INHERENT VICE
L’ex-petite amie du détective privé Doc Sportello surgit un beau jour, en lui racontant qu’elle est tombée amoureuse d’un promoteur immobilier milliardaire : elle craint que l’épouse de ce dernier et son amant ne conspirent tous les deux pour faire interner le milliardaire… Mais ce n’est pas si simple… C’est la toute fin des psychédéliques années 60, et la paranoïa règne en maître. Doc sait bien que, tout comme « trip » ou « démentiel », « amour » est l’un de ces mots galvaudés à force d’être utilisés – sauf que celui-là n’attire que les ennuis.
Drogue molle.
La carrière de Paul Thomas Anderson est quasiment exemplaire. Spécialisé dans les fresques magnifiques, le californien a réussi le tour de force de s’imposer comme l’un des réalisateurs majeurs de ces vingt dernières années. Deux ans après The Master – moins marquant que ses films précédents – Anderson revient pour son septième long-métrage avec une adaptation d’un livre de Thomas Pynchon. Se déroulant au début des années 1970, dans un Los Angeles en pleine période hippie, Inherent Vice ne manque pas de charme de prime abord. Son scénario intrigue, la bande-son, menée par Johnny Greenwood, fait saliver. Comme la filmographie de son réalisateur ne comportait jusqu’alors aucun faux pas, la désillusion Inherent Vice n’en est que plus grande…
D’un point de vue technique, le film tient pourtant ses promesses. Mis à part quelques faux-raccords, on retrouve le cinéma d’Anderson composé de beaux travellings fluides, de longues séquences de dialogue en plan fixe qui font monter la tension, un montage laissant les personnages évoluer sans les couper toutes les trois secondes, et aussi quelques passages plutôt barrés. La bande-son est excellente – notamment lorsque CAN et Neil Young entrent en scène – tandis que Joaquin Phoenix livre une prestation très convaincante en grand défoncé à l’acide qui s’essaie en détective privé efficient.
Ces éléments composent des arguments irréfutables pour tout cinéphile qui ne serait pas allergique au style andersonnien. Or, un film n’est pas que technique et jeu d’acteur. Il convient de raconter une histoire et de faire ressentir des émotions au spectateur.
La trame narrative d’Inherent Vice se calque sur celle des films noirs des années 40-50 ; ainsi, son histoire n’est pas bien compliquée : un magnat de l’immobilier disparaît, un groupe semble derrière cette affaire. Un peu de drogues et de romance pour saupoudrer le tout… Classique. Mais pas efficace, Anderson n’ayant réussi à donner à son métrage la densité et la durée nécessaires. Sur les deux heures trente que dure le film, il faudra se farcir une lassante première heure où les saillies humoristiques se révèlent assez basses de plafond et très répétitives – mis à part quelques moments où Phoenix parvient à faire rire – et de nombreux dialogues souvent peu intéressants. La trop grande galerie de personnages, introduits au fur et à mesure et finalement peu marquants, ne fait qu’augmenter le sentiment d’ennui et de confusion. Mais le vrai problème vient de la narration qu’Anderson a voulu mettre en place dans Inherent Vice.
La première réaction de Joaquin Phoenix à la lecture du script fut de se demander comment son ami Paul Thomas allait le mettre en scène. Riche en digressions, le récit est à l’image de l’esprit embrumé de son héros. Le porter à l’écran nécessitait un travail titanesque pour concilier la mise en scène à l’histoire. Il n’y est visiblement pas parvenu. Cela ne fonctionne pas, et ce pour plusieurs raisons : le film manque de folie, de rythme et parait trop propre sur lui pour être vraiment crédible et prenant. Il n’y a ni climax – même si le dialogue entre Shasta et Doc peut s’y apparenter mais reste sans suite – ni ces brusques montées d’adrénaline que l’on retrouve dans Boogie Nights ou There Will Be Blood. Anderson se contente, la plupart du temps, de filmer des personnages drogués et de parler de défonce sans parvenir à la parfaite osmose atteinte par les frères Coen dans The Big Lebowski – où la narration était aussi heurtée – le duo ayant trouvé l’équilibre entre folie et créativité. Trop sage, Inherent Vice manque de cette étincelle qui le ferait entrer dans une autre dimension.
Enfin, l’absence de performance(s) notable(s) autour de Joaquin Phoenix apparaît comme problématique : Owen Wilson n’est pas Seymour Hoffman, Reese Witherspoon est trop peu présente tandis que Benicio Del Toro reste bien peu marquant, Josh Brolin demeure trop en retrait et n’a le droit à une séquence forte qu’à la toute fin du film – trop tard malheureusement. Il manque donc un colistier à Phoenix, un comédien capable de laisser lui aussi son empreinte sur le film pour incarner un alter-ego aussi fort que dans ses précédentes oeuvres.
La fiche
INHERENT VICE
Réalisé par Paul Thomas Anderson
Avec Joaquin Phoenix, Josh Brolin, Owen Wilson…
Etats-Unis – Comédie, Policier, Drame
Sortie en salle : 18 Mars 2015
Durée : 149 min
Dommage que vous n’ayez pu saisir la grande beauté contemplative de ce film qui, contrairement à ce que vous préconisez, gagnerait encore à ralentir son rythme et à étirer ses visions éthérées. Il nous manque une bonne vingtaine de minutes qui viendraient casser le rythme infernal (oui oui) de la narration qui ne nous laisse pas le temps de souffler. Pour ce qui est des performances, encore une fois je vous contredirai en observant que les airs désuets et légèrement clownesques sont rarissimes dans le cinéma américain actuel (je ne parle pas des comédies qui se contentent pour la plupart de pitreries grossières qualifiées de clownesques) et mériteraient elles aussi d’être poussées.
Enfin, pitié abandonnons ce besoin de climax que le cinéma nous « fasse » ressentir des émotions et laissons le agir simplement sur notre subjectivité et non selon des ficelles émotives tristement acceptées par notre la masse.
Je dirai 7,5, ce film étant sans doute, avec The Master, la promesse d’un cinéma américain plus libre.