EN PSYCHIATRIE | Devant la caméra de Nicolas Philibert
En psychiatrie comporte 4 films indépendants et complémentaires de Nicolas Philibert qui traitent de la psychiatrie lorsqu’elle s’affirme en expérimentant et en privilégiant la relation humaine, en laissant à chaque patient sa part de richesse intérieure et sa singularité, sans jugement. Le recours aux médicaments ne constitue pas la seule option. La parole du patient, son recours à l’expression artistique ou littéraire, à la création et sa participation à la vie du lieu collectif, tout cela permet de rendre à des personnes fragiles ou au parcours cabossé une dignité et une identité qui échappent à tout cliché, tout raccourci. Ces hommes et ces femmes, de tous âges ont tous leurs particularités, bien sûr, mais leurs points communs résident souvent dans une grande vulnérabilité, une détresse, symptômes d’une société de plus en plus violente et fracturée. À leurs pathologies, leur mal de vivre ou leurs difficultés d’adaptation à un monde fou et brutal, les soignants apportent une écoute toujours respectueuse et empathique, une infatigable patience et une créativité qui est celle de tous les protagonistes, tous les intervenants de ces histoires de vie. Créativité du soignant et du patient.
Nicolas Philibert a eu l’intelligence de ne pas chercher à mettre en scène ou à trop planifier ces films pris sur le vif. De même, il aime à ce que les intervenants ne fassent pas « semblant » de ne pas voir la caméra ou de forcer le naturel. Tout est authentique, vrai, sincère, ce qui suscite l’intérêt du spectateur mais également une émotion indicible, très intense.
Sur L’Adamant – déjà chroniqué ici lors de la couverture de la Berlinale de 2023 qui valut à cette œuvre un très mérité Ours d’Or – nous présent un centre de jour flottant sur la Seine où les frontières entre soignants et patients semblent très tenues, dans le meilleur sens du terme. Les patients, même dans leurs souffrances, semblent tous conscients de l’amour et du respect de l’équipe qui les accueille.
Averroès et Rosa Parks tire son nom de deux unités de l’hôpital Esquirol qui relèvent du pôle psychiatrique de Paris Centre. On assiste à divers entretiens durant lesquels le personnel soignant pallie le manque de moyens flagrants par des qualités humaines et une combativité qui forcent l’estime. Et toujours une écoute réelle, qui respecte le patient et donne toute sa valeur à la parole de celui-ci, quelle que soit la forme que peut prendre son délire, sa folie, ou du moins ce qu’on qualifie comme tels.
Dans La Machine à écrire et autres sources de tracas, dernier volet d’un triptyque composé avec les deux précédents documentaires, on suit des soignants bricoleurs qui viennent dépanner des patients confrontés à des soucis techniques, à des besoins de réparations qu’ils ne peuvent résoudre eux-mêmes : une machine à écrire, un lecteur CD ou une imprimante qui dysfonctionnent et c’est une passion, une source d’apaisement ou un travail qui ne peuvent exister. On comprend très vite que ces dépanneurs, tout autant qu’ils réparent un objet, viennent apaiser une angoisse, entamer un dialogue, partager un moment de vie. Et on retrouve dans cette partie du triptyque certains patients avec lesquels on a fait connaissance précédemment. Comme cet homme qui dit être le sosie de Théo Van Gogh.
Après ces trois documentaires réalisés sur la période 2023-2024, on fait une sorte de grand retour en arrière en découvrant ou en revoyant La Moindre des choses, que Nicolas Philibert tourna en 1995 et qui sortit en 1997, remportant plusieurs distinctions. Il s’agit du quatrième documentaire de ce coffret. On y suit la vie des pensionnaires et soignants d’un centre situé dans le Loir-et-Cher qui se préparent à une représentation théâtrale.
Cet ensemble de documents particulièrement émouvants et fruit d’un travail minutieux nous présente un incroyable galerie de personnages divers, tous profondément attachants. Nicolas Philibert désirait montrer une psychiatrie qui considère vraiment les patients. Pari gagné, tant ces films mettent l’accent sur les efforts que déploient au quotidien les soignants confrontés aux contraintes économiques et au manque de personnel soignant. On mesure bien la force de l’engagement que représente ce choix de l’activité professionnelle et le risque du découragement. Et la façon qu’a Nicolas Philibert de nous présenter ces patients en recherche de créativité, de sérénité et d’échange s’avère constamment en quête de nouveauté, de découvertes. Pas d’à priori dans le regard ou dans la construction ne viennent entacher la démarche du réalisateur qui capture des instantanés, des étincelles de joie, d’espoir et de lutte pour mieux affronter l’existence ou aider ceux qui cherchent à s‘en sortir et à mener une vie de qualité, malgré le handicap psychique, qu’il se traduise par un mal de vivre, par des voix envahissantes et obsédantes ou des délires.