REALITE VIRTUELLE | Vers un cinéma du futur ?
Octobre 2017. Alejandro González Iñarritu reçoit un Oscar spécial pour son court-métrage Carne Y Arena, en réalité virtuelle. Après Netflix à Cannes, les grandes institutions cinématographiques célèbrent de nouvelles façons de faire le cinéma. Certains hurlent déjà à la mort de la salle obscure. La réalité virtuelle n’avait jusqu’alors rien de sérieux : l’objet futuriste de pur divertissement que l’on pouvait voir dans un Retour Vers Le Futur 2 est désormais reconnu pour son fort potentiel artistique. On assiste alors inconsciemment à l’aube d’un renouveau du cinéma, d’une nouvelle façon de voir, de percevoir et de penser l’image. Avec elle apparaissent de nombreuses questions sur sa conception globale. La comparaison avec un cinéma plus traditionnel est inévitable, mais paraît peu pertinente, tant ce sont deux médiums différents. Mais le cinéma en VR n’est pas régi par des codes. Il existe au gré des expérimentations. En découle alors des questionnements plus profonds sur ce qui caractérise l’art cinématographique : comment la VR peut-elle transcender son statut de gadget technologique pour s’inscrire comme un medium de cinéma à part entière ?
Si à l’heure qu’il est, les casques de VR ne permettent qu’une immersion visuelle et sonore, il est déjà question dans un futur proche de développer d’autres sens, que ce soit le toucher, l’odorat voir même le mouvement physique réel
Nous sommes peut-être les témoins d’une révolution cinématographique : encore faut-il que cette révolution prenne vie. La réalité virtuelle n’en est encore qu’à ses balbutiements. Il est encore difficile à l’heure actuelle de prédire son futur, mais l’on peut déjà affirmer que son présent est véritablement passionnant. On assiste à une démocratisation progressive de la réalité virtuelle. Depuis 2014, les casques de VR sont de plus en plus accessibles sur le marché, impliquant un développement de son contenu.
La VR apporte un renouveau dans la perception de l’image. Un concept particulièrement tangible dans l’univers vidéoludique, où l’on devient véritablement acteur de l’action. On n’assiste plus à un spectacle, mais on le ressent. Un concept particulièrement attrayant dans le jeu vidéo. Le point de vue homodiégétique, où le joueur incarne directement un personnage, permet une immersion quasi-totale dans un monde fictif. Elle permet alors l’ouverture d’un univers à 360°, qui implique le mouvement corporel. Si à l’heure qu’il est, les casques de VR ne permettent qu’une immersion visuelle et sonore, il est déjà question dans un futur proche de développer d’autres sens, que ce soit le toucher, l’odorat voir même le mouvement physique réel, qui viserait à créer une réalité quasi totale. Car nos sens ne trompent pas. Ainsi, la réalité virtuelle est un formidable outil de narration, qui, si elle est pertinente pour le divertissement, peut s’élargir à un univers cinématographique.
Retour vers le passé
Faire du cinéma en VR implique ce fabuleux retour en arrière, puisqu’il faut recommencer à partir de rien. C’est retrouver l’excitation de devoir réapprendre à faire du cinéma et de devoir retrouver cette humilité face à l’inconnu. Le matériel est inexistant, il faut à nouveau tout créer. Le défi est alors de créer une véritable profondeur dans l’image. Si le cinéma traditionnel est codifié, la VR ne possède aucune norme pour l’instant. C’est au gré d’expérimentations que le réalisateur parvient à créer cet effet 360°. Faire de la VR, c’est comme travailler sur pellicule. Le réalisateur tourne souvent à l’aveugle, sans savoir à l’avance le rendu final. Davantage de contraintes, pour davantage d’efforts. Travailler avec la VR, c’est aussi repenser les besoins techniques et devoir développer de nouvelles caméras adaptées à la prise de vue en 360°. Il faudra donc encore attendre quelques années pour pouvoir juger réellement du rendu visuel. Il existe une multitude de courts-métrages, que ce soit dans les festivals, et la VR et un facteur commun en ressort : la qualité visuelle est loin d’être parfaite, la faute à une technologie qui n’est pas encore maîtrisée.
La réalité virtuelle au cinéma est un nouveau médium à penser : l’écriture n’a alors plus la même fonction. Le film n’est plus écrit pour une salle, mais pour une personne. C’est une expérience de l’intime, entre le spectateur et le réalisateur. La question du point de vue est alors celle qui s’annonce comme la plus passionnante. Doit-on écrire son film en prenant en compte son spectateur ? Doit-on l’ignorer comme une entité flottante invisible ? Doit-on briser le quatrième mur, pour l’immerger en son sein ? Et surtout, une question nouvelle se pose : dans quelle position regarder un film en VR ? On ne regarde pas un film en VR en étant passif : il est désormais possible d’avoir une authentique interaction avec le spectateur. On peut être assis, couché, debout, et un objet ou une personne peuvent nous toucher. Cela implique de devoir repenser complètement la relation du réalisateur et son spectateur : celle-ci doit plus que jamais être consciente. Écrire un film en VR pose alors une multitude de problématiques qui ne peuvent trouver de réponse tout de suite.
Fragmenter le temps
La réalité virtuelle demande de repenser le temps. Le temps vécu dans un casque ressemble à celui d’un souvenir. Devant un film traditionnel, la réalité vient créer une distance entre le spectateur et l’écran : on est entouré de réel, d’un environnement physique (des sièges, d’autres spectateurs) et sensoriel (quelqu’un qui tousse, une porte qui claque). On n’est jamais totalement impliqué dans un film. Un rien peut nous distraire. La distance nécessaire de la salle de cinéma et de l’écran disparaît totalement avec la VR. Ainsi, la temporalité est différente : on vit un moment présent, en temps réel. Or le cinéma, dans sa forme traditionnelle, se définit par cette distorsion du temps qui s’opère à travers le montage et les plans. L’art cinématographique est étymologiquement celui d’écrire avec le mouvement. Comment écrire une image quand celle-ci dépasse le simple plan ? Ce n’est plus au réalisateur de diriger l’action, mais bien au spectateur. Son regard s’apparente à celui de la caméra : c’est lui qui choisit de voir, et la manière de voir. Le film en VR ne découle finalement que de choix : le spectateur peut ignorer totalement l’action. Le cinéma perd peut-être son essence même : son langage. Pour autant, tout le défi de la VR est peut-être justement de le réinventer. Par exemple, le travail du hors-champs devient nécessaire : il faut attirer l’œil, à travers un bruit ou mouvement périphérique. Difficile d’appliquer des codes traditionnels à un médium qui redéfinit totalement l’espace et le temps. Rien n’empêche pourtant d’indiquer un point de vue, voir même de faire des cuts.
En témoigne l’épisode spécial de Mr Robot ( 21/07/16 ) en VR. Le film pose le spectateur comme une sorte d’entité visible du personnage principal, tel un fantôme flottant au dessus des airs. Le mouvement se fait aux travers des sons : quelqu’un frappe à la porte, des flashs de lumière apparaissent en périphérie. Mais surtout, le film ose faire bouger le point de vue : le spectateur se déplace dans une sorte de travelling, jusqu’à ce que les personnages se mettent à tourner autour de lui. C’est à lui de bouger pour suivre le mouvement. Le film multiplie alors les lieux à travers des cuts, finalement comme dans un film traditionnel. L’idée est passionnante, mais l’expérience reste délicate physiquement : non seulement la qualité de l’image est plutôt mauvaise, mais cette sensation de mouvement ajouté à la rotation du corps ont tendance à un créer un malaise physique. Le potentiel est bien là, il ne manque plus que du temps pour le réaliser.
Si l’on ne peut pas tout raconter en réalité virtuelle, comment peut-on être sûr que cela est du cinéma ?
L’immersion décuple les émotions : puisque l’on vit l’image, on se sent plus vulnérable. Cette faiblesse des sens devient particulièrement pertinente pour l’horreur. Le point de vue homodiégétique rend palpable le danger. Le casque de VR devient oppressant, ce qui permet de rendre toute forme de tension efficace. Qu’en est-il alors pour les autres genres ? La science-fiction et le fantastique ne sont pas en reste, puisqu’ils permettent une immersion dans un monde créé de toutes pièces. On peut éventuellement envisager de créer des scènes d’action, puisque leur mouvement prendrait sens. La VR est prend aussi tout son sens pour la pornographie, où le spectateur n’est plus voyeur mais acteur. En revanche, est-il possible de faire un drame en VR ? Difficile à dire. La VR peut paradoxalement poser une distance. La parole seule devient ennuyeuse, et l’absence de plans pousse le spectateur à n’être que témoin d’une discussion entre deux personnages, qu’il voit de loin. On perd alors tout point d’attache émotionnel. Cela requiert davantage d’imagination en terme de réalisation que pour une scène horrifique. Mais si l’on ne peut pas tout raconter en VR, comment peut-on être sûr que cela est du cinéma ?
Réalité virtuelle, mais véritable cinéma ?
La réalité virtuelle tend vers une autre forme de cinéma, qui fait sonne comme du cinéma expérimental. Il n’y a qu’un pas pour définir la VR comme un genre. On trouve de plus en plus de festivals dédiés aux films de VR, comme on trouverait des festivals de films de genre. La présence d’un film en VR à Cannes semble alors avoir enfin attiré une attention internationale. Il aura donc fallu attendre l’arrivée d’un réalisateur reconnu et le contexte d’un des plus grands festival de cinéma du monde.. Carne Y Arena ne ressemble pourtant pas à un film traditionnel. Il est vendu comme une expérience. Une installation. Or le cinéma a cette faculté d’être multiple et de transcender les arts. L’expérience dure 45 min, mais seulement 7 min sous un casque. Le reste est une préparation, une mise en situation. L’image vécue comme un souvenir permet sans doute de donner cette étrange sensation de déjà-vu, sans trop savoir ce qui était réel et ne l’était pas. Pour brouiller le réel.
Faut-il de « vrais » réalisateurs pour donner ses lettres de noblesse à la VR ? L’engouement de certains cinéastes très côtés apportera sans doute une attention nouvelle, et qui sait, davantage de financement et de matériel. Ainsi, Gaspard Noé serait particulièrement intéressé par l’idée de faire un film en VR, et l’expérience qui peut en ressortir peut s’annoncer comme à la fois terrifiante et fascinante.
Vers une mort supposée de la salle de cinéma ?
Parallèlement à Carne Y Arena, c’est un autre événement qui a énervé les foules. Netflix à Cannes. Certains déclarent déjà la mort de la salle de cinéma. La VR pourrait en être un sérieux concurrent tant l’on peut avoir des arguments similaires à ceux face à Netflix : la désertification de la salle de cinéma et une individualisation de l’expérience cinématographique. Pourtant, elle semble moins effrayante. Peut-être parce que la VR n’est pas un concurrent dangereux, ou que la VR ne remplacera pas le cinéma, mais le complétera. C’est une expérience parallèle, mais qui ne viendra pas tuer la salle. Il existe pourtant des salles de VR, avec des horaires fixes et la même programmation pour tous les spectateurs. L’expérience cinématographique en VR est différente car individuelle. Ce qui définit la beauté même de salle de cinéma, c’est ce collectif d’âmes émues en même temps, sans même se connaître et sans dire un seul mot. La VR privatise le film. On perd le romantisme de la salle, et ce plaisir collectif. Mais on retrouve ce besoin nécessaire de partager, de parler et de raconter après coup.
Peut-on pleurer en VR sans noyer son casque ? Peut-on être amoureux en VR ?
La VR a quelque chose de violent, et demande une préparation minutieuse au préalable. Elle nécessite en effet un accompagnement, ne serait-ce que pour la mise en place du matériel. Le retour à la réalité est parfois brutal. Elle n’est pas adaptée encore à tout le monde car elle peut provoquer un certain malaise physique, voir psychologique. Les émotions ressenties sont bien plus fortes en VR. Les réactions du spectateur sont totalement imprévisibles. Se pose alors la vraie question de la limite : jusqu’où peut-on aller en VR ? Les actions et événements semblent vécues et certains sujets deviennent alors plus délicats, et peuvent générer certaines angoisses, voir mêmes traumatismes. Le spectateur ne compatit plus, il subit. Se faire poursuivre par une entité cauchemardesque ne relève plus de la simple adrénaline, elle réveille en VR un instinct de survie.
Et puis, comment vivre ses émotions ? Avoir peur dans un film en VR, c’est devoir affronter l’action. Impossible de fuir, de se cacher ni même de fermer les yeux. On est envahi par l’image et le son. Peut-on pleurer en VR sans noyer son casque ? Peut-on être amoureux en VR ? Le contact physique avec l’autre est impossible du fait que la VR exige un périmètre autour du spectateur. On est seul, face à soi même. Face à ses émotions. Et c’est à la fois terriblement excitant et effrayant.
Amandine D.
Ed. Robin S.