Le Quarante et unième et La Ballade du soldat : 2 films de Grigori Tchoukhraï édités par Potemkine
Né en 1921 et décédé en 2001, Grigori Tchoukhraï a réalisé seulement 8 films entre 1956 et 1984, mais a marqué de son empreinte le cinéma soviétique, avec notamment les deux longs-métrages qui font l’objet de cet article. Ayant servi dans les parachutistes durant la seconde guerre mondiale et ayant été décoré durant ce conflit, Tchoukhraï s’inscrit à l’Institut National du Cinéma et intègre ensuite les studios Mosfilm où il devient réalisateur. Ses deux premiers films Le Quarante et unième et La Ballade du soldat appartiennent à une période de déstalinisation du cinéma soviétique. On y découvre des personnages moins stéréotypés et à l’individualité plus forte que dans des œuvres antérieures et s’apparentant parfois à des films de propagande. Ici, il est bien sûr question de révolution et du prolétariat (Le Quarante et unième) ou de l’héroïsme face à l’ennemi nazi (La Ballade du soldat). Mais tout n’est pas forcément idyllique ou manichéen.
Le Quarante et unième (1956) se déroule pendant la guerre civile au Turkestan. Un officier de l’armée blanche est fait prisonnier par des éléments de l’armée rouge. Parmi ces derniers, une femme, Marioutka, tireuse d’élite, a déjà abattu quarante soldats blancs. Après avoir traversé une partie du désert, le groupe embarque sur la mer d’Aral, mais une tempête isole Marioutka et son prisonnier sur une île. Une attirance rapproche la combattante rouge, à la carapace plutôt solide en apparence et assez agressive et l’officier blanc, ironique et provocateur mais qu’on découvre plus sentimental que réellement belliqueux. Mais leur différence de point de vue va peut-être entacher leur idylle naissante. Si l’officier de l’armée blanche semble accepter de faire passer ses idéaux ou du moins l’intérêt de son camp après ses sentiments, la jeune femme apparaît comme plus radicale, voir obstinée et en conflit avec elle-même et son attachement.
Tourné en Sovcolor, procédé proche du Technicolor, ce premier film de Grigori Tchoukhraï pouvait être considéré comme un coup de maître, une œuvre tout à fait réussie. L’extraordinaire beauté plastique du film, son déroulement sans temps mort et sans simplification psychologique toutes ces qualités contribuent à en faire un long-métrage passionnant. Même après la fin de cette histoire tourmentée, difficile de tirer des conclusions hâtives. Les avis des spectateurs seront sûrement partagés concernant les choix ou non choix des deux protagonistes, à savoir faire ou non passer les sentiments – ou l’attraction charnelle – avant ses idéaux ou ceux de sa caste.
Réalisé en 1959, La Ballade du soldat a lui été tourné en noir et blanc mais avec tout autant de recherche esthétique. Durant la seconde guerre mondiale, un jeune soldat soviétique obtient une permission exceptionnelle de six jours, récompense liée à un fait d’armes considéré comme héroïque. Le jeune homme a préféré cette autorisation plutôt qu’une médaille. Il souhaite visiter sa mère et réparer le toit de la demeure familiale. Les six jours de cette permission s’expliquent par la durée du voyage pour rejoindre sa mère – l’aller et retour devraient déjà lui en prendre quatre. Le périple du soldat sera long, plus compliqué que prévu. Il rencontrera des difficultés, des oppositions, des désillusions sur la nature humaine et l’amour mais également une jeune femme déjà fiancée dont il s’éprend.
Comme dans son précédent film, Grigori Tchoukhraï met vraiment l’accent sur l’humain, délaissant la tentation d’un patriotisme trop outrancier ou de consacrer trop de scènes à la description de la guerre en elle-même. On assiste à beaucoup de très belles scènes relatives à ceux qui restent à l’arrière et plus particulièrement à celles qui restent à travailler quand les hommes sont au front. Des femmes courageuses et opiniâtres ou esseulées et en proie à la tentation de l’infidélité. Plusieurs personnages secondaires sont très bien dessinés, prennent une certaine épaisseur, même en peu de scènes, comme cet invalide de guerre qui appréhende le retour au foyer auprès d’une femme jeune et pleine de vie.