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LETTRES DE CINÉMA

La Cinémathèque française a demandé à ses membres de lui adresser, pendant la période de confinement, des « lettres de cinéma » qu’elle met régulièrement en ligne. Cinéastes chevronnés, acteurs, monteurs et producteurs, musiciens ou étudiants ont joué le jeu, fabricant, avec les moyens du bord, des petits films qui saisissent, interrogent ou contournent le réel. À l’heure où nous écrivons, 80 lettres sont publiées.

Nous pouvons lire le beau courrier d’invitation, signé Costa-Gavras et Frédéric Bonnaud, dans le film de la compositrice Béatrice Thiriet :

« Pour s’en sortir ensemble et tenter de comprendre un peu de ce qu’il nous arrive et comment le surmonter, nous avons besoin plus que jamais d’expériences partagées (…) nous avons besoin de films, de films courts, très courts, de films brefs comme un message. Nous avons besoin de vos films parce que nous avons besoin que le cinéma ne s’arrête pas tout à fait. 

Des films de temps de crise, des films d’aujourd’hui sur ce qu’il vous importera de montrer, de raconter, de dire ou de crier. »

Il est loisible de découvrir les films dans un ordre aléatoire, en prenant le temps de butiner au gré des envies. L’ensemble des films compose un puzzle perecquien et ce n’est pas la moindre des sidérations que de voir se tisser entre eux les fils d’une future mémoire collective. Le temps donnera une autre dimension à ce corpus d’images que l’oeil contemporain parcourt déjà avec le sentiment de partager une expérience du monde confiné. Autant de réalisateurs/réalisatrices, autant de points de vue, autant de fenêtres (au sens propre la plupart du temps) sur un monde au ralenti. Petit tour d’horizon, non exhaustif.

On peut tourbillonner avec Philippe Muyl ou au contraire se laisser hypnotiser par les longs plans fixes de Ghassan Salhab. Le sénégalais propose deux cartes postales de Beyrouth au cœur desquelles les mots des poètes (Bernard Noël, Pèkisyon Funefri et Samuel Beckett) soulignent une inquiétante étrangeté.  

La littérature est la matière première de plusieurs contributions. Tandis que Jenn Meeus propose un très touchant montage d’images sur l’Inventaire de Jacques Prévert, Jean Rousselot filme un Paris désert en récitant Lamartine, Anne-Sylvie Meyza et Benjamin Lauber ont choisi les mots d’Aragon dans un clip malicieux et sensuel. Jean-Louis Trintignant récite La Fontaine, Prévert et autres dans un dispositif aussi nu que touchant.

La langue au cœur du cinéma mais aussi les images au centre des lettres. Clément Schneider s’interroge : Qu’est-ce qui dans cette mousson d’images, vaut d’être montré ?

Film de montage pour Nicolas Saada, extraits de films à identifier. Jeu pour cinéphile mais aussi petite histoire des personnages à la fenêtre. Le film commence par une scène de manifestation et se conclut par un regard caméra bouleversant, tout comme Mia Madre de Nanni Moretti, hasard ou dédicace cachée ? Cinéphilie suite, les antononiens se précipiteront sur le film de Quentin Lestienne alors que les Hitchcockiens préfèreront celui de Mustapha Sedjal. Les hawksiens ne seront pas déçus par Luc Béraud, et les markeriens ne doivent pas rater le très beau film de Joël Farges : « il comprit, comme un cinéaste l’avait prophétisé avant lui, qu’on ne s’évadait pas du temps ».

Durant cette période de tanière, certains ont replongé dans les archives. Superbe travail de Mikael Buch qui, sur un montage d’images documentaires tournées par son grand-père, dit l’émotion qu’elles lui procurent aujourd’hui. C’est une bonne expérience de regarder le film deux fois, une première fois sans le son pour saisir la valeur des images, la sidération devant les pêcheuses de perles du Japon, la désolation à Agadir après le séisme de 1960 ; une seconde fois avec le son pour comprendre l’origine de ces images, le sillon mémoriel creusé par le cinéaste qui, au-delà d’une opposition entre fiction et réel, dessine à la fois une bouleversante intimité généalogique et un hymne à la tolérance.

Hommage au père pour Stéphane Guénin avec un malicieux montage parallèle entre le passé des 24h du Mans et le présent miniature. 

Le contexte du confinement est diversement évoqué. Le voisinage est conflictuel chez Laurent Heynemann, cuieux chez Marie Vermillard, empathique chez Nicole D.-V. Berkmans. Evelyne Dress filme les applaudissements de 20h. François Margolin et Robert Bonamy évoquent le deuil. Le premier filme l’enterrement d’une grande-tante, le second dit la rage provoquée par les mesures gouvernementales et l’impossibilité d’accompagner ses morts : « nous sommes dépossédés de nos défunts ».

Pour une note plus optimiste on prendra rendez-vous avec Nicolas Maury et Luc Béraud. Le premier offre une chute de son premier film de réalisateur dont on attend la sortie. Le second nous informe de la parution en septembre d’une monographie sur le grand directeur de la photographie Pierre Lhomme, décédé l’an dernier. 

Et l’on pourra conclure avec d’une part les jeux d’ombre, métaphores du déconfinement, de Jean-Marie Dreujou (somptueux) et Anthony Blanc (doux) et d’autre part avec la jolie pochade de Bertrand Van Effenterre qui imagine le premier anniversaire du confinement. La bougie soufflée, retour au noir. Celui des salles obscures, bientôt ? 

S’il fallait n’en retenir que 5 (ou 6)

Les deux films de Luc Béraud, le second, La Vérité sur l’affaire des 3 panos, étant le making of du premier, Enfermé dehors : les plus drôles 

Manivelle de Jean-Marie Dreujou : le plus beau

Lettre Cinémathèque de Mikael Buch : le plus émouvant

Quarantine Inventory de Jenn Meeus : le plus habile

Nous dormirons ensemble de Anne-Sylvie Meyza et Benjamin Lauber : le plus sympathique


Chaque jour, dans les Séances Buissonnières, un membre de l’équipe vous recommande un film disponible actuellement en VOD / SVOD