JOHN CARPENTER | Portrait du maître de l’horreur
Sur le point d’être honoré d’un Carrosse d’Or au festival de Cannes, John Carpenter est l’un des cinéastes américains les plus talentueux de sa génération. Le cinéma de « Big John », c’est essentiellement trois choses :
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L’horreur à l’état pur
Souvent pouvons-nous lire ici ou là une énième surinterprétation de tel ou tel film d’horreur, avec à chaque cette volonté d’expliquer, de psychologiser, voire d’humaniser l’incarnation du mal qui est mise en scène. Ne blâmons pas ceux ou celles qui tombent dans cette facilité, plusieurs films d’« horreur » ayant choisi cette solution pour donner de la « profondeur » à leur antagoniste. C’était notamment le cas de Rob Zombie, avec son remake d’Halloween (2007), qui avait alors choisi d’humaniser ce personnage de tueur qui n’était qu’une « silhouette » dans le film original de Carpenter, j’ai nommé Michael Myers. Dès lors, le drame social se substitue à l’horreur, et l’altérité s’efface au profit de l’humanité. Un choix aux antipodes de l’horreur propre au cinéma de « Big John », lequel ne s’est jamais fourvoyé dans ce contre-sens fondamental, au nom d’une fascination pour l’altérité.
L’horreur, chez Carpenter, peut tout d’abord se caractériser par une béance entre ce qui apparaît et ce qui est : c’est le brouillard dans Fog (1980), qui cache une nuée de fantôme ; c’est la voiture dans Christine (1983), qui derrière sa mécanique inanimée cache une entité diabolique animée ; c’est enfin les jeunes blondinets du Village des damnés (1995), dont le physique innocent tranche avec leur impitoyable cruauté.
D’autre part, l’horreur se caractérise aussi par les principes de l’inconcevable et de l’irreprésentable, justement parce qu’elle ne s’inscrit pas dans une acceptation humaine de la réalité. Si bien que lorsqu’elle apparaît à l’écran, elle ne peut s’incarner que dans l’abstraction (c’est le cas de Michael « the shape » Myers dans Halloween et des insaisissables bandits d’Assaut), ou bien dans un trop plein de réel. C’est par exemple le cas de The Thing (1982), qui essaie tout du long de donner un visage à une entité qui n’en a justement pas, exhibant en gros plan ce qui justement résiste à l’image.
C’est là la grande leçon du cinéma de Carpenter : l’horreur est partout, ne peut être réductible à aucun principe unique, tout simplement parce qu’elle est diffuse, et qu’elle peut revêtir de nombreux visages. Du liquide satanique de Prince des Ténèbres aux « Grands Anciens » chimériques de L’Antre de la folie (1995), le mal resurgira toujours dans une forme nouvelle, aussi excitante qu’horrifiante.
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Une critique sociale radicale
Carpenter est aussi un cinéaste éminemment politique. Nous pouvons déjà penser au président américain de New York 1997 (1981), égoïste à souhait, et leader d’une nation qui se serait fourvoyée dans une terreur sécuritaire épouvantable. Néanmoins, LA critique radicale la plus évidente dans le cinéma de Carpenter est bien entendu celle d’Invasion Los Angeles (1988). Tout est dit dans le pitch : un ouvrier vagabond découvre un carton de lunettes permettant de voir la réalité pour ce qu’elle est. Il découvre que des extra-terrestres capitalistes exploitent la Terre comme une sorte de pays du tiers-monde, réduisant les humains en esclavage au travers d’un bombardement de messages subliminaux.
La publicité, les idéaux de consommation, de liberté, de propriété et de travail, ne sont en fait que des outils utilisés par la classe dirigeante extra-terrestre pour dissimuler la violence de l’exploitation économique et de l’esclavagisme culturel. Et quoi de mieux que de faire jouer à un catcheur (Roddy Piper) le rôle de celui qui mettra à bas le système, n’hésitant pas à utiliser la violence pour renvoyer chez eux ces ignobles colonisateurs capitalistes ? Quasiment anarchiste, profondément ironique, immensément critique, Invasion Los Angeles constitue encore aujourd’hui l’une des figurations les plus saisissantes de la critique du capitalisme, conférant au cinéma de « Big John » un doux parfum contestataire.
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Un « auteur » aussi audacieux que pragmatique
Dès le début de sa carrière, Carpenter comprend les règles d’Hollywood, et notamment le respect dû aux « auteurs » de cinéma. Dès lors, la mention « John Carpenter’s » apparaîtra devant le titre de la plupart de ses films, labelisant son propre nom, et pouvant faire de sa personnalité de cinéaste un argument commercial essentiel. Néanmoins, Carpenter partira deux fois d’Hollywood. En 1986 d’abord, après l’échec commercial des aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin, film d’aventure aussi ironique que jouissif. C’est pendant ce premier exil qu’il réalise Prince des ténèbres et Invasion Los Angeles, où le détachement à l’égard des institutions de pouvoir que sont les studios se traduit par une liberté mythologique et critique tout à fait remarquable. Après un bref retour en grâce, le cinéma de Carpenter s’« essouffle » à l’aube des années 2000. Le cinéma « n’est plus drôle », et « Big John » décide donc de lâcher prise, réalisant ce doigt d’honneur à l’industrie qu’est Los Angeles 2013 (1996), ou bien encore la série B d’apparence très Z Ghosts of Mars (2001).
Depuis, plus grand choses, si ce n’est quelques épisodes de Masters of Horror ainsi que le très superficiel The Ward (2011). Carpenter s’en fiche un peu, et il a bien raison. Désormais compositeur, le réalisateur a déjà beaucoup fait, montré et dit, marquant de son emprunte tout un pan de l’histoire de la création horrifique, mais aussi de l’histoire du cinéma. Respect.