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GEORGE A. ROMERO | Clap de fin pour le roi des morts-vivants

Après une brève lutte contre un cancer du poumon, George A. Romero, réalisateur américain, et théoricien fondamental du film de zombie, est décédé ce dimanche 16 juillet 2017, à l’âge de 77 ans. Hommage à l’un des plus grands cinéastes du cinéma d’horreur.

« La raison, la seule raison, de faire un film d’horreur, c’est de détruire l’ordre ».

Avec cette phrase, Romero énonce la règle fondamentale du film d’horreur : la remise en cause, la problématisation, voire la destruction de l’ordre établi. L’horreur est peut-être le genre cinématographique fictionnel le plus politique, mais il apparait en même temps comme un cinéma violent, adolescent, immature et vulgaire. Autrement dit, un cinéma qui n’est pas digne d’intérêt pour tout spectateur qui se respecte. De fait, l’horreur, dans de nombreuses études, est le genre cinématographique au capital symbolique le plus faible. Ce présupposé est néanmoins vrai, et c’est ce qui fonde d’ailleurs l’essence et la puissance du cinéma d’horreur.

Comme l’adolescent, le cinéma d’horreur ose tout. Il montre tout, se moque de tout, et se permet de s’attaquer à tout. L’horreur, c’est d’abord les marginaux, les monstres, les Freaks. Des individus qui s’écartent de la norme, et qui sont monstrueux du fait de cet écart. Les zombies de Romero font partie de ces individus.

Relecture acerbe de notre société

Dès lors, l’horreur du spectateur, c’est de voir quelque chose qui s’écarte de la norme, au point de révéler la monstruosité même de cette norme à laquelle il s’identifie : la consommation à outrance (Dawn of The Dead), le cauchemar de l’Amérique de Reagan (Day of the Dead) , l’implication de la finance et de la banque dans l’Amérique post-11 septembre (Land of The Dead), l’obsession de l’image volée et du Paraître sur internet (Diary of The Dead), etc. À chaque époque de notre histoire contemporaine, à chaque époque de sa vie et de son oeuvre, Romero nous a offert une lecture acerbe et intransigeante de notre monde et de notre société.

De fait, les films composant l’hexalogie des morts-vivants de George Romero (The Night of the Living Dead en 1968, Dawn of the Dead en 1978, Day of the Dead en 1985, Land of the Dead en 2005, Diary of the Dead en 2008 et Survival of the Dead en 2009)  sont des films politiques, « pour autant que leur seul véritable objet est le rapport entre l’état de nature et l’état social, ou plus précisément la dissolution de l’état social. Ces films montrent la précarité de l’état social pour autant que, à l’occasion d’un événement imprévu, cet état social disparait d’une manière quasi immédiate pour laisser place au chaos. Ils montrent ainsi la fragilité de la distinction entre l’homme et l’animal, dans la mesure où certains hommes, dont l’humanité se dissout entièrement, se révèlent être des prédateurs aussi dangereux et cruels que n’importe quel autre animal » *

Des zombies politiques

Les films de Romero tendent un miroir au spectateur en tant que membre de la société, et révèlent ce qui peut facilement devenir risible en lui, au fur et à mesure qu’il est confronté à une situation extrême. Ainsi, Romero a contribué à la remise en cause de la représentation des méchants au cinéma et de l’apprentissage de la haine de l’autre par le biais du cinéma, au travers du personnage du zombie. Ce dernier, dans les films de Romero, n’est pas l’incarnation de l’ennemi agressif que l’on se doit de repousser hors du cadre. Le zombie est à l’intérieur de nous, et surgit dès lors que l’ordre établi est en crise. L’apport de Romero au cinéma d’horreur, c’est son édification du film de zombie comme un genre politique, à la fois universel et actuel. D’ailleurs, George Romero aimait se définir comme un « homme d’actualité », pointant systématiquement du doigt « cette malheureuse habitude qu’ont les gens de se contenter de ce qu’on leur propose », et acceptant fatalement le chaos que les pouvoirs dirigeants tendent à leur imposer.

À Romero de dire : « Le vrai problème est que nous continuons à nous satisfaire des pouvoirs qui nous dirigent même quand ils sont stupides et que notre volonté de vouloir appartenir à certaines tribus, de faire partie de groupes ne fait que servir encore mieux ces pouvoirs constitués. Par exemple, aux États-Unis, lorsqu’il y a des sondages ou des élections, les résultats nous sont présentés par rapport aux groupes: les blancs préfèrent ceci, les noirs désirent cela… Morceler le peuple ainsi n’est qu’une meilleure manière de lui faire accepter n’importe quoi. Il n’y a plus de voix du peuple mais la voix d’un morcellement. Les morts vivants me servent à dénoncer tout cela. Pour moi, ils incarnent avant tout un changement. Une possible évolution du monde mais surtout le catalyseur des réactions humaines qu’elles soient bonnes ou mauvaises: parfois généreuses, souvent cruelles. Il semble évident que mon sujet est de développer des situations extrêmes auxquelles quelques humains seront confrontés, réagiront plus ou moins moralement et ainsi faire réagir le spectateur à son tour » confiait-il à nos confrères de Chaos Reigns

Le spectacle plutôt que le fond

Les films de zombies mainstream ont aujourd’hui perdu ce soucis d’inculquer à l’horreur une dimension politique, au profit du spectaculaire. Leur erreur est d’opposer le politique au spectacle, en vue de fabriquer un produit plutôt qu’une oeuvre. Les films de Romero constituent quant à eux une oeuvre à part entière, à la fois critique, ironique, actuelle et universelle. La marque d’un grand cinéaste…

> > > À lire aussi : George A. Romero, au-delà des zombies.

  • * Eric Dufour, Le Cinéma d’horreur et ses figures, puf, 2006



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