FESTIVAL DE CLERMONT FERRAND 2024 | Bilan et palmarès
Nous aurions dû comprendre, en septembre dernier, lorsque l’affiche de l’édition 2024 a été dévoilée, que l’équipe à la tête du festival comptait bien, en dépit des coupes budgétaires imposées par la Région Auvergne Rhône Alpes, continuer à transformer la ville de Clermont-Ferrand en voluptueuse pépinière cinéphile.
La pétulance acidulée du Jardin des délices de Stacey Rozich (version pop art du chef d’oeuvre de Jérôme Bosch) a plongé, une semaine durant, la capitale auvergnate dans son univers miniature et extraordinaire. Conséquence d’une réalité économique beaucoup moins rose, le festival avait annoncé un peu moins de films présentés (réduction de 12 à 10 programmes pour la compétition nationale, de 14 à 12 pour l’internationale) et une légère hausse du prix du billet (de 4 euros à 4,50 euros). Avec 166 000 spectateurs au compteur, deuxième meilleure affluence de l’histoire du festival, le public a répondu présent. Ce succès populaire ne peut que nous réjouir. Succès qui devrait aussi pousser l’organisation à revoir le mode d’accès au séances sans contraindre le public (parfois âgé) à passer la moitié de la semaine dans des files d’attente.
Nous avons concentré cette année notre attention sur la compétition nationale, acception large puisqu’elle accueille les films en coproduction française. Petit tour d’horizon en forme de bilan.
Le premier constat est la très faible représentation du cinéma documentaire, quasi absent de la sélection. Raison de plus pour souligner le beau travail de Clément Pérot qui, avec Dans la tête un orage, filme l’ennui d’une jeunesse calaisienne aux pieds des tours d’une banlieue où affleure la campagne. L’attention portée aux cadres comme aux visages donne à voir, dans un saisissement poétique, la manière dont ces enfants et adolescents se partagent un territoire qu’ils habitent autant qu’ils le subissent. Pour en savoir davantage sur le réalisateur, lire l’entretien qu’il a accordé à nos confrères du Polyester.
Deux motifs nous ont paru se détacher d’une sélection à la tonalité plutôt sombre. Un motif de genre, plutôt oxymorique, celui de la comédie. Et un motif thématique, celui du rapport au travail ou des conditions dans lesquelles il s’exerce.
Comédies
Du côté de la comédie sentimentale adolescente, on a beaucoup souri devant L’Âge acrobatique de Mathieu Bartet et les mésaventures de Lucas plus doué pour les amours chimériques que pour le rock acrobatique. Tendresse et énergie au menu d’un film porté par l’irresistible gaucherie de son jeune interprète, Ferdinand Redouloux.
Laurier Fourniau est allé tourner Vambora, Allons-y ! au Brésil, une improbable rencontre entre un homme et une femme dans un apprtement de Rio de Janeiro. Difficile d’en dire beaucoup sans en dire trop. Précisons seulement que la rencontre commence sous forme d’un entretien d’embauche. Elle est masquée, il a répondu à une petite annonce. Le job en question est plutôt délicat et le film aussi, habile à faire exister ses deux personnages dans une tension comique tout en questionnant la gravité du moment que vit le pays au lendemain de l’élection de Bolsonaro.
Queen Size d’Avril Besson
De la vente d’un matelas d’occasion à l’occasion d’un rapprochement des corps sur le même matelas, c’est l’étonnante rencontre, dans Paris, entre Charlie et Marina. Une sorte de « Viens chez moi, j’habite chez ma grand-mère » où l’attirance entre deux femmes que seule la vente d’un matelas pouvait se faire rencontrer. Un film drôle et léger qui porte la transidentité à l’état de normalité, redistribuant les potentialités de jeu sur la carte du Tendre et des désirs.
Les mystérieuses aventures de Claude Conseil de Marie-Lola Terver et Paul Jousselin.
Le film dont tout Clermont bruissait dès les premières heures du festival. Assis sur un quiproquo, le court-métrage réussit à faire dialoguer des mondes a priori étanches, la ruralité et l’urbanité. Vecteur de cet improbable rapprochement, Claude Conseil interprétée par la merveilleuse Catherine Salviat, est une retraitée passionnée d’ornithologie qui sillonne la forêt micro au clair et casque sur les oreilles. Le film renverse la question du harcèlement pour basculer du côté du conte. Sommet de cocasserie qui porte sur la société un regard joueur et fait du chant des oiseaux un hymne de rassemblement. L’un de nos deux coups de coeur et prix du public ultra mérité.
Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues de Wissam Charaf
Raed est employé comme agent de sécurité sur le chantier d’un front de mer de Beyrout. Il doit composer avec un collègue désinvolte, un patron autoritaire et le brin de pouvoir que lui confère son uniforme. Tout en effets burlesques et situations surréalistes, le film dénonce la position mafieuse des promoteurs immobiliers. Absurde et burlesque, il questionne aussi l’impossible rapport au travail que génère les injonctions contradictoires d’une société livrée au clientélisme.
Le travail aura été au centre de beaucoup de films, dont quelques uns sortent du lot. Nous voudrions en citer trois :
Apnées de Nicolas Panay
Comme son titre le laisse supposer, le film nous plonge pendant un quart d’heure dans une tension irrespirable en même temps que dans le quotidien de Pierre, conducteur de travaux. Il doit concilier délais de livraison, respect des normes de sécurité et coup de pression des élus et des riverains mécontents. Et vie de famille. On pourra reprocher au film une dynamique d’accablement dans son écriture mais la mise en scène, en revanche réussit à coller au personnage tout en faisant vivre un environnement qui confine à l’hostilité subjective. La conclusion fait plus que surprendre, elle glace.
Avec l’humanité qui convient de Kasper Checinski
Une femme conduite au bord du gouffre par une suite de dysfonctionnements dont est victime son dossier d’indemnisation, prévient une antenne de Pôle Emploi qu’elle va se suicider dans ses locaux. Hélène, directrice adjointe, doit faire face. On sait les drames dont ont été témoins ou victimes les employés de ces établissements que les politiques publiques de cessent de rendre plus intolérantes et décourageantes. Le film rend compte d’un engrenage qui accroit la distance entre humanité (celle du titre) et administration. Jusqu’à confronter deux incarnations mises violemment face à face. On regrettera cependant une fin un peu flottante, écueil hélas assez commun à nombre de courts-métrages.
Pavane de Pauline Gay
C’est la question du rapport au travail qui est ici en question et son évolution à travers les générations. Une mère prend sa retraite après une vie d’usine, de mains abîmées et d’horizon bouché. Sa fille, Alex, peine à financer son premier film. En s’appuyant notamment sur l’extraordinaire livre de Joseph Ponthus, À la ligne, le film réussit à mettre en évidence les incompréhensions et divergences de vue de ses deux protagonistes sans juger ni l’une, ni l’autre. Mention spécale à Salomé Dewaels face à Corinne Masiero, toujours impressionnante d’authenticité.
Nous ne pouvons conclure sans dire un mot du notre second coup de coeur, L’Envoûtement de Nicolas Giuliani, film d’une étonnante maîtrise et d’une grande audace, rétif à toute case ou étiquette. S’appuyant sur un matériau documentaire, le récit ne cesse d’injecter des doses de fiction pour narrer de manière toujours intrigante une histoire d’amour et de désir. Employé dans un ESAT, Bruno et Céline voient leur couple bouleversé par l’arrivée d’une nouvelle éducatrice. Onirisme, conte, ésotérisme sont au programme de ce film qui se paye aussi le luxe d’une parenthèse d’angoisse. Aux plans contemplatifs, succèdent de brèves embardées pulsionnelles, de quoi mettre le spectateur dans un état de tenson poétique assez fabuleux. Au centre du film, les corps singuliers des comédiens professionnels porteurs de handicap issus de l’atelier Catalyse de l’ESAT des Foyers de Morlaix. Commencé à l’aube, le film se conclut au clair de lune où les mots d’amour chuchotés à l’oreille déchirent la nuit. Nous reviendrons plus amplement sur ce film en publiant un entretien avec Nicolas Giuliani.
Palmarès
Compétition internationale
Grand prix : Une orange de Jaffa de Mohammed Almughanni (Pologne, France, Palestine)
Prix spécial du jury : Virundhu (Le Festin) de Rishi Chandna (Inde)
Mention spéciale du jury : Entre las sombras arden mundos de Ismael Garcia Ramirez (Colombie)
Prix du public : Coal (Charbon) de Saman Lotfian (Iran)
Prix étudiant : The medallion de Ruth Hunduma (Royaume-Uni, Ethiopie)
Prix d’interprétation : Ruzica Hajdari dans Kafana Na Balkanu de Boris Gavrilovic (Allemagne)
Compétition nationale
Grand prix : J’ai vu le visage du diable de Julia Kowalski (France)
Prix spécial du jury : Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues de Wissam Charaf (France, Liban)
Mention spéciale du jury : La voix des autres de Fatima Kaci (France)
Prix étudiant : There is no friend’s house (où est mon amie ?) de Abbas Taheri (France, Iran)
Prix d’interprétation : Amira Chebli dans La voix des autres de Fatima Kaci (France)
