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LUDOVIC ET ZORAN BOUKHERMA | Interview

Quatre ans après leur premier film Willy Ier, les deux frères Ludovic et Zoran Boukherma reviennent sur grand écran avec Teddy, à la fois film de loup-garou, drame social et comédie satirique. L’occasion de revenir sur leur amour du cinéma de genre et leur Lot-Et-Garonne natal. Rencontre.

Teddy, c’est un film de loup-garou, mais c’est aussi votre premier film de genre. Quelle a été la genèse de ce projet ? 

Zoran Boukherma : Après Willy Ier, on a mis du temps à savoir quel serait notre prochain projet. Il y a toujours une sorte de pression avec le deuxième film, on se demande si on doit continuer dans la même voie. On a fait six, sept versions du scénario, et on n’y arrivait pas. Et puis on est partis en vacances dans le Jura en famille et, pour décompresser, on s’est dit qu’on allait tourner un petit court-métrage au téléphone portable. On avait avec nous des déguisements de farces et attrapes, des mains et un masque de loup-garou et on s’est lancé avec Christine [Gautier] dans un petit film d’horreur comme quand on avait douze ans, juste pour s’amuser. Du coup, on a mis de côté le long-métrage qu’on était en train d’écrire et on s’est lancés dans un film de loup-garou. 

Quand on était petits, notre mère était super fan de Stephen King, elle nous lisait des nouvelles de Rêves et Cauchemars, on regardait les Contes de la Crypte, et on adorait ça. Donc on a voulu retrouver un peu nos premiers amours de cinéma avec ce film. Quand on débute, on a toujours l’impression qu’il faut avoir des bonnes références. Or, nous on vient de milieu assez populaires, donc on avait l’impression qu’il nous manquait plein de références et de classiques à avoir. On s’est aussi demandé quelles étaient les nôtres et ce qu’on aimait au cinéma. On aime beaucoup les films un peu kitsch des années 80, les Freddy, Wes Craven et les Carpenter. Donc pourquoi pas faire notre propre film de genre.

On a choisi le loup-garou parce qu’on s’est rendu compte qu’il y avait une résonance particulière avec l’actualité. Si on prend une structure de loup-garou classique, le début de la griffure, la mutation, l’attaque et la mort du personnage principal, et qu’on la transpose en 2020, ça devient déjà quelque chose de différent par rapport aux histoires de loup-garous des années 70/80. On trouvait qu’il y avait une vraie pertinence à faire cette histoire aujourd’hui. 

Ludovic Boukherma : En même temps, on ne voulait pas pasticher le cinéma de genre américain. Faire un film en France qui en reprendrait tous les codes, ça ne fonctionnerait pas car on n’a pas la même culture et ça sonnerait faux. On voulait justement amener ce genre très américain dans la France des campagnes qu’on a connu quand on était gamins. 

Il y a toujours un décalage avec ce qu’on voit au cinéma et la réalité du milieu rural.

Vous avez un regard assez inédit sur la ruralité, qu’on retrouve par comparaison chez Bruno Dumont. Vous représentez la campagne avec dérision, humour, sans mépris et vous la transformez en un paysage de cinéma. Qu’est ce qu’elle vous inspire cette ruralité ?

L.B : Je pense que c’est vraiment notre expérience de la ruralité. Jusqu’à nos 18 ans, on a vécu dans un tout petit village dans le Lot-Et-Garonne. Je trouve qu’il y a toujours quelque chose de drôle dans ce milieu, un espèce de décalage constant. Dans une cérémonie par exemple, le maire va bafouiller. C’est toujours moins grandiloquent, les choses sont un peu moins bien faites.

Z.B : En grandissant dans un milieu populaire, on se rend compte qu’au cinéma, les cérémonies sont toujours très carrés, alors que dans la vraie vie, c’est toujours un peu foireux. Il y a toujours quelqu’un pour se tromper de piste sur le poste de radio par exemple. Il y a toujours un décalage avec ce qu’on voit au cinéma et la réalité du milieu rural.

L.B : Quand on était petits, on détestait cet endroit. On s’y ennuyait beaucoup et on avait qu’une envie, c’était de partir. À douze ans, on rêvait juste de partir en ville. En regardant tous ces films américains, on se disait que, plus tard, on habiterait aux Etats-Unis. Et maintenant qu’on habite à Paris, tout ce qu’on a envie de filmer, c’est au final tout ce qu’on a voulu fuir. On espère qu’on arrive à retranscrire une certaine tendresse, car c’est vraiment comme ainsi qu’on la voit aujourd’hui. 

Et comme Dumont, on aime travailler avec des acteur.ice.s non-professionnel.le.s. C’était entièrement le cas dans Willy Ier et, dans Teddy, on a voulu caster des gens qui ne sont pas du tout comédiens pour avoir leur accent, leur authenticité. 

Teddy, c’est un personnage assez atypique, d’abord particulièrement violent mais qui révèle peu à peu une certaine douceur. Qu’est ce qu’Anthony Bajon apporte à ce personnage, et comment l’avez vous dirigé ? 

Z.B et L.B : Une certaine tendresse ! 

Z.B : Sur le papier, c’est un personnage qui est très dur, très irrévérencieux. La première scène s’ouvre sur lui, il insulte tout le monde, il roule vite, il fait plein de bruit. Ça a été une vraie question : comment faire pour que le spectateur s’attache à ce personnage et qu’il soit potentiellement ému par ce qu’il lui arrive, sans se dire que c’est finalement qu’un film horrible sur un mec épouvantable. La rencontre avec Anthony a un peu débloqué tous ces problèmes. Il dégage une certaine tendresse et on s’est dit qu’immédiatement les spectateur.ice.s seraient en empathie avec lui et qu’il pourrait avoir cette irrévérence sans être repoussant. C’est grâce à lui qu’on arrive autant à s’identifier à ce personnage. 

Il y a un vrai travail sur le langage, qui paraît très oral et populaire et qui n’apparaît pas forcément comme un langage de cinéma. Comment avez-vous écrit votre film ? 

Z.B : On est assez carrés là-dessus, je pense. On dialogue beaucoup et on aime que ce soit assez précis. On laisse dans certaines scènes les acteur.ice.s professionnel.le.s se réapproprier les répliques et déborder du cadre. En revanche, pour les acteur.ice.s non-professionnel.le.s, c’est un peu différent. Par exemple, Ludovic Torrent, qui joue Pépin, ajoute du naturel et une part de lui-même, avec sa manière de parler et d’être dans l’espace, ses mots. 

L.B : On voulait vraiment que le film se passe dans le Sud-Ouest, et avec Zoran on a l’habitude de se faire les répliques nous-mêmes, avec l’accent. C’est une musique qu’on veut retrouver et qu’on a dans la tête, tout simplement parce qu’on l’a entendue toute notre enfance. 

Z.B : On a tendance à imiter les personnages pour les écrire. On a besoin de les imaginer, sans forcément penser aux acteur.ice.s qui pourraient les interpréter. 

L.B : Inconsciemment, on calque sur tous les gens qu’on a connu. On aurait sûrement du mal à écrire un film qui se passerait dans une région qu’on ne connaît pas.


Propos recueillis et édités par Amandine Dall’omo pour Le Bleu du Miroir


Remerciements : Olivier Vigerie (crédits photo portrait) et Festival de Deauville 2020