GIULIO CASADEI | Interview
À la tête des rencontres internationales du moyen métrage depuis 2019, Giulio Casadei revient sur l’histoire du festival du cinéma de Brive, la fabrication d’une sélection et prend le pari que le moyen métrage a devant lui un avenir radieux.
Pouvez-vous nous brosser l’histoire du festival ?
Giulio Casadei : Le festival est né en 2004, à une époque où le moyen métrage était un format utilisé par toute une nouvelle génération du cinéma français. Il faut savoir qu’une bonne partie des grands cinéastes français des trois dernières décennies ont commencé ou sont passés par le format du moyen métrage. On peut citer Guillaume Brac, Virgil Vernier, Alain Guiraudie ou encore Sophie Letourneur. Il y avait une matière à laquelle ne correspondait pas d’espace de visibilité et le Festival est né au sein de la SRF (Société des Réalisatrices et Réalisateurs de Films) de cette volonté de combler cette lacune. La compétition a d’abord été française puis au fil du temps, le festival s’est ouvert d’abord à l’Europe et depuis 2018 à l’international.
Comment Brive est devenue la ville hôte du festival ?
Sébastien Bailly, co-fondateur du festival avec Katell Quillévéré, est originaire de la ville et ça correspondait aussi à l’envie d’ancrer la manifestation en dehors de Paris ou même d’une grande ville. Le choix de décentraliser un festival est très politique et très important, ça fait vivre un territoire qui n’est pas forcément au centre de l’actualité culturelle et médiatique. Ça fait vivre les lieux culturels de la ville, ça fait vivre une communauté et fait exister autrement une ville. C’est aussi important que le public soit avant tout local et pas un public parisien qui se déplace en province.
Le choix de décentraliser un festival est très politique et très important, ça fait vivre un territoire qui n’est pas forcément au centre de l’actualité culturelle et médiatique.
Est-ce que le public, la presse mais aussi la profession ont répondu tout de suite présents ?
Oui, le public a été là dès la première édition qui a obtenu un fort écho. Il y avait un intérêt pour un format méconnu, exploité par les grands réalisateurs de l’histoire du cinéma, de Jean Renoir à Federico Fellini, mais que l’on n’avait jamais théorisé et auquel on n’avait jamais vraiment donné une place. Brive ça a été le premier et désormais le seul festival au monde consacré au moyen métrage (La Cabina, festival de Valence en Espagne, né quelques années après Brive, a cessé d’exister en 2022). Le Festival, je le redis, accompagnait alors l’émergence de tout un cinéma français et aussi de tout un système de production qui s’est montré évidemment très intéressé.
La compétition est internationale depuis 2018, combien voyez-vous de film par an pour établir la sélection ?
On reçoit environ 400 films sur notre plateforme, auxquels il faut ajouter environ 200 autres issus de notre prospection. Aujourd’hui, le Festival a acquis une certaine notoriété à l’international, mais les premières années, il a fallu beaucoup prospecter et nous avons garder cette habitude. Dans chaque partie du monde, j’ai identifié un réseau de petits festivals dans lesquels explorer. Chaque année, on a des films japonais, c’est grâce à la collaboration mise en place avec le Pia Film Festival de Tokyo, consacré à la nouvelle création, c’est là qu’ont été découverts Kiyoshi Kurosawa ou Shin’ya Tsukamoto. Le Japon a toujours eu une forte tradition de moyens métrages et ce festival en programme de nombreux chaque année dans une compétition unique sans limite de durée. Tout au long de l’année, j’essaye de suivre l’ensemble de la production mondiale, je demande des liens pour les proposer au comité de sélection. Le processus de sélection prend à peu près 5 mois pour garder 20 ou 22 films en compétition.
Mascha Shilinski, dont le prochain film vient d’être sélectionné en compétition par le Festival de Cannes, a été révélée à Brive en 2016 où elle a obtenu le Grand Prix Europe pour son film de fin d’études Die Katze.
Il y a de nombreuses nationalités représentées…
Officiellement 10 cette année, si l’on ne considère que les pays majoritaires et je crois que c’est un record dans l’histoire du festival.
On note la présence de plusieurs films portugais, japonais ou grecs et en contrepartie l’absence de cinématographies importantes, notamment européennes. Est-ce plutôt circonstanciel ou structurel ?
Un peu des deux. Il y a une tradition du moyen métrage en Allemagne et j’en profite pour souligner que Mascha Shilinski, dont le prochain film vient d’être sélectionné en compétition par le Festival de Cannes, a été révélée à Brive en 2016 où elle a obtenu le Grand Prix Europe pour son film de fin d’études Die Katze. Il y a des pays qui ont une tradition du moyen métrage, comme le Japon, le Portugal, l’Allemagne et d’autres pas du tout, comme l’Italie d’où je viens. Le seul film italien qu’on a eu en compétition était une co-production franco italienne avec un réalisateur italien installé en France. Les seuls moyens métrage italiens qu’on peut projeter à Brive sont issus du patrimoine et plus particulièrement de l’âge d’or de la production télévisuelle.
Pour le Portugal, en effet la présence du pays est exceptionnelle cette année, même si presque chaque année il y a au moins un film portugais en sélection. Le Portugal est une petite économie mais un grand pays de cinéma, tous formats compris. On sent poindre une émergence de nouveaux talents plutôt en périphérie de l’Europe, dans les pays du Nord ou de l’Est. Et la France continue a être une exception, avec une production moyenne entre 300 et 400 moyens métrages par an, y compris l’ensemble des documentaires (format 52 minutes) produits pour la télévision.
J’ai été marqué par le Festival de Venise pendant la période Marco Müller.
La programmation répond-elle à certaines règles ou à certains équilibres ?
On a surtout envie de défendre un certain cinéma d’auteur et donc de privilégier les films qui sortent des sentiers battus. Des films qui nous étonnent par la forme d’abord. Pour moi, une sélection n’est pas une thèse. Il faut savoir reconnaître des qualités qui dépassent ton regard. Je ne prends pas que des films qui répondent à mon goût, je peux sélectionner des films que je trouve problématiques ou qui me questionnent. On essaye de trouver un équilibre géographique mais on n’a jamais sélectionné un film pour sa carte d’identité.
C’est la première année qu’on n’a pas une majorité de films français dont la production se distingue naturellement. L’équilibre se jouerait davantage sur la volonté de représenter différentes formes d’écriture cinématographique. J’ai été marqué par le Festival de Venise pendant la période Marco Müller. On pouvait retrouver en sélection aussi bien un film de Tsui Hark, qu’un film de Manoel de Oliveira ou une comédie. Il y a même eu George Romero en compétition en 2009. Je suis de cette école, c’est à dire que pour moi il n’y a pas de hiérarchie entre les formes. Trouver une belle comédie en moyen métrage, c’est beaucoup plus difficile que de trouver un documentaire ou un film de recherche formelle. Notre travail est aussi de reconnaître l’importance que peut avoir un film par rapport au format. Il y a des productions amples qui assument leur statut de moyen métrage, par exemple le film grec en compétition cette année What Mary Didn’t Know.
La sélection de cette édition 2025 a-telle une couleur particulière, selon vous ?
Cette sélection est marquée par le retour de plusieurs cinéastes importants, qui ont déjà été primés ou révélés à Brive, je pense à Caroline Poggi et Jonathan Vinel, Marie Losier, Vincent Weber ou Konstantina Kotzamani.
Plusieurs films sont traversés par un sentiment d’incertitude qui révèle une forme d’inquiétude face à l’état du monde.
C’est la preuve que ces cinéastes sont fidèles au festival ?
Oui, certains de ces films seront projetés en avant-première et c’est un privilège. Comment ça va ? de Caroline Poggi et Jonathan Vinel était en compétition à Berlin où il a eu un Prix et sera présenté en avant-première française. D’autres cinéastes sont déjà reconnues, comme Maha Haj ou Diane Sara Bouzgarrou qui ont déjà été sélectionnées à Cannes. Il y a sans doute moins de jeunes cinéastes cette année. Leurs présences me permettait aussi de prendre plus de risques par ailleurs pour donner à de jeunes cinéastes une visibilité.
Chaque année, on essaie de faire la meilleure sélection possible en gardant en tête cette fonction de révéler, de donner de la place à de jeunes cinéastes, parfois autoproduits comme À la lisière de Paolo Sabouraud. D’autre part, on peut identifier une note générale plus mélancolique cette année. Plusieurs films sont traversés par un sentiment d’incertitude qui révèle une forme d’inquiétude face à l’état du monde. La question de l’habiter est récurrente aussi. Comment habiter une maison, un quartier, une ville ? Les personnages sont en déplacement ou en questionnement, ils cherchent une nouvelle manière de vivre leur quotidien, d’interagir avec leur environnement social.
Je suis convaincu que le moyen métrage est le format de l’avenir.
D’ailleurs, même dans les œuvres de fiction, le réel n’est jamais loin.
C’est très vrai en regard de l’édition précédente où la fantaisie était davantage présente, du surréalisme à la science fiction en passant par l’horreur. Cette année, les films sont beaucoup plus ancrés dans le réel. Pour autant, tout n’est pas sombre, je pense au film de Jean-Baptiste Mees, La Journée qui s’en vient est flambant neuve, qui fait le portrait d’un restaurant et de ses clients à Montréal. Il trouve une manière de communiquer et d’être ensemble malgré les difficultés du monde. D’habitude ce sont les films narratifs qui apportent une forme de légèreté à l’ensemble de la sélection. Cette année, c’est presque l’inverse, les films les plus fictionnels abordent la question du deuil, des contrastes familiaux. Tout ça ne relève, de notre part, d’aucune stratégie mais je crois beaucoup aux énergies mystérieuses que nos choix provoquent, malgré nous. Une sélection est toujours plus intelligente que ceux qui l’établissent.
Le format des séances, deux films en moins de 90 minutes, est extrêmement agréable, au point qu’on s’étonne de ne pas le voir davantage développé dans l’exploitation « classique ».
Je suis tout à fait d’accord, je suis convaincu que le moyen métrage est le format de l’avenir. Il y a eu par le passé des périodes où le format était compatible avec la production industrielle. Le format a plusieurs vertus, il permet une forme de légèreté dans la production, de liberté aussi, il peut très bien convenir au cinéma de genre. Aujourd’hui, la durée déborde tout en exprimant de moins en moins une véritable nécessité. La bureaucratisation de la création cinématographique fait qu’il est beaucoup plus difficile de produire un film aujourd’hui qu’il y a dix ou quinze ans. Passer d’un court à un long prend beaucoup plus de temps, quatre/cinq ans en moyenne. La machine cinéma est devenue plus lourde, à tous endroits. Un avenir me semble possible en revenant a plus de légèreté, y compris en prenant exemple sur les commandes comme les projets que menaient Arte dans les années 90, je pense au cycle Tous les garçons et les filles de leur âge par exemple. Je suis sûr que si on donnait carte blanche à des cinéastes, avec un sujet et un budget limité, on verrait des films magnifiques.
Associer deux films pour une même séance est une partie passionnante de mon travail : faire dialoguer les œuvres, provoquer une dialectique, mettre en évidence des contrastes. Je trouve que c’est une expérience très excitante pour les spectateurs de payer sa place à prix modeste et de vivre deux expériences en une, aussi différentes que possible sur le plan esthétique, narratif, émotionnel. Il y a un vrai travail à mener, des stratégies à mettre en place et je suis sûr que ça pourrait aussi être le moyen d’attirer les nouvelles générations. Ce n’est pas un hasard, si ces dernières années, des grands cinéastes se sont intéressés au format moyen métrage. Wes Anderson a gagné un Oscar avec La Merveilleuse histoire de Henry Sugar, Alice Rohrwacher a aussi été nommée aux Oscar pour Le Pupille, produit par Netflix, il y a également eu deux films de Pedro Almodovar, un de Yorgos Lanthimos, Chime de Kiyoshi Kurozawa qu’on vient de présenter en avant-première. Le dernier Kitano, produit par Amazon fait 61 minutes. Il faut reconnaître de ce point de vue, que les plateformes sont souvent plus audacieuses et c’est un peu triste. Mais tous ces exemples contribuent à prendre conscience que le moyen métrage concerne tout le monde, pas seulement les cinéastes émergents.
Pour finir, le palmarès de cette édition sera révélé samedi, assistez-vous, traditionnellement aux délibérations du jury ?
Jamais. Je pense que ce n’est pas ma place, que ma présence parasiterait le bon déroulement des débats.