EUPHORIA | La série teen de HBO qui fracasse le puritanisme
Si Spring Breakers et le cinéma de Larry Clark avait eu un enfant, il se nommerait très certainement Euphoria. Réalisée par Sam Levinson, à qui l’on devait déjà le très énervé Assassination Nation, Euphoria est la nouvelle série estampillée HBO qui se lance pour la première fois dans la série teen. Zendaya, la révélation de Disney Channel y tient le premier rôle, pour une série à destination d’un public adolescent.
Mais HBO oblige, il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que la série suscite de vives polémiques : Euphoria aborde la sexualité adolescente de manière frontale et multiplie les scènes graphiques dès son pilote, fracassant au passage le puritanisme américain. Derrière son apparence pop, la série s’enfonce dans une noirceur désespérée, menée par Rue, jeune adolescente de 17 ans, sortant de cure de désintoxication.
Cauchemar adolescent
Paillettes sur les yeux, mini-jupes et néons. Le monde d’Euphoria semble être une version exagérée du nôtre, sur-esthétisé et quasi-irréel dans lequel évolue la fameuse génération Z. Méprisée pour sa superficialité, mais surtout incomprise, elle apparaît ici plus sûre d’elle que jamais. Du moins en apparence.
Loin de réduire cette jeunesse à la simple addiction aux réseaux, Euphoria brasse les références culturelles pour s’adresser à l’adolescence 2019. Les musiques se succèdent sans temps mort, Beyoncé et Drake (aussi producteur de la série) s’enchaînent sur fond de cloud rap, accentuant l’onirisme de la série. La culture internet – qui n’en déplaise, en est bien une – est aussi bien présente par la multiplicité de références (du meme Bob Ross, de la fascination des tueurs en séries avec Ted Bundy (ep 6), du make-up Instagram, ou même de Disney Channel avec Zendaya) s’incarne dans une esthétique Tumblr, souvent onirique. Loin d’être le cliché grossier de l’adolescence, Sam Levinson, comme dans son Assassination Nation, parvient à ingérer ces codes, les rendant non pas réalistes mais identifiables, et filme l’adolescence comme un long cauchemar désabusé.
Pourtant lorsque l’on gratte le vernis se trouve une noirceur anxiogène. Une fois l’univers planté, et dès ses premiers instants, Euphoria bascule dans une paranoïa inquiétante. Drogue, sexe, alcool sont au cœur du récit, entremêlés de dépression, d’envie suicidaire et de masculinité toxique. Un portrait sinistre d’une adolescence en perte de repères, sans cesse confrontée à des injonctions contraires, et voyant le monde lui glisser entre les doigts. Pur produit d’internet, mais aussi de familles dysfonctionnelles, du porno, d’injonction à l’hétérosexualité, portant en lui les traumas du 11 Septembre, et terrifié pas un monde qui se précipite à sa perte, chaque personnage lutte pour un bonheur impossible et se contente de l’euphorie du titre, à travers l’usage de tous les moyens de défonce possibles.
Sexualité, consentement et empowerment
Contrairement à la grande majorité des teens series à la télévision, Skins compris, Euphoria propose une version très crue de la sexualité adolescente qui n’a pas manqué de choquer. Et pour cause, la nudité frontale est ici masculine. Certain.e.s s’amuseront à faire le décompte : pas moins d’une trentaine de verges sont visibles à l’écran dès les premiers épisodes. L’indignation collective est révélatrice : le corps féminin nu est devenu banal, tandis que le masculin reste tabou. Alors que les filles d’Euphoria sont constamment hyper-sexualisées (sans pourtant ne jamais rien montrer frontalement), on s’offusque d’un pénis en érection à l’écran, comme si sa présence n’avait rien de normal. L’apparition du sexe masculin n’a pourtant rien d’érotique, au contraire : les verges apparaissent en arrière plan dans des vestiaires, sur des dick pics indésirables, ou pire encore, l’érection d’un homme mature avant une relation sexuelle avec une adolescente. Euphoria interroge la représentation des corps à l’écran en inversant le rapport de force : la nudité masculine est elle aussi normalisée.
Les corps féminins, s’ils sont sexualisés parfois à outrance, ne sont pourtant pas de simples objets érotiques. Le maquillage souvent fantasque et les vêtements courts sont parfaitement maîtrisés par les personnages féminins et deviennent source d’émancipation. Le personnage de Kat en est l’exemple le plus probant : victime de grossophobie durant toute sa vie, sa première relation sexuelle et la fuite d’une sextape sur internet vont lui redonner confiance en elle. La transformation physique est immédiate : chaînes, corsets en cuir et bas résilles, la “nouvelle” Kat assume ses rondeurs avec un look inspiré de la culture BDSM. Les jeunes femmes sont en pleine possession de leur sexualité, revendiquée fièrement aux yeux du monde, leur conférant une aura sur-puissante.
En embrassant un point de vue féminin, majoritairement Rue, mais aussi tout le groupe d’amies, Euphoria aborde sans concession de nombreux sujets féministes, sans pour autant ne s’adresser qu’à un public féminin. La sexualité est fluide, et à l’exception de Nate, les relations LGBT existent, et ne sont pas remises en question. Si l’avortement, le suicide ou encore la grossophobie sont évoqués à plusieurs reprises, la série est particulièrement pertinente dans son portrait de la masculinité toxique. Souvent expliquée, sans jamais être excusée, elle laisse apparaître un engrenage plus vaste dans lequel viennent se greffer une culture du porno hardcore, l’homophobie ambiante et la culture du viol. La relation toxique de Maddy et Nate fait jaillir les questions de consentement sexuel et de violence conjugale, et les aborde de manières frontales, sans toutefois les résoudre pleinement dans son épisode final – laissant entrevoir une ambiguïté qui n’a pas sa place.
Male-gaze et représentation
Pourtant, face à tout ce body-positivisme et ce regard libre sur la sexualité, un malaise demeure. Un malaise qui dépasse le stade fictionnel et trouve réponse dans sa représentation. Si l’on sait que la volonté de Levinson est de troubler le regard, on ne peut s’empêcher de voir dans cette représentation de la sexualité une complaisance malsaine. Si les actrices sont toutes majeures et que les scènes ont été tournées avec l’aide d’une ‘coordinatrice d’intimité’, la série met en scène des personnages qui ont 16 ans et en devient très souvent inconfortable. Aussi déconstruit soit-il, on ne peut s’empêcher d’interroger le male gaze de son showrunner. Le sexe est souvent morbide et l’on se demande parfois si la série ne veut pas aller “trop loin” : viol sur mineure, étouffement, pression à perdre sa virginité, le tout enveloppé dans une esthétique toujours plus glamour.
Dans tout ce déferlement “vulgaire” et “trash” se dégage pourtant une force magnétique indéniable, une fascination étrange et surtout une empathie sincère envers ses personnages. Si la classification -16 ans avertit du contenu particulièrement explicite de la série, celle-ci est pourtant bien à destination d’un public adolescent, du même âge que ses protagonistes. Son regard sans concession sur l’adolescence demeure unique à la télévision. En embrassant cette même culture, la série offre un regard fantasmé, anxiogène, mais sincère sur la jeunesse qu’elle filme.
La représentation importe, et ce précepte n’est certainement plus à remettre en question en 2019. On se réjouit sincèrement de voir une série emmenée par Zendaya, actrice Afro-Américaine, amoureuse de sa meilleure amie transgenre, Hunter Schafer, douce révélation de la série. On aurait tort de se priver de l’une des meilleures séries de l’année.
Euphoria, une série HBO, diffusée sur OCS et disponible sur OCS Go.