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EEPHUS, LE DERNIER TOUR DE PISTE

Alors qu’un projet de construction menace leur terrain de baseball adoré, deux équipes amatrices d’une petite ville de la Nouvelle-Angleterre s’affrontent pour la dernière fois. Face à cet avenir incertain les tensions et les rires s’exacerbent, annonçant la fin d’une ère de camaraderie.

Critique du film

Carson Lund est un nom récurrent dans les discussions qui ont trait à la constitution d’un nouveau cinéma indépendant étasunien. Il fait partie du groupe Omnes films, un collectif de 25 cinéastes et techniciens basés à Los Angeles dont les projets commencent à émerger, comme on a pu le voir avec Tyler Taormina et son Noël à Miller’s point, présenté à la Quinzaine des cinéastes cette année à Cannes. Lund en était le directeur de la photographie, et l’un des fers de lance, tant la notion de groupe est importante chez Omnes dont il est l’un des fondateurs. Eephus est son premier long-métrage en tant que metteur en scène, et la direction prise est très différente de celle du film de Taormina. Si le nombre de protagonistes est aussi très important, et qu’on retrouve une unité de temps importante dans la construction du récit, c’est vers le sport, ici le base-ball, que penche le regard du cinéaste.

Le sujet a tout pour étonner et effrayer : ce sport, typiquement américain, est presque une inconnue absolue pour le public international, avec ses règles complexes et son rythme tellement lent qu’il peut faire s’éterniser une partie. Lund choisit de s’affranchir du premier obstacle, appuyant son regard sur ce qu’il y a de fondamentalement humain dans son histoire, et donc d’universel, et ensuite il utilise ce temps long pour créer une matière fascinante. Eephus est donc l’histoire d’un terrain de sport utilisé le dimanche par une petite ligue d’amateurs d’âges variés, les plus jeunes sont encore à l’université, quand les plus âgés peinent à courir sur le grand terrain tant les années se sont accumulées sur leurs épaules voutées. Le soleil est haut dans le ciel quand débute le match, et on ne s’attends pas à voir tous les stades d’une journée défiler comme des chapitres pour atteindre la nuit la plus noire en fin de film.

C’est bien cela un match de base-ball : 9 manches minimum où chacun doit passer à chaque poste, lancer, frappe, et avec chance courir sur les bases du terrain, jusqu’à ce que quelqu’un gagne, le sport américain ne goutant que peu aux résultats nuls. Ce dernier match d’un vieux terrain rappelle quelque peu la dernière projection dans Goodbye Dragon Inn de Tsai Ming-liang par cet aspect crépusculaire qui voit les derniers instants d’un lieu de vie céder leur place à quelque chose d’autre après des années dévouées à une passion. Il y a cette même émotion contenue comme une énergie latente qui rode tel un fantôme bien décidé à raconter sa dernière histoire. Eephus ne nous donne que des bribes de vie des différents personnages qui traversent le terrain, pendant ce cadre temporel bien défini, il n’est question que de ce râle, de ce jeu qui les réunit loin de leur vie familiale et professionnelle, c’est un oubli nécessaire qu’on peut aussi bien trouver dans le sport que dans une salle obscure taïwanaise.

Il y a quelque chose de surprenant et de presque incongru à trouver une telle fiction dans un grand festival international, ici la Quinzaine des cinéastes à Cannes en 2024, et pourtant la sincérité et l’authenticité de ce spectacle agit comme un baume merveilleux qui révèle le lien qui peut exister au sein d’un groupe animé par le même objectif, un partage simple le temps d’un dimanche ensoleillé.

Bande-annonce