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GEMMA ARTERTON | Entretien

Après avoir figuré dans nombre de productions à gros budgets, il semblerait désormais que Gemma Arterton choisisse ses projets à cœur, quitte à prendre plus de risques. The Last Girl en est une excellente preuve. Au cœur d’une narration apocalyptico-zombiesque, ce petit film britannique se révèle bien plus profond qu’il n’y paraît. Entretien autour d’une période pivot pour l’actrice anglaise.

The Last Girl sort sur les écrans français presque un an après sa sortie anglaise. Avec le recul, quels souvenirs avez-vous du film ?

Gemma Arterton : Mon regard sur ce film est particulièrement tendre. D’autres projets sont, pour moi, beaucoup plus complexes à me remémorer, mais en l’occurrence, pour The Last Girl, il y avait une vraie alchimie avec toute l’équipe. Le tournage était fun. Nous collaborions tous harmonieusement, et c’est peut être ce qui est le plus important pour moi aujourd’hui. Pouvoir travailler avec des gens créatifs, inventifs, qui cherchent à se dépasser et à dépasser les limites, d’une certaine manière. Des gens de la trempe de Camille Gatin, une excellente productrice pour qui c’était la première expérience de long-métrage, tout comme Colm McCarthy qui était particulièrement attaché au film et évidemment Mike Carey, le scénariste et auteur du roman original.

Concernant Mike Carey justement, avez-vous travaillé votre personnage d’Helen Justineau avec lui ?

G.A. : Il a donné quelques indications, mais il faut bien garder en tête que The Last Girl est le tout premier scénario de cinéma de Mike Carey. Il était présent, mais ne voulait pas être un poids pour nous en en faisant trop Me concernant, mon personnage d’Helen Justineau est différent entre le film et le livre. Je suis toujours preneuse de conseils et d’indications pour jouer mes rôles, mais ici, Mike m’a laissé intégrer mes propres idées dans mon personnage. Il est très complexe d’adapter un livre au cinéma, particulièrement lorsque c’est son propre ouvrage. Lui a su laisser sa narration se transformer pour rester cohérente sur ce nouveau support. Il ne nous a jamais accusés d’avoir tué son livre, ou quelque chose du genre. Avec le succès du film, Mike a écrit un prequel à The Last Girl qui s’appelle The Boy On The Bridge, sorti récemment. L’action y est bien moins dystopique que contemporaine : les gens ne sont pas encore tous morts !

Avec l’avalanche de contenus liés aux zombies dans les productions culturelles, et pas seulement au cinéma, pensez-vous vous avoir participé à une œuvre différente des autres du genre ?

G.A. : Il faut souligner que The Last Girl un film important pour le cinéma britannique. Il a été financé par le BFI [British Film Institute, ndlr], une structure qui n’a pas vraiment l’habitude de produire de tels films. J’en suis donc plutôt fière. C’est un petit film, fait avec un budget très modeste, mais qui cherche à être différent par rapport à son genre, à y apporter une touche de finesse, voire d’élégance.

Comment avez-vous travaillé un rôle si complexe, celui d’une enseignante plongée dans un monde de chaos ?

G.A. : Mike Carey est un auteur qui utilise la complexité de ses personnages comme point de départ de son écriture et de l’action. Tout cela était parfaitement explicite dès le livre et le script initial, ce qui fait que pour nous, acteurs, la direction et l’angle de nos interprétations étaient clairs et définis.Les réflexions pendant le tournage étaient tout de même permises. Par exemple, l’un des défis majeurs d’Helen Justineau, c’est qu’en tant que professeur, elle n’est absolument pas préparée à une telle déferlante de violence. Dès le début, elle est présentée comme une femme aimante et inoffensive : pourtant, elle devra blesser et tuer pour survivre, même si elle n’est pas du tout faite pour ça. C’est ce que j’ai aimé à propos d’Helen : elle ne sait pas tenir une arme à feu correctement, elle n’est pas entraînée au combat. La violence, ce n’est clairement pas son truc, mais elle va devoir s’y faire pour éviter l’extinction globale et assurer la survie de son groupe.

Je pense que la jeune génération en a un peu assez de tous ces films d’action et ces blockbusters vides de sens.

Il en va de même pour les autres personnages, facilement identifiables au début (l’élève, la professeur, la docteur, le militaire) mais qui évoluent et se complexifient au fil de l’action.

G.A. : Le cœur des évolutions des personnages dans le film vient de l’impact de la jeune fille, Mélanie, sur leurs visions du monde respectives. À mesure qu’elle apprend des autres, les autres apprennent d’eux-même. L’exemple le plus frappant est celui du personnage de Glenn Close, dont la froideur et la distance initiales sont tempérées à mesure qu’elle comprend qu’elle ne fait plus partie de l’espèce dominante sur la planète. Il en va de même pour Paddy Considine, qui subit la plus grande métamorphose de tous. Il passe de l’archétype du militaire, machiste, cynique, brut, à un des personnages les plus sensibles aux enjeux profonds du film.

Chaque personnage se découvre en effet des sensibilités, des empathies mais, apocalypse oblige, doit également faire face à des côtés particulièrement obscurs d’eux-même.

G.A. : Comme tout le monde ! Voilà encore un aspect qui m’a plu sur ce film. L’avis des spectateurs envers les personnages change constamment. Il n’y a pas de véritable héros dans cette histoire, et sans trop en dévoiler, la fin est tout de même assez tragique. The Last Girl porte moins sur des actions héroïques que sur la manière dont les individus survivent, même dans les situations les plus violentes.

On pourrait presque dire que les véritables « méchants » de l’histoire, ce sont les adultes – en incluant même Helen Justineau, en un sens.

G.A. : Quelque part, oui. C’est complexe. Les adultes, les anciennes générations, ont toujours plus de mal à accepter d’être dans l’erreur et considèrent souvent que leur vision du monde et leurs valeurs sont forcément les bonnes.En face, la jeunesse répond : « attendez un peu, c’est aussi notre monde, et nous aussi avons notre mot à dire ».Les échecs du groupe d’adultes dans le film sont un peu liés à ce refus d’accepter la révolution qui se déroule sous leurs yeux. C’est peut être le personnage de Paddy Considine qui s’en rend le mieux compte, d’ailleurs. Et au milieu de tout cela, Mélanie rayonne. Elle nourrit en elle une part d’ombre particulièrement violente et choquante, et pourtant, elle porte aussi un amour assez pur des autres et du monde, malgré ce qu’il est devenu. Elle sait faire instinctivement la distinction entre le bien et le mal.

Pour continuer sur Mélanie, pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec son interprète, la jeune et excellente Sennia Nenua ?

G.A. : Elle a été incroyable tout du long ! Le casting a été vraiment intense. L’équipe a écumé plusieurs mois durant toutes les écoles dramatiques d’Angleterre. Coïncidence, ils ont trouvé Sennia dans une école de théâtre londonienne où Paddy Considine a étudié plus jeune. Une école basée sur un apprentissage très cru et réaliste des techniques d’interprétation. Elle s’est retrouvée avec un peu moins d’une dizaine d’autres prétendantes, avec qui j’ai passé quelques tests face caméra. Sennia dégageait indéniablement quelque chose. Quelque chose de sophistiqué. Je me suis tourné vers Colm McCarthy, et je lui ai dit : « C’est une meneuse ». Elle transpire un air très enfantin, presque vulnérable et à la fois, elle possède une présence impressionnante. Qui plus est, nous sommes devenues amies, ce qui aide toujours au bon déroulement d’un tournage !

Dans le film, votre lien évolue d’une relation professeur / élève à quelque chose qui pourrait s’approcher de mère / fille. Comment cela s’est ressenti, à la fois pendant le tournage et dans la narration ?

G.A. : Je crois être naturellement quelqu’un d’assez maternel et protecteur – c’est peut être pour cela que j’ai été choisie pour mon rôle, d’ailleurs ! Pendant le tournage, nous étions énormément ensemble, très proches, toujours à échanger, et ce lien s’est sûrement ressenti à l’écran au fur et à mesure que le film se déroule. Mais il faut garder en tête le fait que Mélanie reste un personnage potentiellement dangereux, donc il fallait que je sache garder mes distances parfois, résister à l’envie de la serrer dans mes bras en permanence.

Au delà de cette relation mère / fille, l’ensemble du film peut s’interpréter comme une rupture de communication, et donc de compréhension, entre générations. Et cette rupture trouve malheureusement son écho dans l’actualité, avec le Brexit, notamment.

G.A. : Au cinéma, un excellent moyen de faire passer ce genre d’idées un peu politisées au plus grand nombre, c’est de les cacher intelligemment dans des divertissements grand public. Vous savez, en tête à tête, il suffit d’à peine 5 minutes avec Mike Carey pour se rendre compte qu’il a de profondes convictions de gauche (rires). The Last Girl a été écrit et tourné avant le Brexit, mais il est sorti juste après le vote. En le revoyant, certains aspects du scénario ont fait sens encore davantage. Le film possède plusieurs messages, mais au centre de ceux-ci, on retrouve fait que les gens ont peur du changement. Ils ont peur d’accepter le changement. Et je pense que la jeune génération en a un peu assez de tous ces films d’action et ces blockbusters vides de sens. De mon côté, surtout dans le contexte de notre époque, je veux me tourner vers le genre de messages et de formats tels que The Last Girl.Des films qui vous font réfléchir sur le chemin à prendre, plutôt que de vous marteler les idéaux traditionnels.

Finissons sur votre emploi du temps : sur quoi travaillez-vous désormais ?

G.A. : Je n’ai pas énormément de projets, mais je travaille à fond sur ceux dans lesquels je suis engagée. Le premier se nomme Vita and Virginia, à propos de la vie et des romances de l’auteure Virginia Woolf. Ce sera vraisemblablement le premier de mes prochains films à sortir. Je me suis lancée dans la production désormais, un métier qui demande énormément d’investissement mais qui porte ses fruits – du moins, je l’espère ! Je produits donc Summerland, qui également le premier long-métrage pour sa réalisatrice, Jessica Swale et The Escape, pour lequel j’ai également travaillé sur le scénario. Si tout se passe bien, les sorties seront prévues pour le début 2018. Je choisis plus consciencieusement mes projets désormais, de sorte à en faire moins, mais d’y être impliquée à fond.

Et quelques films français pour faire suite à Orpheline et Gemma Bovery ?

G.A. : J’adorerais tourner de nouveaux films en français ! J’attends juste le bon projet.

Propos recueillis, traduits et édités par Robin Souriau pour Le Bleu du Miroir.
Un grand merci à Sophie Bataille pour la réalisation de cet entretien.
Crédits photo : The Los Angeles Time (2017)



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