GEMMA ARTERTON | Entretien
À quelques jours de la sortie du film Une femme heureuse, on a rencontré l’actrice et productrice britannique Gemma Arterton. L’occasion de parler de son rôle de productrice, du déclin de l’industrie cinématographique, de la proportion de femmes réalisatrices, des budgets qu’on leur accorde, de l’importance de se battre pour une meilleure représentativité… Entretien « girl power ».
L’année dernière, vous nous faisiez part de votre désir de produire davantage, notamment des films portant un message fort. On vous retrouve cette année avec Une femme heureuse. Vous semblez avoir mis en application cette volonté…
Gemma Arterton : Oui, j’ai l’impression. C’est un film assez provocant car il évoque un sujet un peu tabou. Heureusement, c’est traité avec subtilité et délicatesse. Ce n’est pas un film facile à regarder car cela reste assez intime et éprouvant par instants. Et cela touche les gens quand on il s’agit de la vie et de comment les relations peuvent vous faire suffoquer.
C’est l’histoire d’un couple hétéro normé blanc, middle class, résidant dans la banlieue londonienne, en somme une famille de « privilégiés »… Votre personnage subit cependant de lourdes pressions en tant que femme au foyer, donnant au film une trame narrative féministe.
G. A. : Je ne sais pas, cela dépend de votre notion du féminisme. Pour moi, le féminisme signifie l’égalité. Je ne sais pas si ce film est féministe mais on accorde au personnage féminin le temps nécessaire pour comprendre son point de vue même si on ne le rejoint pas. On n’a pas à être d’accord avec ce qu’elle fait, moi-même je ne sais même pas si j’approuve, et j’imagine que les spectateurs se posent également la question. Le but n’est pas de faire plaisir à tout le monde et il est fort probable que le film polarise les réactions.
L’industrie du cinéma s’effondre et plus personne ne prend de risques. L’argument financier est devenu le moteur principal de production des films. C’est terriblement triste, on perd beaucoup en intégrité artistique (…) Le cinéma, ce n’est pas simplement du divertissement…
Les films qui font consensus ne sont pas toujours les plus intéressants… C’est bien de susciter le débat lors ce que c’est fait avec justesse…
G. A. : Oui, j’ai d’ailleurs discuté avec certains journalistes qui ont eu des ressentis très contrastés. Pour moi, le sujet du film est supposé créer des conversations, soulever le débat. Je n’en peux plus de la médiocrité, surtout dans le cinéma anglophone. Ces derniers temps, l’industrie du cinéma s’effondre et plus personne ne prend de risques. L’argument financier est devenu le moteur principal de production des films. C’est terriblement triste, on perd beaucoup en intégrité artistique. Désormais, je préfère prendre des risques même si tout le monde n’aime pas. Au moins, cela crée des réactions. Le cinéma, ce n’est pas simplement du divertissement…
Puis il est important que les cinéastes continuent de s’emparer de sujets comme ceux de votre film…
G. A. : Ce qui est intéressant, c’est que le personnage du mari n’est pas foncièrement mauvais. Ce n’est pas une mauvaise personne. Il essaie d’aider. Mais sa frustration ressort. Il ne voit pas, il ne comprend pas ce qu’elle traverse parce qu’il en est incapable. Au début du film, alors que le couple fait l’amour, on peut voir qu’elle pleure mais lui ne remarque rien. Peut-être qu’ils sont dans une relation passive-agressive. Elle s’est détaché de lui et il est frustré. Ce n’est la faute de personne. Nous ne souhaitions pas qu’elle soit dépeinte comme la victime d’abus conjugal cependant. Ce n’est pas le sujet du film.
Tout le monde ne le ressent pas ainsi en voyant le film… Y compris dans notre rédaction.
G. A. : Une fin de relation peut devenir étouffante et violente. Lorsque la relation se délite, nous devenons des versions de nous-mêmes assez détestables à travers la douleur et la colère. Il ne lève pas la main sur elle. Ils se sont rencontrés très jeunes, se sont aimés, mais avec les années ils se sont éloignés. De 25 à 30 ans, on évolue énormément en tant que personne. Moi-même, en quelques années, je suis devenue une adulte très différente. Lui est sûrement resté plus proche de ce qu’il était à l’époque. Elle, en revanche, a probablement évolué et a besoin d’autres choses. Ils ne sont plus sur la même longueur d’onde, ce n’est pas sa faute.
G. A. : C’est intéressant de le concevoir ainsi. Pour moi, quand je préparais le rôle, j’avais le sentiment qu’elle était en train de se perdre. Quand nous réfléchissions au titre français, nous avons pensé un temps l’appeler « Une respiration ». Pour moi, elle part à Paris car elle a besoin de respirer. Paris, c’est un mensonge, un rêve. Elle est en train de mourir à petit feu alors elle a besoin de fuir. Elle ne rejette pas ses enfants véritablement et à la fin elle ne coupe pas les ponts. Elle avait juste besoin de quitter cette maison.
Certaines scènes suggèrent discrètement qu’elle rejette la question des enfants, qu’elle préfère laisser son statut de mère de côté le temps de se retrouver en tant que femme…
G. A. : C’est compliqué, la femme est aussi celle qui porte l’enfant, qui le met au monde. Elle ne peut pas les oublier, et ils sont en elle, comme une empreinte biologique. Elle ne les rejette pas et ne s’en libère pas définitivement.
Ensuite, le film fait la part belle au pardon. Au pardon qu’elle s’accorde, surtout.
G. A. : J’avais le sentiment que si elle restait à la maison, quelque chose de terrible pourrait arriver. Elle se serait fait du mal ou elle aurait fait du mal aux autres. À un moment dans le film, elle exprime sa rage envers ses enfants puis se sent très coupable. Et c’est là que cela bascule, elle comprend qu’elle doit s’échapper de ça. Le film ne conduit pas une conclusion. Il ne propose pas de solution, il reste assez ouvert sur l’avenir.
Avoir une femme à la barre reste encore un risque pour beaucoup trop de gens. C’est quelque chose que je veux combattre, j’y tiens du fond du cœur, il faut que cela change !
Vous devez tourner avec Julie Delpy pour My Zoe…
(Elle nous interrompt) mais il y a eu des difficultés avec le budget, vous en avez certainement entendu parler… Mais je crois qu’elle a enfin réussi à le boucler. Le scénario est formidable ! Il est fantastique !
Vous allez toujours tourner avec elle ?
G. A. : Oui bien sûr ! Je ne sais toujours pas quand par contre. Quand on fait des petits films indépendants, c’est toujours un combat de longue haleine. Il faut se battre, trouver l’argent, repousser le projet, reprendre.…
Et visiblement, c’est encore plus dur lors ce que l’on est une femme réalisatrice. Fin 2017, Julie Delpy confiait au Hollywood Reporter que certains producteurs américains lui avait dit de vive voix que « les femmes sont trop émotives, elles ne sont pas fiables ». Et que pour cette raison, ils étaient plus réticents à investir…
(Elle rit, choquée de ce qu’elle entend) Wow… Et bien ! Heureusement, depuis un an, c’est en train de changer. Et puis Patty Jenkins a obtenu la réalisation d’un film à gros budget et ce fut un succès au box-office. Pourtant, avoir une femme à la barre reste encore un risque pour beaucoup trop de gens. C’est quelque chose que je veux combattre, j’y tiens du fond du cœur, il faut que cela change !
Je vais vous donner une statistique révélatrice d’un problème. En Grande-Bretagne, 50 % des candidats pour entrer dans les écoles de cinéma sont des femmes. Et 50 % des diplômés à l’issue de la formation sont des femmes. Pourtant, si on focalise sur les films qui ont plus de 30 millions de budget, seulement 3 % de ses films sont réalisés par une femme. Cela signifie qu’il y a des femmes réalisatrices, des femmes qui envie de faire des films. Mais qu’en chemin, on ne leur laisse pas l’opportunité de les faire. Je ne comprends pas pourquoi.
C’est pour cela que des actrices comme vous, Juliette Binoche, Jessica Chastain, êtes importantes car votre parole résonne davantage…
G. A. : Oui, nous sommes pénibles, nous sommes casse-pieds, mais nous continuerons à le clamer fort et à réclamer que davantage de femmes se voient confier des responsabilités dans l’industrie.
En tant qu’actrice, pour un rôle, acceptez-vous que l’on vous impose-t-elle ou telle marque de féminité même lorsque cela n’est pas justifié ? Est-ce pour vous une raison de refuser un rôle dans un film à gros budget ?
G. A. : C’est une question compliquée. Selon moi, il faut être la meilleure version de soi-même. Certaines fois, j’adore porter une robe superbe, soigner mon maquillage et ma coiffure, porter des talons hauts…
Bien entendu…
G. A. : … Mais pas toujours. Cela ne doit pas être systématique. Récemment, quelqu’un m’a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi mon personnage dans le film était malheureux. Je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu « mais parce qu’elle est tellement belle, elle ne peut pas être malheureuse ». (Elle lève les yeux au ciel). C’est désespérant. Cela en devient hilarant tellement c’est ridicule. (En se moquant ironiquement) « Comment peut-elle être malheureuse alors qu’elle est belle ? ».
C’est terrible mais symptomatique. Dans notre métier si particulier, l’image a un rôle très important. Cela m’a toujours frustrée et j’ai un rapport très conflictuel avec ça. On vous critique pour votre apparence, et pourtant vous êtes quelqu’un qui apparaît sur un écran. Il faut que l’on ressemble aux personnes que l’on représente à l’écran. C’est pour cela que dans ce film, il était hors de question que je porte du maquillage, que je sois parfaitement coiffée…
D’ailleurs, les vêtements que l’on porte peuvent aussi être un étendard. Ce fut très libérateur de porter du noir lors des Golden globes notamment. Nous étions en noir et personne ne parlait de ce que l’on portait, mais bien de pourquoi on était habillés en noir. Même si j’aime beaucoup porter de beaux vêtements et de beaux accessoires, certaines fois, avouons le, on n’en a vraiment vraiment pas envie… (elle éclate de rire)