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LAETITIA DOSCH | Interview

Après une première sélection à Cannes, dans la section Un Certain Regard, Le procès du chien était présenté en compétition du Champs-Élysées Film Festival. Nous y avons rencontré la réalisatrice suisse Laetitia Dosch, aussi actrice, autrice et metteuse en scène. Elle nous a raconté la pétillante et riche aventure qu’a été la réalisation de son premier long-métrage, une comédie aussi absurde que touchante. 

Le Bleu du Miroir : Le procès du chien aborde de nombreux questionnements, c’est un film qui semble être constamment en ébullition. Comment avez-vous organisé votre pensée lors du travail d’écriture ? 

Laetitia Dosch : J’ai suivi la logique du procès. Au départ, c’est le procès du maître, parce que le chien est assimilé à une chose. L’avocate a d’abord une réflexion sur les gens qui, avant, étaient assimilés à des choses comme des esclaves, comme dans le Code Noir. Ensuite, l’avocate prouve que le chien n’est pas une chose, alors on croit que c’est un individu et ça soulève beaucoup de questions. Et puis il y a un renversement de situation quand on se rend compte que le chien ne mord que les femmes, ça se complique. Le procès était le fil rouge, mais je voulais aussi parler des femmes. Le procès fait avancer Avril et le spectateur. C’est comme ça que ça a été écrit. 

Le film commence avec la comédie et le ton se complexifie au fur et à mesure. C’est pour ça que les choses un peu plus violentes arrivent après. La violence, elle traîne, on ne la voit pas venir. 

Il y a beaucoup de choses qui me font peur. Effectivement, mes avis évoluent très vite et sont très divergents. Et il y a beaucoup de ça dans le film.

Vous questionniez déjà le rapport aux autres espèces dans Hate, votre pièce de théâtre en duo avec un cheval. Réaliser un film vous a-t-il permis d’aller plus loin dans votre réflexion qu’au théâtre ?

Ça m’a permis de travailler avec beaucoup d’acteurs et de décors et surtout d’avoir une richesse des points de vue. Tout à l’heure, tu disais que le film était en ébullition, c’est aussi parce qu’il y a plein de points de vue qui s’affrontent et ça, c’est génial, je trouve. Il y a des personnages complètement différents et qui ont des points de vue très différents sur ce pauvre chien que personne n’arrive vraiment à juger ni à comprendre.

Pouvez-vous nous parler du casting de Kodi et des spécificités de tourner avec un chien ? 

J’ai beaucoup voyagé en France, j’ai rencontré plein de dresseurs, j’ai vu plein de chiens. Je cherchais aussi une certaine façon de travailler avec l’animal qui me correspondait. Je voulais que ça se passe toujours dans la joie et qu’il soit vraiment protégé. Et finalement la Compagnie Dog Trainer, qui fait du cirque, du spectacle vivant et du cinéma, m’a écrit. Ils m’ont entendu à la radio, je disais que j’allais passer la journée en casting de chien. Je suis allée sur leur site, il est ultra branché, il y a des bandes démos de chiens. Ils adorent leurs animaux et c’est très chouette.

Le film a été un peu réécrit pour Kodi, puis on a beaucoup répété avant le tournage. Et finalement, il était prêt et ultra pro, ça s’est passé assez facilement. C’était un plaisir de travailler avec un chien.

Comment Kodi a-t-il appris à hurler pour le film ? On pense notamment à la scène dans laquelle Cosmos entend sa chanson préférée en voiture, qui est très surprenante. Le titre de Véronique Sanson était-il présent dès le début de son apprentissage ? 

En réalité, non, la chanson n’a pas déclenché ses hurlements, désolée. (rires) Les cris de loups non plus, et ce qui est assez marrant, c’est quand je montre le film à des gens qui ont des chiens, les cris de loups font réagir les chiens. Mais avec Kodi ça ne fonctionnait pas. On ne savait pas si on allait y arriver ou si on allait devoir utiliser des VFX. Et finalement, on a réussi à faire réagir Kodi en imitant des petits cris de chatons. Quand tu vois le chien hurler dans le film, sur le plateau, il y avait quelqu’un dans un coin qui imitait le chaton.

le procès du chien

On éprouve beaucoup d’empathie pour Avril, le personnage que vous interprétez, notamment parce qu’elle est imparfaite. Comment lui avez-vous donné cette profondeur ?

J’aimais bien les personnages un peu atypiques. Je trouve que c’est une force d’être atypique, surtout quand, comme Avril, on ne sait pas qu’on l’est. Ce n’est pas une avocate classique et ça me plaisait. Elle est maladroite, elle a ce problème de voix, elle n’arrive pas à parler comme elle est. Elle se trafique toujours devant les gens, elle n’arrive pas à être elle. Et finalement, je pense que ce qui lui permet d’être elle, c’est sa pensée qui évolue, les liens qu’elle crée, la façon dont elle se reconnaît dans le chien. C’est d’avoir des convictions.

Après, je pense que j’ai le point de vue d’une femme de mon âge. J’ai grandi avec des codes qui mettaient les femmes en retrait par rapport aux hommes. Le repère c’était l’homme quoi. J’ai été éduquée comme ça, mais maintenant on est dans une époque complètement différente. Et moi, je suis hyper excitée de tout ça, je trouve ça magnifique, mais je n’ai pas tout à fait les codes, les réflexes. Je suis encore un peu dans l’ancien monde.

Et elle est aussi entourée de personnages très outranciers qui prennent beaucoup de place, que moi, j’adore parce que je les trouve libres, vulgaires, différents, comme les personnages de Pierre Deladonchamps ou François Damiens. Ce ne sont pas du tout des personnages de notre époque, mais plutôt des comédies d’il y a quelques années. 

Sa pensée semble évoluer tout au long du film, guidée par un besoin de changement : au départ, c’est elle-même qu’elle veut changer, puis c’est le chien et finalement le monde. Cette évolution est-elle le reflet du questionnement que vous souhaitez susciter chez le spectateur ? 

Oui. En fait, le cas du chien, elle ne devrait pas l’accepter, car on lui demande d’arrêter de défendre les causes perdues. Et finalement, elle l’accepte parce que le maître et le chien se font des petits bisous quoi. (rires)

Le fait qu’elle veuille changer le chien, c’est inspiré de Chien Blanc, le livre de Romain Gary. C’est l’histoire d’un chien raciste et d’un homme qui se donne pour mission de changer le chien, comme s’il voulait changer le monde à travers ce chien. Pour lui, ça devient une obsession de changer le chien. Ça m’a toujours beaucoup bouleversée et je voulais un petit peu raconter ça. 

Et l’envie de changement d’Avril vient surtout d’une envie d’égalité, contre l’exploitation, pour le respect des autres espèces. Elle découvre ça et comprend son lien avec ça.

En parallèle de la trajectoire d’Avril, on observe aussi celle de Lorene, victime de morsure. Pour vous, dans le contexte judiciaire, les victimes subissent-elles certaines injonctions ? 

Merci d’en parler, personne n’en parle jamais. Oui tout à fait. Toute la société s’attend à ce que ce soit une pauvre femme immigrée, une pauvre victime paumée. Alors que ce n’est pas du tout le cas. Et à la fin, c’est elle qui porte le message féministe du film. C’est une femme qui veut d’abord se faire refaire le visage comme Angelina Jolie et qui finit par garder sa balafre et garder des moutons avec un chien. (rires)

Pour vous, la tragi-comédie, c’est ce qui ressemble plus à la vie ? 

Oui, c’est tout le temps mouvant. Mais c’est aussi passer par plein de comédies différentes : de vocabulaire, de situation… Pouvoir être libre de changer de ton. En tout cas, je me sens bien dans ce registre. Et c’est vrai que mes journées peuvent ressembler à ça.


Entretien réalisé et retranscrit par Marie Serale

Remerciements : Le Champs-Elysées Film Festival, Le Publicis, Alexis Rubinowicz, Laetitia Dosch
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