FESTIVAL DU COURT MÉTRAGE DE CLERMONT FERRAND I Bilan à mi-parcours
À peine 3 jours de compétition et nous avons déjà vu 33 des 78 films de la compétition internationale que nous avons choisi de suivre exclusivement et intégralement. Un peu moins de la moitié mais l’occasion d’un point d’étape pour dégager les thématiques récurrentes et mettre en lumière nos premiers coups de coeur.
Un mot tout d’abord du festival, dont c’est la 45e édition. Une sélection à Clermont Ferrand signifie beaucoup pour les cinéastes de courts-métrages, il suffit de lire les entretiens sur le site du festival (mine d’informations et modèle du genre) pour juger de l’importance accordée par la profession à l’événement clermontois. C’est tout simplement le rendez-vous annuel mondial le plus couru. Pour autant, l’ambiance y est décontractée, le public clermontois, fidèle, est habitué à braver les frimas de l’hiver auvergnat pour se tenir chaud (plus ou moins selon les lieux) dans les 13 salles de projection. Chaque séance est composée de 4 à 6 films entrecoupés d’une minute de pause et de lumière pour mesurer à l’applaudimètre l’accueil à chaud et prendre des notes, le prix du public étant décerné dans chacune des trois grandes compétions, nationale, internationale et labo.
Précipité de cinéma
Enchaîner, lors d’une séance, 5 ou 6 films, c’est la promesse de voyager (a fortiori dans la compétition internationale) dans l’espace, dans le temps et dans les genres. Ici pas de distinction entre fiction, documentaire et animation, tous les cinémas sont réunis sur la même échelle et rien que pour cela le festival mérite notre gratitude. Il faut saluer le travail de programmation qui, en plus de sélectionner la crème de la crème, garantie d’un niveau général exceptionnel, construit chaque séance comme un chef compose un repas, avec finesse, goût et maîtrise de l’assaisonnement. Le festival garantit une approche panoramique du cinéma dans toute sa diversité, un véritable précipité de l’état de l’art, en plus d’être une véritable rampe de lancement pour celles et ceux qui, dès aujourd’hui, constituent le fleuron des cinéastes de demain.
A la vie, à la mort
Deux grands thèmes semblent planer au-dessus de cette édition : la mort et le 3e âge, ou la fin de vie. Ils ne sont pas, a priori, des plus réjouissants, mais les thèmes sont aussi traités en trompe-l’oeil, voire en pure comédie, de sorte qu’ils arpentent toute la palette des genres.
Dans La Fumée pique les yeux du singapourien Alvin Lee, une substitution de cadavres est à l’origine d’un fâcheux malentendu. Au centre du jeu, un employé des pompes funèbres, qui cache, sous des airs de distrait contrit, un grand coeur. En plus d’être très drôle, le film aborde un autre thème qui traverse la compétition, la solitude.
Autre comédie funéraire, Chevalier de fortune du danois Lasse Lyskjaer Noer. Ici le deuil et l’absurde composent un cocktail détonnant. Un univers très nordique, à la fois tendre et désespéré, âpre et légèrement surréaliste, pousse le film dans les marges sarcastiques d’une réalité où la solitude côtoie l’humour noir.
La norvégienne Lisa Enes se pare aussi des atours de la comédie pour dresser le portrait d’une femme dont la timidité n’a d’égale que la cocasserie. Brancardière évoque aussi avec légèreté la vie des personnels soignants qui érigent l’humour comme rempart à la dureté d’un métier dont la mort est une composante incontournable.
Le corps politique
D’autres cinéastes abordent la question de la mort de manière beaucoup frontale et dramatique, mais surtout politique.
Dans Sans abri, la Sud Africaine Dan Weys filme un policier sensé sécuriser une course à pied en évacuant les sans abris qui campent sur le parcours. Soudain sa mission se voit bouleversée par la découverte d’un homme mort de froid. Tourné caméra à l’épaule, le court métrage enregistre, tout en rage contenue, le tragique dérèglement des grandes villes où se percutent (littéralement!) des réalités tellement contraires qu’elles en deviennent folie.
Le réalisateur autrichien d’origine somalienne Mo Harawe suit, dans Mes parents vont-ils venir me voir ?, les dernières heures de Farah, prisonnier politique condamné à mort pour terrorisme. Le rituel à l’oeuvre est filmé dans toute sa calme froideur, le champ vampirisé par la figure colossale et insondable d’une gardienne mutique. Harawe prend son temps, un luxe dans l’économie du court métrage, pour donner une dramatique épaisseur à la banalité du mal.
Enfin, la mort comme ultime humiliation, c’est le sujet de Aux hommes et aux femmes du jordanien Ahmad Alyaseer. Les parents d’une femme trans ne trouvent personne qui veuille sacrifier au rite de la toilette funéraire. Désemparé mais surtout soucieux de ne pas faire scandale, le père finit par transgresser toutes les lois de dignité humaine sous le regard accusateur mais impuissant de sa femme. La transidentité est encore un sujet tabou dans bien des sociétés, le réalisateur questionne ici, avec une vigueur impressionnante, le droit de disposer de son corps au-delà de la vie.
Vieillir, le mur d’incompréhension
Le sujet du devenir de nos aînés apparaît comme une préoccupation largement partagée. Comment la société et les enfants accompagnent leurs parents, esseulés ou en perte d’autonomie ? Cette question est au centre de nombreux films.
Aurélie Oliveira Pernet suit dans Les Sacrifiées, titre sans ambiguïté, la vie d’Otilia en province portugaise, circonscrite entre son travail à la piscine et sa mère qui perd la tête. Sur fond de dérèglement climatique et de transition écologique, la chronique trouve une très belle intensité dans une scène finale qui associe chaos intérieur et abattement.
C’est à peu près le même sujet qu’aborde le chinois Fan Zhang dans Nulle part où aller. Xiaomei revient, à l’occasion d’une fête de famille, dans sa ville natale de Cangshan. Entre les fantômes du passé et l’état de santé de sa mère qui ne semble inquiéter qu’elle, la jeune femme voit vaciller ses repères. Le réalisateur montre avec une âpre douceur la permanence des choses et la lente érosion du temps qui passe. On retient notamment un lent panoramique conclu par le fugace retour à la vie de cette mère à la dérive.
L’espagnol Pedro Diaz choisit avec Délivrance d’interroger la place accordée à nos anciens à travers le portrait d’Armando, vieil homme confiné dans son aigreur et sa solitude secouru par son livreur qui lui apporte l’ordinateur envoyé par son fils et les rudiments d’internet. Entre méfiance et curiosité, Armando finit par trouver en ligne de quoi exorciser ses plus profonds démons. Le film, généreux et audacieux, oscille entre comédie, drame et lyrisme.
Quelques coups de coeur et noms à retenir
On a déjà cité Mo Harawe et Ahmad Alyaseer qui ont largement leur place dans ce paragraphe. Il faut également ajouter Ramazan Kiliç, cinéaste turc d’Une histoire non vécue, magnifique film qui témoigne de l’oppression vécue par le peuple kurde à travers un récit qui flirte avec le conte. Egalement, Ophelia Harutyunyan chronique la vie d’une village arménien déserté (pour le travail, pour la guerre) par les hommes. A la fois soudées et différentes, les femmes survivent accrochées à l’espoir d’un retour de l’être aimé. Mais en attendant, il faut avancer. Écriture et mise en scène au diapason d’une histoire trouée par l’absence des hommes, éclairée par la présence des femmes.
L’iranienne Azadeh Moussavi, quant à elle, filme l’envers de son court métrage précédent, la permission d’un prisonnier politique, de retour chez lui où sa fille le voit comme un étranger. 48 heures possède la puissance de ce cinéma iranien capable d’affronter les blessures les plus douloureuses sans se départir d’une irréfragable confiance dans l’humain. La scène clé de reproduction du parloir est à pleurer de beauté.
Enfin, Chemkids est à la fois le portrait d’une ville et de sa jeunesse. La narratrice s’adresse directement à la ville pour dire la difficulté mais aussi les espoirs d’une jeunesse grandie dans les ruines de l’ex RDA. Julius Gintaras Blum saisit parfaitement l’intensité du lien entre une génération attachée à sa ville mais qui a besoin de se l’approprier, d’y implanter ses codes et ses aspirations. Un grand film où la vitalité de la jeunesse redonne au coeur de la ville une pulsation perdue.
Coup de coeur des coups des coeurs
Notre pain quotidien de la slovaque Alica Bednáriková, tire le portrait d’une famille éclatée, rongée par l’alcool et les drames, vue à travers la petite fille, narratrice et poil à gratter. Humour vache et humour noir, mise en scène de la mise en scène, des idées à chaque plan, du rire aux larmes, un petit chef d’oeuvre !
Enfin, on citera La Chanson de Claudio de Andreas Nilsson, film absolument délirant où un mannequin est séquestré par une famille de fous furieux. La scène finale, sorte de comédie musicale en milieu sectaire est aussi inattendue que tordante. De même, Un astronaute perdu et une ville d’empreinte de Vũ Nguyễn Nam Khuê, sublime poème visuel où réalité, rêve et cauchemar finissent par ne plus se distinguer dans un univers d’éco-anxiété dont on se sait plus s’il est pré ou post apocalyptique.
Ce bilan intermédiaire fait état de préoccupations partagées et de thèmes souvent sombres mais aussi et surtout d’une vitalité narrative enthousiasmante. Les formes et les genres sont joyeusement mêlés, éclatés, superposés pour trouver des manières personnelles et esthétiques de traduire le chaos du monde.