LA BELLE ET LA BÊTE
Fin du XVIIIè siècle, dans un petit village français. Belle, jeune fille rêveuse et passionnée de littérature, vit avec son père, un vieil inventeur farfelu. S’étant perdu une nuit dans la fôret, ce dernier se réfugie au château de la Bête, qui le jette au cachot. Ne pouvant supporter de voir son père emprisonné, Belle accepte alors de prendre sa place, ignorant que sous le masque du monstre se cache un Prince Charmant tremblant d’amour pour elle, mais victime d’une terrible malédiction.
Rose flétrie.
Disney et le recyclage, c’est une histoire qui ne date pas d’hier. Ceux qui ont grandi dans les années 90 se souviennent certainement des multiples suites des grands classiques du studio qui envahissaient les rayons des magasins de vidéos. Les auto-remakes ou suites « live » apparaissent à la même époque (Les 101 Dalmatiens, Le Livre de la jungle premier film du nom). Pour autant, le processus s’est largement accéléré ces dernières années, Disney ayant bien compris que les gamins qui ont connu l’un des âges d’or du studio ont aujourd’hui la trentaine et la nostalgie de l’enfance qui va avec. S’ils peuvent en plus partager ça avec leurs propres enfants et créer une nouvelle génération de « disneyphiles », c’est tout bénef. Alice au pays des merveilles version Burton ouvre le bal en 2010, qui voit aussi sortir la suite de Tron. En 2013, Dans l’Ombre de Mary joue indirectement du même potentiel nostalgie, en revenant sur la genèse de Mary Poppins. En 2014, Maléfique revisite La Belle au bois dormant, tandis qu’en 2015 sort le Cendrillon de Kenneth Branagh. En 2016, Jon Favreau signe une nouvelle version « live » du Livre de la jungle, tandis que David Lowery réinvente Peter et Elliott le dragon.
Devant un tel phénomène, qui répond à la stratégie hollywoodienne actuelle et dont le studio aurait tort de se priver vu les recettes engrangées par cette vague de recyclage, il est cependant nécessaire de s’arrêter un temps sur l’intérêt artistique de ces nouvelles versions. Si certaines œuvres rendent habilement hommage au film d’origine (Dans l’ombre de Mary) ou font un effort de réinvention (Maléfique), la plupart du temps Disney cherche avant tout à ne pas froisser les fans en modifiant un minimum les histoires originelles et concentre avant tout son attention à soigner l’emballage, toujours techniquement irréprochable.
C’est dans un tel contexte que sort aujourd’hui sur les écrans la version « live » d’un des plus grands classiques du studio, qui fut même le seul film d’animation à être nommé à l’Oscar du meilleur film, La Belle et la Bête. Autant dire que si la stratégie marketing est logique, l’ambition artistique est, elle, audacieuse. Disney s’est tourné vers Bill Condon pour relever ce défi. Un choix qui peut paraître étonnant quant on sait que le studio s’est auparavant tourné vers des auteurs plus reconnus, mais son éclectisme et son expérience dans le domaine de la comédie musicale (Dreamgirls) et les effets spéciaux (Twilight 4 et 5) ont visiblement fait la différence. Ou peut-être sa capacité à livrer une copie bien proprette en accord avec la stratégie du copier/coller du studio. Car ne faisons pas durer le suspense plus longtemps, si La Belle et la Bête aurait pu être un tournant dans la vague de recyclage de Disney (il en avait le potentiel), il n’en est rien et cette nouvelle version fixe même plus que jamais le cadre des auto-remakes du studio : ne surtout rien changer à une recette qui a fait ses preuves.
Dire que La Belle et la Bête est un mauvais film serait cependant exagéré. En effet, il reprend à 80 % un matériau d’origine excellent, et le tout est mis en image avec une virtuosité technique hallucinante et un certain sens de l’esthétisme. Mais est-ce vraiment ce qu’on attend d’un remake ? D’autant que, même de la plus belle qualité, des images de synthèse ne remplaceront jamais la poésie d’une animation au crayon. La bête numérique ne livre pas l’émotion de la bête animée, et Lumière, Zip, Mme Samovar et Big Ben ont perdu de leur charme dans leur version « réaliste ». Dès lors, il faut trouver une plus-value ailleurs. On y croit d’ailleurs au début du film, avec deux scènes de comédie musicale réussies et emballantes. Mais La Belle et la Bête ne développera que trop peu ce parti-pris, au profit de maigres changements dans l’histoire, de nouvelles chansons inégales et de quelques scènes supplémentaires qui n’ont d’autre intérêt que de ralentir le rythme.
La poésie perdue aurait pu par ailleurs être compensée par l’émotion plus subtile et palpable des acteurs de chair et d’os, malheureusement leur champ d’action au milieu des effets spéciaux est assez restreint. Emma Watson est convaincante mais semble n’être considérée que comme un pion dans l’entreprise. Seuls Luke Evans et Josh Gad trouvent le moyen de s’exprimer entièrement. Le premier dans une caricature outrancière de l’idiot bellâtre assez savoureuse. Le second dans un rôle faussement ambigu qui débouche sur la première séquence ouvertement gay de l’univers Disney. Un quart de seconde très pudique mais qui a fait couler beaucoup d’encre et qui démontre quand même l’évolution du studio, qui assume aujourd’hui clairement une position qui était sous-entendue mais maintenue cachée dans le dessin animé de 1991.
La Belle et la Bête version 2017 n’aura donc pas résisté à la malédiction des auto-remakes Disney, qui sacrifient toute ambition artistique au profit du porte monnaie. Et quand on voit la listes des projets de productions « live » du studio, il y a de quoi avoir peur. Mulan est prévu pour l’année prochaine et le tournage d’Aladdin pour bientôt. Blanche-Neige, Le Roi Lion, Dumbo, Pinocchio et Winnie l’ourson devraient aussi voir le jour en version « live », tandis que des suites à Maléfique et Le Livre de la jungle sont déjà prévues. Même si certains ont de jolis noms prévus aux commandes (Guy Ritchie pour Aladdin, Tim Burton pour Dumbo), le passé a prouvé que ce n’était pas suffisant pour livrer un bon film. Une telle politique de planification, qui n’est pas sans rappeler celle de Marvel, ne rassure par ailleurs pas sur la qualité des productions à venir…
Fort heureusement, après un passage à vide dans les années 2000, on peut se consoler avec les productions animées du studio, dont on peut savourer aujourd’hui la qualité et l’originalité. Avant de les subir en « live » dans trente ans avec nos petits enfants ?
La fiche
LA BELLE ET LA BÊTE
Réalisé par Bill Condon
Avec Emma Watson, Dan Stevens, Luke Evans…
Etats-Unis – Fantastique, romance, musical
Sortie : 22 mars 2017
Durée : 129 min