JOURNAL DE CANNES 2024 | Jour 2 : sorties de route ou pas de côté ?
Ce jeudi 16 mai, alors que la Croisette digérait le bulldozer de George Miller, présent dans la matinée avec son équipe pour le traditionnel photocall et la conférence de presse, l’émulation reprenait et deux noms étaient presque dans toutes les bouches autour du Palais des festivals : Andrea Arnold et Francis Ford Coppola. L’une des habituées du rendez-vous cannois et le réalisateur d’Apocalypse now présentaient leur nouveau long-métrage.
C’est la britannique qui a présenté dans l’après-midi son sixième long-métrage, huit ans après American Honey. Visiblement stressée mais heureuse, Andrea Arnold a été chaleureusement accueillie dans l’immense amphithéâtre, entourée de sa troupe de jeunes comédiens (qu’elle semblait couver affectueusement du tapis rouge au lever de rideau) et de ses deux acteurs plus aguerris, Franz Rogowski et Barry Keoghan, tous deux excellents. Avec Bird, la réalisatrice de Fish tank remet à l’honneur les laissés-pour-compte en effectuant une virée plus surprenante que jamais, effectuant un pas de côté étonnant qui en aura surpris plus d’un, mais qui témoigne d’une volonté de renouveler sans cesse son art.
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À Un Certain Regard était présenté On becoming a guinea fowl de Rungano Nyoni, deuxième film du réalisateur zambien déjà accueilli à la Quinzaine. Une évocation très africaine de la maltraitance et de l’inceste au sein d’une grande famille zambienne, « qui ne fonctionne malheureusement que très peu à cause de scènes très décousues, et d’une cacophonie qui empêche l’adhésion à l’histoire et à ce groupe familial. Certaines restent très fortes et casse un tabou monumental » conclut Florent Boutet, avec lequel s’accorde Antoine Rousseau à l’issue de la séance.
Du côté de la Quinzaine, À son image de Thierry de Peretti suit une génération de Corses, tous de près ou de loin proches du militantisme nationaliste. Antonia, personnage principale du film, est une photographe qui voit l’homme de sa vie alterner passages en prison et lutte armée sur l’île. « C’est le récit de la désintégration et de la radicalisation de toute une classe d’âge. C’est assez brillant dans la démonstration et déchirant dans ce que cela dit de ce piège qu’est la lutte armée pour ces jeunes hommes, et la détresse de ces femmes qui passent leur vie à les attendre, polarisant toutes leurs existences comme spectatrices de la folie masculine » selon Florent Boutet.
Dans la section Un Certain Regard, Les damnés de Roberto Minervini, qui suit le récit d’une troupe de militaires yankees pendant la guerre de sécession marchant vers l’ouest du pays, lui a laissé un sentiment mitigé : « assez singulier dans son approche, montrer la guerre sans jamais représenter l’ennemi autrement que comme une menace invisible, et essentiellement par des dialogues. Cet aspect est assez réussi mais ça manque malgré tout de rupture de ton et de quelque chose qui créerait à la fois la surprise mais aussi mettrait du rythme pour casser une ambiance trop plate et linéaire« .
Le très attendu Megalopolis a soulevé beaucoup de débats en sortie de projection cannoise, dans nos rangs comme chez les festivaliers et journalistes, à l’image de notre ancien rédacteur et désormais confrère chez EcranLarge, Alexandre Janowiak qui y a vu « un geste audacieux expérimental complètement englouti par ses ambitions, sa décadence et aussi sa ringardise« , qualifié même de « fiasco mémorable » dans la critique publiée en ligne. Véritable sortie de route ou oeuvre hors du commun ? À la rédaction, le sentiment à chaud était paradoxal, entre impression d’avoir vu un film impossible à classer : « Coppola envoie tout ce qu’il a, ce qui lui reste ou ce qu’il a jamais eu et nous l’envoie en pleine tête sans aucune retenue » s’exclamait Florent Boutet. « C’est monstrueux, fantasque, outrancier, génial, surprenant à chaque scène, avec mille trouvailles visuelles, un casting incroyable, du cinéma pur, plus grand que la vie » formulait-il finalement quelques heures plus tard, tandis qu’Antoine Rousseau émettait l’hypothèse qu’il faudrait sans doute se repencher sur le cas Megalopolis passée la folie cannoise. Pour lui, « le film pose quantité de problèmes, mais il s’agit également d’une œuvre dont la folie ne trouve aucun équivalent à cette échelle de production.«
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Cette belle journée ensoleillée s’est terminée par la Séance de Minuit où était projeté City of darkness, dont on vous laisse découvrir la critique de Gregory Perez, qui vantait les mérites du nouveau film de Soi Cheang : « après Limbo, il confirme qu’il n’a pas son pareil pour filmer les tréfonds obscurs de nos villes où règnent les marginaux et dévoile un style qui s’apparente à une marque de fabrique aussi identifiable qu’impressionnante« .