ÉTRANGE FESTIVAL 2022 | Bilan et palmarès de la 28e édition
La 28ème édition de l’Etrange Festival s’est refermée ce dimanche 18 septembre au Forum des Images à Paris. L’occasion de découvrir le palmarès de cette année, et de revenir sur les projections marquantes de cette deuxième partie de Festival.
Le Prix du Public de cette 28ème édition a été remis au film La fuite du Capitaine Volkonogov de Natalia Merkulova et Alekseï Chupov. Un choix fort de la part des programmateurs d’avoir sélectionné ce film russe dans le contexte actuel, qui a été validé par le public de l’Étrange. Le Grand Prix Nouveau Genre Canal+ a lui été attribué à Sick of Myself du norvegién Kristoffer Borgli, une des propositions les plus marquantes de cette édition. Le film sera acheté par Canal+ pour une future diffusion sur les antennes du groupe.
Dimanche 11 Septembre : Jour 6
La fuite du Capitaine Volkonogov de Natalia Merkulova et Alekseï Chupov. En 1938, dans l’URSS stalinienne, le capitaine Volkonogov s’enfuit durant la purge de son service. Pourchassé par les services de sécurité dont il était un membre imminent jusqu’alors, l’ancien tortionnaire veut sauver son âme et cherche à obtenir le pardon auprès des familles de ses victimes passées. Avec ce film, le couple de cinéastes russes revisite les heures sombres du stalinisme en livrant une tragédie baroque au sein d’un système politique qui broie toute forme d’humanité. Superbement mis en scène et interprété, visuellement sublime, La fuite du Capitaine Volkonogov est une sorte de Catch me if you can soviétique, où la fuite n’a pour objet que d’atteindre la rédemption.
Lundi 12 Septembre : Jour 7
Inu-Oh de Masaaki Yuasa. Attention, grand film ! Présenté hors-compétition, Inu-Oh est le dernier film du prodige l’animation japonaise, Masaaki Yuasa, lequel s’était fait connaître en 2004 avec l’expérimental Mind Game. Dans le Japon du 15ème siècle, Tomona, un joueur de biwa aveugle, rencontre Inu-Oh, un jeune garçon difforme, masqué et danseur virtuose. Devenus les meilleurs amis du monde, ils forment un duo extraordinaire dont la musique passionne les foules, en même temps qu’elle révèle les origines de leurs malédictions. Mais leur célébrité contrarie le pouvoir en place et les vieilles traditions.
Autant le dire très clairement, vous n’avez jamais vu un film comme Inu-Oh. Mélangeant plusieurs techniques d’animations, le réalisateur mélange aussi les styles narratifs : ce qui commence comme un conte traditionnel bascule soudainement en opéra rock délirant, et le spectateur de taper du pied au rythmes des morceaux déments dont les sonorités rappellent tour à tour Queen, David Bowie ou les riffs de guitares des Guns N’ Roses. Oui, nous parlons bien toujours du même film ! C’est même tout l’objet du travail de Masaaki Yuasa, cette rencontre entre tradition et modernité, avec l’art comme moyen de rébellion et d’affirmation. Avec ses musiques enivrantes et sa mise en scène ébouriffante, porté par la performance vocale démentielle d’Avu-chan, leader du groupe Queen Bee, Inu-Oh est de ces films que l’on garde avec nous et auxquels on pense encore longtemps après la fin de la projection. Grand film !
Mardi 13 Septembre : Jour 8
La Piedad d’Eduardo Casanova. L’histoire de Mateo, un jeune homme qui vit et respire au rythme de sa mère, Libertad. Alors qu’il rêve de s’émanciper sans y parvenir, on lui découvre une tumeur au cerveau… L’espagnol Eduardo Casanova puise dans sa culture queer pour inventer un monde aussi fantasmagorique que cadenacé, où la maternité est assimilée à une dictature, et la filiation à un syndrome de Stockholm. Produit par le génial Alex de la Iglesia, La Piedad est un film dont l’outrance et le maniérisme laisseront une grande partie des spectateurs sur le côté, mais qui présente une réelle identité et une créativité singulière.
Hot Blooded de Cheon Myoung-kwan. Dans les années 90, la ville portuaire de Kuam en Corée du Sud est le théâtre d’affrontements entre différents clans mafieux. Hee-Soo, homme de main de l’un des parrains locaux, décide de faire cavalier seul et de monter son propre business… Pour son premier film, l’auteur devenu réalisateur, Cheon Myoung-kwan, décide d’adapter le livre d’un de ses compatriotes, Kim Un-su, et ce dernier peut se montrer flatté par le résultat. Avec son antihéros qui traîne son spleen, partagé entre son ambition et la lassitude d’une vie chaotique, Hot Blooded s’inscrit dans la lignée de films comme L’Impasse (1993, Brian de Palma) ou Le Cercle rouge (1970, Jean-Pierre Melville). D’une subtilité touchante, le film doit aussi énormément à la performance bouleversante de son acteur principal, Jung Woo. Aussi violent que élégant, Cheon Myoung-kwan nous offre l’un des plus beaux films de gangsters de ces dernières années, et peut-être le meilleur film sélectionné dans cette compétition internationale.
Vendredi 16 Septembre : Jour 11
Attachment de Gabriel Bier Gislason. Maja, animatrice pour enfant, rencontre Leah, une jeune universitaire juive de Londres, et c’est le coup de foudre immédiat. Mais lorsque Maja suit Leah pour habiter avec elle et sa mère, une orthodoxe ultra-croyante et superstitieuse, les phénomènes mystérieux et inquiétants se multiplient… En intégrant l’horreur et le surnaturel à la mythologie juive et kabbalistique, le réalisateur danois nous offre le pendant judaïque d’un Rosemary’s Baby (1968, Roman Polanski). Avec une économie de personnages et de décors, ce semi huis clos s’avère aussi touchant qu’efficace.
Unicorn Wars d’Alberto Vazquez. À l’occasion de la rétrospective qui lui était consacrée, l’espagnol Alberto Vazquez est venu présenter son deuxième film, sept ans après Psyconautas (2015). Dans Unicorn Wars, les gentils petits oursons sont en guerre contre les méchantes licornes. Célestin et ses amis se préparent pour affronter l’ennemi et l’éradiquer. La guerre fait rage et le sang va couler. Mais il y a quelque chose de pourri au royaume des nounours… Sous ses faux airs de comptine pour enfants, Unicorn Wars est en réalité un pamphlet antimilitariste et anticlérical, et s’adresse à un public assez mature. Une fois l’effet de surprise du mélange des genres retombé, et en raison d’un rythme un peu longuet, l’humour ne fonctionne pas toujours aussi bien qu’il ne devrait. Mais le film reste un ovni suffisamment rare pour être salué, et il est triste de constater qu’aucune chaîne de télévision française n’ait eu le courage de financer ce film présenté comme le chaînon manquant entre Bambi et Apocalypse Now !
Life for Sale de Tom Teng. Un courtier en assurance qui ne croit plus en rien, après avoir essuyé plusieurs échecs en matière de suicide, décide de mettre sa vie en vente sur internet. À ses risques et périls… Adapté librement du roman éponyme de Yukio Mishima, Life for Sale ressemble à un exercice de style issu des années 90. Le film, qui commence comme une comédie noire autour d’un trentenaire qui a perdu le goût de la vie, bascule progressivement dans un mélange des genres un peu fourre-tout. Pas déplaisant mais pas inoubliable.
Samedi 17 Septembre : Jour 12
La Tour de Guillaume Nicloux. Les habitants d’une tour de cité découvrent qu’un mystérieux voile noir entoure leur immeuble, bouchant toutes les sorties. Le monde extérieur semble ne plus exister, et ceux qui tentent de franchir le voile n’en sortent pas vivants. A l’intérieur de la tour, les clans se forment pour essayer de survivre… Guillaume Nicloux est un réalisateur atypique du paysage français qui a le mérite d’avoir eu le courage de se frotter à des genres différents et pas assez valorisés du cinéma hexagonal. C’est ce qu’il fait encore avec La Tour, un huis-clos apocalyptique qui révèle le pire de la nature humaine, et qu’il décrit lui-même comme son film le plus personnel. Malheureusement, si la noirceur est bien au rendez-vous, le résultat est plombé par des situations et des dialogues pas vraiment subtils. Il est dommage également que le phénomène surnaturel à l’origine du chaos ne soit qu’un prétexte scénaristique et ne soit pas davantage exploité.
Project Wolf Hunting de Kim Hong-sun. Un cargo affrété par la police coréenne transporte de dangereux criminels de Manille vers la Corée. Mais le voyage tourne au carnage dans ce cargo qui cache de nombreuses menaces inattendues… Des flics, des criminels, un cargo, il y avait là de quoi s’offrir un beau jeu de massacre à huis-clos. Mais pourquoi se contenter de beaucoup, quand on peut faire trop ! Le réalisateur Kim Hong-sun a donc décidé d’ajouter un zombie terminator dans l’équation pour un équarrissage en règle. Project Wolf Hunting (titre le plus cool de l’année !) est un grand n’importe quoi décomplexé qui ravira les amateurs d’hémoglobine. Ces derniers en auront pour leur argent tant celle-ci coule à flot, et c’est bien le principal intérêt. Dommage cependant que le film nous prive du personnage le plus charismatique à mi-parcours.
Dimanche 18 Septembre : Jour 13
Alienoid de Choi Dong-hoon. Depuis des siècles, des extraterrestres utilisent le corps des humains pour emprisonner leurs condamnés. Alors qu’au 14ème siècle, des moines magiciens recherchent un mystérieux poignard ; à notre époque, un duo de robots humanoïdes tentent de maintenir une attaque extra-terrestre…
Film de clôture de cette 28ème édition, Alienoid est un blockbuster coréen qui puise dans tous les clichés des genres SF et fantastiques : Extraterrestres, magie, robots, voyages dans le temps… tout y passe, peu importe comment. Doté d’effets spéciaux qui n’ont pas à rougir face à certaines productions hollywoodiennes, le film s’avère relativement drôle et tellement absurde et foutraque que cela le rend divertissant. On regrettera en revanche la logique mercantile qui pousse à servir une histoire volontairement inaboutie pour promouvoir le deuxième volet à venir. Mais Alienoid reste un divertissement suffisamment généreux et nourri de ses excès pour conclure le festival sur une bonne note.
L’Étrange Festival, 28ème édition, c’est déjà terminé. L’occasion de remercier encore toute l’organisation et les bénévoles qui rendent ce festival si singulier et si agréable. Et comme à chaque fois quand vient ce moment, on est déjà impatient d’être à l’année prochaine.