capo et Maldonne.
SAUVETAGE
Comme le souligne justement l’auteur, certains films ont été sauvés d’un oubli total grâce à leur musique. On sait que c’est souvent le cas dans la discographie d’un monstre sacré comme Ennio Morricone (430 BO au compteur), on le sait moins avec d’autres compositeurs moins connus, comme les Anglais John Dankworth ou Roy Budd qui méritent d’être redécouverts. Adoptant une démarche d’historien, l’auteur cherche avant tout à mettre en avant des compositeurs qu’il aime et qui sont sous-estimés, dans le but de corriger certaines injustices.
Thierry Jousse n’a pas écrit un dictionnaire critique, il n’y a ici aucune velléité de régler des comptes, de lancer des polémiques ou d’établir des hiérarchies, mais uniquement une envie de partager ses coups de cœur et ses chocs de cinéphile. Le récit à la première personne crée une empathie avec le lecteur et se révèle un gage troublant de sincérité. Il met en avant ses goûts, éminemment subjectifs, mais éminemment précieux, car ils émanent d’un amoureux du cinéma et de la musique qui a (presque) tout vu et qui connaît son sujet sur le bout des doigts.
Thierry Jousse a compris l’importance de la transmission de la connaissance de la musique de film : laisser une trace écrite pour les générations futures. Sa démarche s’inscrit dans la lignée d’une forme de reconnaissance pour cet art qui, depuis maintenant quelques années, est de plus en plus honoré et considéré. La musique de film est enfin envisagée comme un élément de la mise en scène en tant quel, et plus seulement comme un élément extérieur, voire futile.
Qu’il ait décidé de partager sa passion avec nous ses lecteurs est une initiative qui vaut le détour, en attendant avec impatience la suite, ainsi qu’un beau livre illustré sur le sujet qui sortira fin octobre 2022.
Par Thierry Jousse, éditions Marest, sortie le 25/08/22
NB : pour les Parisiens, une rencontre avec l’auteur aura lieu à la boutique Potemkine le mardi 14 septembre à 18h30.
