FRANCES HA
Carte blanche est notre rendez-vous pour tous les cinéphiles du web. À nouveau, Le Bleu du Miroir accueille un invité qui se penche sur un grand classique du cinéma, reconnu ou méconnu. Pour cette trente-et-unième occurence, nous avons invité Victor Van De Kadsye, cinéphile passionné qui s’épanche sur Good Taste Police. Répondant à notre invitation, celui-ci saisit l’opportunité de reparler de l’un de ses films fétiches, Frances Ha.
Carte blanche à… Victor V.
Pour cette Carte Blanche, j’ai souhaité évoquer un film unissant deux personnalités faisant l’actualité du cinéma indépendant US. Il y a Greta Gerwig, s’apprêtant à livrer comme cadeau de Noël sa vision des Quatre filles du docteur March, ainsi que Noah Baumbach qui va voyager à travers les festivals de la rentrée avec son drame semi-autobiographique Marriage Story. Mais avant tous ces futurs projets, on va parler du film qui a fait connaître ce duo incontournable au grand public, un film qui n’a jamais cessé de me toucher à chacun de ses visionnages. Une des rares œuvres qui a su capter ce qu’était être un jeune adulte dans les années 2010 : Frances Ha.
Racontant le parcours, chapitré par les logements où elle vit successivement, d’une new-yorkaise en fin de vingtaine ; Frances Ha peut sembler excluant par son entre-soi apparent. On est plongé en pleine jeunesse new-yorkaise qui ne cesse jamais de discuter de tout et de rien dans des petits appartements. Mais il s’agit pourtant d’une des œuvres les plus en phase avec son époque. Frances incarne les désillusions que beaucoup de jeunes ont pu subir. Les relations que l’on pensait indestructibles deviennent de plus en plus complexes, comme les rêves d’artistes qui s’évaporent petit à petit. C’est en cela que Baumbach enlève en un claquement de doigt l’arrogance que certains, avec mauvaise foi, peuvent reprocher au film. Il montre que la vie new-yorkaise n’est pas si facile que ça, en déconstruisant l’idéalisme que Frances s’en faisait : sa meilleure amie s’éloigne de plus en plus, son rêve d’être danseuse s’évapore pour la laisser s’occuper d’autres postes et un logement s’avère n’être jamais définitif. Cette peinture que Baumbach laisse présager amère au départ est universelle. Frances n’est pas la seule à vivre dans ses illusions. Benji, colocataire pendant un temps de l’héroïne, se rêve scénariste pour le Saturday Night Live et un troisième volet de Gremlins.
Baumbach communique la mélancolie qu’il éprouve par cette génération en mettant-en-scène cette dualité entre fantasme et réalité. La photographie en noir-et-blanc de Sam Levy, en raccord avec les mélodies envoûtantes signées de Georges Delerues reprises à la Nouvelle Vague, illustre la bulle de Frances. Baumbach n’hésitant d’ailleurs pas à refaire jouer des scènes de fictions empruntées au cinéma français, comme la course effrénée de Denis Lavant sur fond de Modern Love ou une balade à vélo façon Bernadette Lafont chez Truffaut.
Loin d’être défaitiste, contrairement à son film suivant While we’re young, qui déconcerte par son cynisme exarcerbé, il y a une force que Baumbach insuffle dans Frances Ha qui ne cesse de décupler à chacun de ses visionnages. L’ayant vu à maintes reprises, de mon année en Terminale jusqu’à ma dernière année universitaire, il y a toujours eu un moment où j’ai pu me reconnaître chez cette héroïne. Dans sa personnalité, ses failles et les problèmes amenées à la jeunesse Baumbachienne. La performance extraordinaire de Greta Gerwig, l’une des plus importantes qu’a connu le cinéma américain ressemblant à Meryl Streep, donne une force rayonnante à cette histoire. Et pour finir, ce qui rend le film si précieux est son envie qu’il nous transmet de ne rien lâcher dans nos idéaux tout en cédant à quelques concessions. Réaliste mais pas sinistre, Frances Ha est un cri d’amour mélancolique à la jeunesse actuelle.
Victor V.