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HALFDAN ULLMANN TØNDEL | Interview

Quelques jours avant qu’il ne soit récompensé de la Caméra d’Or pour son premier long métrage, dont la maitrise formelle a impressionné les festivaliers, nous avions pu échanger avec le réalisateur Halfdan Ullmann Tøndel pour parler d’Armand (rebaptisé La convocation pour son exploitation française), porté par une nouvelle prestation bluffante de Renate Reinsve. Entretien.

Le cinéma semble être un héritage important dans votre famille. Comment vous êtes-vous approprié ce désir de faire des films ?

Halfdan Ullmann Tøndel : Au début, je fuyais plutôt cet héritage et je ne me voyais pas faire des films, même si j’avais envie de créer. J’ai commencé à faire des petits films à l’université et ça m’a énormément plu. Je suis rentré à l’école de cinéma et je me sentais de plus en plus à ma place à chaque court-métrage. Je me suis dit que j’en étais capable et cela s’est confirmé quand j’ai fait Armand. J’y ai mis toute mon âme et toutes mes pensées, mes émotions. J’avais envie d’y parvenir et que les gens perçoivent une nouvelle voix, pas seulement celle du petit-fils de Bergman.

Dès votre premier long, vous affirmez en effet votre propre identité avec des partis pris radicaux. Avez-vous eu des difficultés à le faire produire ? L’arrivée de Renate Reinsve a-t-elle aidé à trouver des financements ?

Renate (Reinsve) faisait partie du projet depuis le début, avant même que le film soit écrit. J’avais l’idée de ce personnage en tête et je voulais qu’elle l’interprète. J’ai suivi mon idée et cela a fini par se développer. Mais ça n’a pas été facile de le faire financer. Je me suis battu énormément mais j’ai failli baisser les bras plusieurs fois. Quand Renate Reinsve a remporté le prix d’interprétation pour Julie (en 12 chapitres), elle m’a écrit en disant que ce serait génial pour notre film. Le fait qu’elle m’écrive ça le soir-même de cette consécration pour elle, ça m’a redonné envie d’aller au bout.

Le film ressemble à une grande tragédie théâtrale avec de fortes idées de mise en scène cinématographiques. Quelles ont été vos influences ? 

Pour moi, c’était très important de redonner ses lettres de noblesse à la mise en scène (« make la mise en scène great again » dans le texte – ndr) et de penser à comment orchestrer cette danse entre la caméra et les comédien·ne·s, parce que j’adore voir ça au cinéma : quand une scène entière n’est pas coupée, c’est une des plus belles choses dans le cinéma. J’ai été très inspiré par Andreï Tarkovski et j’ai eu envie d’utiliser quelques éléments théâtraux de cette façon, mais je ne voulais jamais totalement m’émanciper du matériau cinéma. Le film a sa propre logique, il ne cherche pas à être réaliste.

la convocation

On sent que chaque mouvement des interprètes ont été pensé, même dans les scènes de dialogue. 

C’était le concept pour moi. Nous avions envie de trouver une façon de faire plusieurs prises de vue dans le même plan. C’était notre objectif, nous avons cherché une chorégraphie qui puisse paraître suffisamment naturelle.

Vous avez tourné le film chronologiquement. Etait-ce un choix pour permettre à vos comédien·ne·s et vous-même de ressentir davantage la montée en puissance émotionnelle ? 

Le film possède cette structure qui fait qu’il commence de façon plus socio-réaliste avant de prendre un virage à mi-parcours où on va plus en profondeur. Je voulais que nous partagions cette expérience ensemble, comme un voyage.

On ressent également quelques influences de l’art contemporain et de la danse, notamment Pina Bausch, qui viennent nourrir votre proposition formellement très riche. 

En fait, j’ai écrit les dernières scènes du film parce que j’ai vu le film de Wim Wenders (Pina) et j’avais envie de jouer avec les mains qui se touchent. Je voulais faire une scène dans cette veine, ça m’a beaucoup inspiré. J’ai engagé un chorégraphe pour que l’on développe cette idée. J’aime aussi beaucoup All that jazz et l’espièglerie qui s’en dégage. J’adore la danse au cinéma, j’aime ce qui est imprévisible et à partir de la première scène de danse, je voulais que le spectateur se dise : tout est possible à partir de maintenant.

Ces scènes de danse sont impressionnantes et on a l’impression qu’elles remplacent progressivement les dialogues, nous donnant tous les informations dont on a besoin pour comprendre les personnages. Comment avez-vous travaillé cette fin très figurative ?

Je sais que c’était ambitieux et que ça reste ambigu, et qu’il faut privilégier le ressenti plutôt que la compréhension. J’avais envie de supprimer les dialogues, parce que le film est d’abord très chargé en dialogues, et j’aimais le fait de finir avec 25 minutes sans plus aucun dialogue. Pour mon premier film, je voulais me donner ce challenge et y prendre du plaisir.

La convocation (Armand)

Votre traitement du corps enseignant et de leurs réactions parait très pertinente. Comment avez-vous développé leur perspective et quel est votre point de vue sur la manière dont sont gérés ces incidents dans l’institution scolaire en Norvège ?

Dès le début, je souhaitais que le public découvre ce qu’il s’est passé du point de vue de la mère. J’ai voulu imaginer l’inconfort que ressentirait un enseignant qui devrait rendre compte de cet incident. La maitresse reste factuelle, elle énonce ce qu’elle sait. Thea Lambrechts Vaulen s’est vraiment appropriée le rôle, elle a été extraordinaire. J’ai aimé sa façon de gérer les choses, d’essayer de ne pas endosser de responsabilité, de tourner autour du pot.

On a le sentiment que le directeur cherche constamment à s’enfuir, à ne pas assumer ses responsabilités… Il se cache derrière ses collègues.

Je voulais presque que ce soit satirique, qu’on voit les leaders fuir la scène de crime pour ne pas se salir les mains. Il est fatigué par son métier, on a le sentiment qu’il n’a plus envie.

Parlons enfin de la talentueuse Ellen Dorrit Petersen (Thelma, The innocents), l’aviez-vous en tête, dès le début également ?

Elle est excellente. Mais ce fut en fait un processus de casting très long. Nous avons fait plusieurs essais de comédiennes, qui proposaient des choses très différentes. Mais l’alchimie entre Ellen et Renate était vraiment la plus intéressante et Ellen est l’une des plus grandes actrices en Norvège, alors c’est devenu une évidence pour moi. C’était déjà très complexe de tourner un tel film en 22 jours, nous avons pu faire beaucoup de répétitions en amont, même si Renate n’aimait pas trop ça (il sourit).

Quel genre de metteur-en-scène êtes-vous ? Plutôt rigoureux et précis ou plutôt ouvert à l’improvisation ? 

J’aime quand on fait ce dont on a parlé en amont. A partir de ça, on pouvait faire quelques propositions, mais il fallait que l’on garde la tête froide et qu’on ne perde pas de vue ce que l’on était en train de faire. Mais je souhaitais créer un espace de création où chaque personne pouvait se sentir suffisamment en sécurité pour proposer différentes nuances et j’étais très sensible à ça. Je souhaitais que tout le monde puisse s’exprimer, librement.


Propos recueillis, traduits et édités par T.P pour Le Bleu du Miroir