LUMIERE 2019 | Jour 9 : Coppola dans la Lumière à la clôture
La 11e édition du Festival Lumière se déroule du 12 au 20 octobre 2019 à Lyon. Nos deux chroniqueurs, Fabien Genestier (qui couvre l’événement depuis plusieurs années pour Le Bleu du Miroir) et François-Xavier Thuaud (qui arrive en renfort avec grand enthousiasme) rendent compte quotidiennement des (re)découvertes sur grand écran et des rencontres avec les prestigieux invités du festival…
Jour 9 : Coppola éteint les Lumière(s) du Festival
Le Festival Lumière s’est refermé ce dimanche 20 octobre après neuf jours intenses de cinéma. Comme chaque année, c’est à la Halle Tony Garnier qu’il s’est clôturé. Cinq mille spectateurs étaient présents pour rendre hommage au Prix Lumière 2019, Francis Ford Coppola, venu les saluer en compagnie de son épouse Eleanor et d’Aurore Clément, qui figure au casting d’Apocalypse Now, projeté pour l’occasion.
Après un montage retraçant l’extraordinaire filmographie du cinéaste américain, l’actrice française a tenu à dire quelques mots à Francis Ford Coppola. « Apocalypse Now est devenu un monument du patrimoine mondial. Un film mythique sur lequel tant de choses ont été dites ou écrites qu’il n’est jamais simple d’en parler. Alors je voudrais juste évoque la fraternité de plus de 40 ans qui unit Francis Ford Coppola à mon mari, Dean Tavoularis, qui a été le directeur artistique des films de Francis, et en particulier de ce film-là, sur ce tournage qui fut si épique, une aventure hors normes. Ils ont été frères d’âmes. Oui, deux frères d’âmes. A la guerre on dit de deux soldats qu’ils sont frères d’armes. Au cinéma on ne fait pas la guerre mais il faut se battre pour faire naître un film comme celui-ci. Et sur ce film si important qui a germé dans l’esprit de Francis, ils ont été frères d’âmes, côte à côte. Dean Tavoularis a passé deux ans de sa vie aux Philippines pour accompagner la maestria de Francis et ensemble, portés par la vista de Coppola, ils ont offert au monde le plus grand film contre la guerre. Je suis si fière d’y être associée et d’avoir tenu ce si beau rôle. Cet après-midi, j’ai une pensée pour mon mari qui est à Los Angeles et une gratitude éternelle envers Francis Ford Coppola. Vous êtes l’un et l’autre mes frères d’âmes. »
C’est ensuite Bertrand Tarvernier qui a pris la parole pour revenir sur cette semaine « exaltante ». « Voir des films comme ceux que j’ai vus vous donne dix ans de courage. Comme il est dit dans ce très beau film qu’est Tucker (Tucker : L’Homme et son rêve de Coppola, ndlr), les rêves sont contagieux. Je pense que vos rêves, tous ceux auxquels j’ai assisté durant cette semaine, sont contagieux. Merci de les avoir rêvés. »
Francis Ford Coppola s’est à son tour exprimé pour expliquer rapidement les origines du Final Cut d’Apocalypse Now, troisième version de son chef-d’œuvre. Pour les 40 ans du film, un hommage devait être organisé à New York. On a alors demandé au cinéaste quelle version il préférait voir projetée, l’originale, écourtée contre son grès, ou la version Redux remontée des années plus tard mais un peu trop longue à son goût. « Je me suis dit que pour le montrer sous son meilleur jour il fallait trouver une juste mesure, et c’est cette version que je partage avec vous aujourd’hui. »
Le cinéaste américain a ensuite quitté la salle en faisant un tour d’honneur pour remercier son public qui l’acclamait, debout.
Cette séance de clôture s’est donc terminée par la projection de la toute dernière version d’Apocalypse Now, dans une superbe copie restaurée 4K. Et même pour ceux qui avaient déjà vu le film, même plusieurs fois, le revoir sur un écran géant en compagnie de 5 000 personnes vibrant au son des hélicoptères, des bombardements et de la musique des Doors qui faisaient trembler toute la Halle Tony Garnier, l’expérience ne pouvait être que nouvelle, unique. Un voyage aussi beau qu’éprouvant, aussi envoûtant que violent, aux confins de la folie des hommes, au cœur des ténèbres.
En 1957, Cayatte sort de son cycle judiciaire et cherche à se renouveler. Il tourne pour la première fois en couleur, et surtout décide d’adapter un roman de Vahé Katcha avec lequel il abandonne son ton revendicatif au profit d’un thriller psychologique.
Au Liban, un médecin français, après une longue journée, refuse de prendre en charge une femme malade dont le mari vient de frapper à sa porte. Il les renvoie vers l’hôpital, mais arrivant trop tard à cause d’une panne, la femme ne survit pas. Le médecin commence à être rongé par la culpabilité, tandis que le veuf s’enfonce dans une tristesse vengeresse.
La première partie du film est dictée par une narration classique où l’affrontement entre les deux protagonistes principaux est encore sourd et se confond avec celui, latent, qui existe entre les Français colonisateurs et les Libanais colonisés. Cayatte reste donc en partie fidèle à son habitude de traiter de sujets délicats. La question de la colonisation n’est en effet que très rarement évoquée, surtout aussi frontalement, dans le cinéma français au moment de la Guerre d’Algérie.
Mais le film va finir par s’échapper de cette narration traditionnelle dans une seconde partie plus métaphysique, où le veuf va perdre le médecin en plein désert. Peu à peu, Cayatte instaure un climat de violence psychologique, le désert qui s’étend à perte de vue devient oppressant. La torture mentale des personnages devient physique. Cayatte veut faire vivre au spectateur, par procuration, le poids du remords et celui de la douleur sans fin. Cayatte pousse le curseur à outrance et montre comment, privés de toute raison, les sentiments peuvent pousser l’homme aux pires cruautés. La tension d’abord dramatique puis psychologique devient viscérale, et laisse le spectateur vidé quand le mot « Fin » apparaît sur l’écran.
Fabien Genestier
Bellocchio et Doillon, grands débuts, débuts de grands
Le Festival touche à sa fin et l’on a choisi, pour nous accompagner vers la sortie de se replonger dans les premiers pas de deux grands réalisateurs invités cette année, Marco Bellocchio et Jacques Doillon.
Les poings dans les poches, 1965
Une demeure familiale dans la campagne proche de Piacenza. Épileptique, le jeune Alessandro vit entouré de sa mère aveugle, de son frère aîné Augusto qu’il admire, de sa sœur Giulia à qui il voue un amour coupable et de son frère Leone, épileptique lui aussi et retardé. Pour mettre un terme à l’oppression familiale, Alessandro se convainc que la seule solution est d’éliminer les inutiles.
À 25 ans, au sortir des études, Marco Bellocchio préfère se lancer directement dans l’expérience d’un premier film plutôt que de suivre le parcours classique des gammes de l’assistanat. En résulte un premier film fort, geste artistique remarquable et remarqué, creuset d’une filmographie qui évoquera souvent les liens familiaux toxiques, les pathologies psychiatriques et la claustrophobie sociale.
Dans le huis clos d’une maison familiale, les quatre enfants et la mère occupent un espace commun telles les substances actives et passives d’un médicament qu’une chimie capricieuse transformerait en venin. Bellocchio s’inscrit dans l’élan révolutionnaire qui agite la jeunesse des années 60. Il ausculte la cristallisation d’un pourrissement à travers un jeu de plans composés d’angles et de musiques cinglantes (signées Morricone !). L’urgence d’une fin doit laisser place à un nouvel élan. La relation entre Alessandro et Giulia rappelle Les enfants terribles de Jean-Pierre Melville (d’après Cocteau) mais le ton et la forme du film sont en rupture avec toute forme de classicisme. Oeuvre de jeunesse jusque dans ses excès, Les poings dans les poches n’a rien perdu, plus de cinquante après, de sa force. Pieds joints sur le cercueil de sa mère, Alessandro semble attendre avec un brin d’ironie le cinéma de Xavier Dolan.
Un sac de billes, 1975
Paris, 1941. Les Juifs reçoivent l’ordre de porter une étoile jaune. Parmi eux, Joseph et Maurice Joffo, deux garçons de 10 et 12 ans, qui fuient vers la zone libre, direction Menton, avec chacun 1000 francs en poche. Ils errent bientôt, livrés à eux-mêmes, entre uniformes, voix ferrées, fusils et murs de prison. Faisant tous les métiers, ils s’accrochent à l’existence dans ce monde hostile, mais n’en restent pas moins des enfants espiègles.
Jacques Doillon a déjà réalisé L’An 01 et Les doigts dans la tête quand il est choisi, aidé en cela par François Truffaut, pour réaliser l’adaptation du célèbre roman de Joseph Joffo (Un sac de billes) que Claude Berri produit. S’il ne s’agit pas d’un film personnel, on voit assez bien ce qui a conduit Doillon a accepter la commande : l’enfance dans tous ses tourments mais également dans toute sa splendide force. Avant d’accepter, il a posé comme condition de pouvoir choisir les jeunes comédiens qui interprètent les deux frères Joffo. La réussite du film tient beaucoup dans leurs exceptionnelles prestations. Leur complicité à l’écran renforce le tandem qu’ils composent, au sein duquel se joue bien sûr la survie dans la tempête de l’Histoire mais aussi se nouent les rivalités de l’adolescence entre jalousie et admiration. Peintre de l’enfance et de l’adolescence, ses frémissements et ses heures tragiques, Doillon le sera tout au long de sa carrière, du Jeune Werther au Petit criminel, de Ponette à La Fille de 15 ans.
Il était très touchant d’assister à la projection du film (parfaitement restauré), dimanche matin à Lyon en compagnie de parents venus le présenter à leurs enfants qui avaient l’âge des protagonistes. La mémoire véhiculée par le livre trouve ici un précieux éclairage à travers l’inlassable vitalité de ces deux gamins.
FX Thuaud
Jour 8 : Amours chiennes, chien hurlant…
Le Festival Lumière rend cette année hommage à l’acteur mexicain, Gael García Bernal. L’occasion de revoir notamment son premier film, Amours chiennes, premier long métrage également d’Alejandro González Inárritu.
L’acteur, venu présenter le film, est revenu sur l’expérience toute particulière qu’a été le tournage d’Amours chiennes, il y a 20 ans. « C’est la première fois que j’ai tout donné pour un film. Sur l’invitation d’Alejandro González Inárritu qui à l’époque n’était encore qu’un DJ à la radio, je me suis échappé de l’école de théâtre Il a fallu trouver une excuse, on a dit que j’avais une maladie tropicale. C’était une époque encore non connectée, on pouvait mentir sans se faire attraper. » Gael García Bernal se souvient qu’il était alors fasciné par le cinéma. « Il y avait un mystère autour du cinéma, car à l’époque il n’y avait que quelques films qui sortaient par an au Mexique. Les films mexicains étaient très peu diffusés. C’est étrange car il y a 70 ans au Mexique on faisait plus de 100 films par an. »
« Le résultat de tout ce processus est un film qui retrace cette urgence, qui a dessiné une nouvelle géographie, un nouveau cinéma pour le Mexique, c’est une manière de raconter qui n’existait pas encore dans le cinéma espagnol. Dans cette géographie sont apparus des nouveaux visages, Guillermo Arriaga, le producteur, Alejandro González Inárritu, et tout un tas d’acteurs dont moi. C’est la première fois que j’ai vu mon visage sur un grand écran, à Cannes, à la Semaine de la critique, j’ai pleuré du début à la fin car je ne croyais pas qu’on ait pu faire ce film et que des gens soient là pour le voir. »
« C’est un film chargé d’espoir, du désir qu’on avait à l’époque de changer les choses. Le film contient un énorme appel à la liberté, à cette nouvelle manière de raconter des histoires et on était heureux que notre appel puisse être entendu. »
Amours chiennes remportera le Grand Prix de la Semaine de la critique et sera nommé à l’Oscar du meilleur film étranger, plaçant d’emblée Alejandro González Inárritu sur le devant de la scène internationale. Pour un premier film, il est en effet particulièrement ambitieux, par sa façon de suivre sur 2h30 le destin de plusieurs habitants de différentes classes sociales dans la mégalopole Mexico, à travers trois récits qui s’entremêlent. Violent, âpre, Amours chiennes est brut, la confusion des êtres s’y mêle à celle de la ville. Tous ses protagonistes sont sur le point de basculer, et se raccrochent aux dernières branches qui leur restent dans un espoir de rédemption.
Et ce qui frappe dès les premières images, c’est que tout le style de Bong Joon-ho est déjà là. Avec son histoire improbable, débutant avec un homme exaspéré par les aboiements incessants d’un chien dans son immeuble et qui décide d’y mettre fin, Barking dog porte incontestablement l’empreinte de son auteur. Le récit peut sembler au départ étrange, hasardeux, loufoque, mais prend très rapidement un sens, devient fluide, dirigé par une main (déjà) de maître. Avec son cynisme habituel, son humour noir, sa fantaisie, Bong Joon-ho dresse le portrait de la Corée du Sud du début des années 2000, à travers les récits des multiples habitants, tous finement brossés, d’un immeuble de la classe moyenne de la banlieue de Séoul. L’humanité est mise à mal mais Bong Joon-ho, fidèle à lui-même, ne se pose pas en moralisateur, ne blâme personne, tout du moins pas ses protagonistes, victimes d’un système. La critique politique et sociale est bien au cœur de Barking dog, plus encore peut-être que dans les autres œuvres du réalisateur, même si, comme dans ses autres films, elle se fond dans une narration où l’histoire et les personnages restent primordiaux.
Visuellement parlant, Barking dog porte aussi l’empreinte de son auteur. Le réalisateur livre notamment quelques séquences déjà mémorables. Un long et lent travelling compensé, une scène de promenade où la fumée envahit peu à peu l’écran pour noyer le personnage, et une course poursuite démente dans les couloirs extérieurs d’un immeuble qui alterne à merveille des plans d’échelles différentes.
Barking dog est un film particulièrement réussi pour un premier long, qui sous-tend toute la filmographie à venir de son cinéaste.
Fabien Genestier
Jour 7 : Remise du Prix Lumière à F.F. Coppola
Après Clint Eastwood, Milos Forman, Gérard Depardieu, Ken Loach, Quentin Tarantino, Pedro Almodovar, Martin Scorsese, Catherine Deneuve, Wong kar-wai, et Jane Fonda, Francis Ford Coppola est devenu vendredi soir la 11e personnalité du cinéma à recevoir le Prix Lumière.
La soirée fut joyeuse, le cinéma français était bien représenté, c’est Nathalie Baye (pour la première fois au festival) et Alain Chabat qui remportèrent le jeu de l’applaudimètre mais Vincent Lindon, Marina Foïs, Laurent Lafitte, Anaïs Demoustier, Emmanuelle Devos, Hippolyte Girardot, Delphine Gleize et bien d’autres encore, toutes et tous furent accueillis chaleureusement par les 3 000 privilégiés du public bien décidés à ne pas épargner ses paumes.
Rompu à l’exercice, Thierry Frémaux était à la baguette pour animer un programme alternant montages d’images (devenus la spécialité du Festival, attention à ne pas en abuser…), parenthèses musicales et discours.
Le film des dix ans du Festival fut l’occasion de mesurer le chemin parcouru et la dimension que l’événement a très vite pris, de Stanley Donen à Michael Cimino, d’Agnès Varda à Sofia Loren, le cinémonde se donne rendez-vous à Lyon en octobre.
Coté musique, Jeanne Cherhal interpréta au piano Parle Tout bas la version française, adaptée par Boris Bergman du célèbre Speak Sofly Love, thème mythique du Parrain. Plus tard dans la même ligne directrice le ténor américain John Osborne chanta le Lamento di Federico tiré de l’Arlésienne de Francesco Cilea. Une ambiance tout italienne qui nous rappelle que pour l’heure le cinéma transalpin n’a pas encore reçu le prestigieux prix, sans doute parce que Nanni Moretti n’était pas disponible…
Bong Joon-hu témoigna sa reconnaissance en évoquant le choc indescriptible que fut pour lui Apocalypse Now qu’il vit, jeune étudiant en 1988, après 9 ans de censure par la dictature militaire. Préparant son premier court-métrage, ce fut une leçon pour lui de storyboarder la scène du Parrain où Luca se fait assassiner.
Sofia Coppola (retenue au Japon) et James Gray firent parvenir leurs messages de félicitations par vidéo. James Gray évoqua la gentillesse de Coppola à travers cette anecdote : alors que Gray avoua un jour lui avoir tout volé, il répondit « mais c’est fait pour ça ».
L’éloge de Bertrand Tavernier constitua le véritable clou de la soirée. Ému il composa un exercice d’admiration érudit et personnel, se faufilant à travers la filmographie de Coppola avec une agilité déconcertante, déclinant brillamment les thèmes porteurs de l’oeuvre, précisant les sentiments qu’elle continue de lui inspirer. Il est impossible de traduire ici l’intelligence et l’émotion de ce discours, espérons simplement qu’il sera publié par le Festival.
Après un ultime montage balayant la filmographie du maître, Francis Ford Coppola, précédé de sa femme Eleanor et de son fils Roman, gagna la scène de l’Amphithéâtre pour recevoir une longue ovation et le Prix Lumière des mains de Nathalie Baye (Ils étaient réunis au jury de Festival de Cannes 1996).
Il remercia Bong Jonn-ho, «je deviens immortel gràce à vous » et Bertrand Tavernier avant de déclarer qu’il avait eu raison de ne pas se préparer à l’événement car il est impossible de s’attendre à une telle ferveur. Il voulut retenir qu’il fut un parmi d’autre, à l’image de son rêve d’enfant qui était de participer à la parade, ne pas en être le guide, ne pas en être exclu. Il conclut en prononçant trois mots que son expérience lyonnaise lui aura inspirés, trois mots qui font cruellement défaut au monde actuel, la convivialité, l’enthousiasme, la célébration.
Son extrême sobriété trancha légèrement avec le ton de la cérémonie qui s’acheva avec Alain Chamfort reprenant Les Champs Elysées de Joe Dassin. Soudainement plus détendu, on vit Francis Ford Coppola reprendre avec le choeur de la salle, le refrain de la chanson. On peut avoir quatre oscars et deux palmes d’or et continuer de ne pas prendre les hommages à la légère.
En complément de la soirée, The Conversation était projeté sur l’écran géant de l’amphithéâtre, après que les invités officiels eurent prudemment quitter les lieux.
Photo d’illustration : Laurent Cipriani/AP/SIPA – Texte : FX Thuaud
Jour 6 : Le coréen et l’italien
Carte blanche à Bong Joon-ho
Invité d’honneur du Festival Lumière, Bong Joon-ho a joué le jeu de la carte blanche et a choisi de programmer des titres emblématiques en Corée du sud mais méconnus en France. Les gens d’un bidonville fait partie de cette sélection. Chef de file dans les années 80 d’un jeune cinéma qui attita un public plus jeune dans les salles, Bae Chang-ho, né en 1953 fut l’assistant de Lee Chang-ho avant de passer à la réalisation avec ce film dont le titre « original » est Les gens de Kobang, nom d’un quartier populaire de Séoul.
Thierry Frémaux profita de la présence du premier réalisateur coréen récipiendaire de la Palme d’or pour le soumettre aux difficiles questions des trois réalisateurs français et des trois films préférés. Il cita dans l’ordre, Henri-Georges Clouzot, Claude Chabrol et Alain Guiraudie puis Le Salaire de la peur (vu à 7ans, il fut traumatisé par la scène où Jo/Charles Vanel se fait écraser la jambe) du même H-G Clouzot, Psychose d’Alfred Hitchcock (vu à 9 ans…) et La Vengeance est à moi de Shohei Imamura.
Les gens d’un bidonville / Bae Chang-ho
Dans un bidonville près de Séoul, Myung-suk vit avec son mari ivrogne, Tae-sup et son fils, un enfant difficile de 6 ans. Un jour, Choo-suk, son ex-mari et le père de l’enfant, réapparaît. Il est chauffeur de taxi et veut reprendre la vie commune.
Bong Joon-ho, pour décrire le ton du film, dit qu’il y a un peu de Renoir et un peu de Balzac. Pour les références cinématographiques, on pourrait dire que c’est un César et Rosalie à la sauce Affreux, sales et méchants. Les scènes d’exposition visent à immerger le spectateur dans le bidonville sur un ton de comédie qui rappelle la farce d’Ettore Scola. Un parfum de documentaire flotte sur ce premier quart d’heure qui fait la part belle au folklore populaire. Puis la fiction innerve peu à peu l’image, l’intrigue isole quatre personnages autour desquels va se jouer un drame de la jalousie et de l’impossible rédemption. Bae Chang-ho évoque les tensions familiales injustement exacerbés par la misère dans laquelle les protagonistes sont embourbés. Le déterminisme social agit comme une loi implacable de gravitation qui provoque la chute chronique des corps et des esprits. En dépit de quelques poussées mélodramatiques traduites pas un thème musical à la flûte dont les aigus frôlent le larsen, le film touche et parvient à composer une polyphonie d’aspirations (le côté renoirien). On retiendra aussi l’interprétation de Kim Hee-ra, d’abord formidable de veulerie puis émouvant en amoureux sacrifié.
Hommage à Serge Reggiani
en présence de Jean-Loup Dabadie, Alain Chamfort et Laurent Gerra
Thierry Frémaux, dont on ne s’étonne plus au bout de dix ans, qu’il soit omniprésent, dix jours durant, présenta la soirée avec sa faconde habituelle, aussi à l’aise dans le monde de la chanson que dans celui du cinéma.
Au milieu de ce marathon d’images qu’est le Festival, le verbe de Jean-Loup Dabadie et la voix d’Alain Chamfort constituèrent un moment plein de charme. Jean-Loup Dabadie multiplia les souvenirs et les anecdotes, avec force imitations, évoquant le tournage de Vincent, François, Paul et les autres, se remémorant le premier coup de téléphone de Réggiani, un vendredi soir, en quête d’une chanson « pour mardi prochain, à Bobino, en première partie de Barbara », digressant sur sa rencontre avec Jean Gabin. Alain Chamfort chanta quatre titres du répertoire de Reggiani, Le Petit garçon, Elle est jolie, La chanson de Paul (extension musicale du personnage joué par Reggiani dans le film de Sautet) et Le Temps qu’il reste. Remarquables interprétations dont la sensibilité aidèrent la conversation à prendre des accents plus graves pour évoquer la douleur d’être qui émanait de Serge Reggiani, la tragédie du suicide de son fils, son penchant pour l’alcool, les derniers concerts dominés par la fragilité du chanteur.
On aurait aimé aussi revoir l’acteur à travers des extraits de sa riche filmographie mais pour cela il fallait suivre la programmation du Festival qui accompagne l’hommage.
Thierry Frémaux avait introduit la soirée en affirmant l’importance de la chanson dans le cinéma et pour le Festival (on se rappelle les prestaitons de Camélia Jordana ou Vincent Delerm lors des dernières remises du Prix Lumière, l’invitation à Bernard Lavilliers l’an dernier) il a pu se rendre compte que le public lyonnais l’accompagnait aussi, parfois avec ferveur, dans cette direction. On s’autoriserait même à lui souffler que Laurent Delmas qui explore l’été sur France Inter le « Ciné qui chante » ferait un parfait guide en la matière.
FX Thuaud
Jour 5 : Dementia 13 de Coppola
La rétrospective Francis Ford Coppola est bien sûr l’occasion de (re)voir les films phares du réalisateur, mais également de découvrir quelques raretés. Ainsi était projeté ce mercredi Dementia 13, considéré par le cinéaste comme son premier film, celui avec lequel il débuta vraiment sa carrière, même s’il avait déjà fait quelques réalisations auparavant.
James Mockoski, collaborateur de Francis Ford Coppola à American Zoetrope, archiviste et superviseur de restauration, est venu présenter la séance. Il est revenu de manière générale sur la rétrospective réalisée pour le festival et a insisté sur sa très grande qualité, rendue possible par le travail de restauration entrepris par Coppola ces dernières années. La projection de Dementia 13 est sur ce point particulièrement exceptionnelle, puisque ce n’est que la seconde fois qu’il est présenté dans sa version restaurée 4K à partir du négatif d’origine, le film n’étant jusqu’alors visible que dans des copies 16 mm ou sur des DVDs de piètre qualité.
James Mockoski est ensuite revenu sur la genèse du film. Au début des années 60, Coppola travaille pour le producteur Roger Corman, spécialisé dans les séries B à petits budgets. Il assure des postes divers : assistant réalisateur, ingénieur du son, répétiteur… Alors qu’ils tournent en Europe The Young Racers, réalisé par Corman, Coppola le convainc de lui laisser l’équipe technique et une partie du casting pour tourner un second film dans la foulée. Pour ce faire, il écrit en une nuit un début de scénario en prenant soin de faire se déshabiller son héroïne rapidement après le début du film. Il n’en faut pas plus pour que Corman accepte. Dementia 13 est écrit en trois jours et tourné en deux semaines en Irlande.
Dementia 13 n’est pas un chef d’œuvre, loin de là. C’est une série B dans la plus pure tradition du genre, avec laquelle un réalisateur de 23 ans fait ses armes. Yann Gonzalez (réalisateur des Rencontres d’après minuit et d’Un couteau dans le cœur), également venu présenter la séance, y voit cependant un film marqué de purs moments gothiques proches du cinéma de Dario Argento, et par des séquences de meurtres brutaux qui annoncent la vague du slasher des années 80, Roger Corman ayant commandé un sous-Psychose.
On retiendra effectivement essentiellement de Dementia 13 quelques séquences oniriques, notamment celle du lac, et surtout son très beau noir et blanc. L’esthétique visuelle du film est particulièrement soignée pour un film de série B, laissant déjà présager le talent à venir de Coppola.
Jour 4 : Martin Scorsese et Krzysztof Zanussi à l’honneur
Martin Scorsese est une rockstar. Tout du moins c’est vraiment l’impression qu’a donné le retour sur les terres lyonnaises du Prix Lumière 2015 pour la présentation en avant-première de The Irishman (diffusé sur Netflix à partir du 27 novembre prochain). Deux mille places vendues en trente secondes, euphorie dès l’entrée (censée être discrète) du cinéaste dans la salle, standing ovation avant même sa montée sur scène, et sortie sous une nuée de fans rêvant de décrocher l’autographe-Graal de leur réalisateur fétiche.
> > > Lire notre compte-rendu spécial de la soirée The Irishman
Joël Chapron présenta Krzysztof Zanussi comme le plus méconnu des grands réalisateurs polonais, Lion d’or à Venise en 1984 pour L’Année du soleil calme. Sur les 28 films qu’il a réalisés pour le cinéma, seuls 11 ont été distribués en France. Bilan trimestriel est inédit, projeté au festival à l’occasion de sa restauration.
Marta, mariée à Jan, mène une vie monotone. Partageant son temps entre son travail, sa vie de famille et la maternité, elle fait preuve d’un grand altruisme avec ceux qui l’entourent, mais semble s’ennuyer. Lorsqu’elle rencontre Jacek, séducteur né, décontracté, indépendant, bien différent de son mari, Marta mesure son besoin de changement et entame une nouvelle relation.
Derrière ce très vilain titre, se cache un beau portrait de femme. Zanussi en même temps qu’il donne un précieux témoignage sur la société polonaise des années 70, dites de la stagnation grise, chronique les difficultés que rencontre le couple formé par Marta et Jan. La mise en scène joue avec habileté des espaces exigus, ceux du bureau de Marta où rien n’est vraiment discret, ceux également de l’appartement entre jeux de séparation et pénible promiscuité. Les escapades de Marta donnent lieu à de nombreuses scènes au cours desquelles sa complicité avec Jacek passe souvent par la liberté des corps : cours de gymnastique, danse improvisée, sortie en mer. Un romantisme que le thème musical rehausse en le teintant d’une infime menace. Marta a besoin d’air mais se trouve fort désorientée au moment de se décider à quitter Jan, enfermé dans un mutisme réprobateur.
Le film est porté par l’interprétation énergique et fragile de Maja Komorowska qui réussit à traduire la dynamique du saut et le trouble du chemin inconnu.
FX Thuaud
Jour 3 : Altman, Coppola et Cayatte
Un nouveau livre de Philippe Garnier est toujours un événement et le Festival Lumière ne s’y est pas trompé. Sterling Hayden, l’irrégulier paraîtra le 30 octobre aux éditions La Rabbia, biographie en 11 chapitres d’un homme inapte au bonheur qui a vécu plus d’une vie. L’écrivain a choisi de programmer Le Privé (The Long Goodbye) de Robert Altman « parce que le rôle de Wade colle littéralement à la peau de l’acteur : écrivain en panne, alcoolique cultivant le mépris de soi. »
Les présentations des films au Festival Lumière sont souvent des mises en bouche qui ont le don d’aiguiser l’appétit cinéphilique et les spectateurs de la salle du Hangar ont eu droit lundi soir à un apéro Garnier pétillant. Où l’on apprit que l’adaptation classique de Chandler n’intéressait pas Altman qui faillit renoncer à son projet quand Dan Blocker, pressenti pour le rôle de Roger Wade, eut la mauvaise idée de mourir. Et puis l’idée de Sterling Hayden fit son chemin. Une composante importante du film est la ville de Los Angeles où Altman dénicha l’impeccable décor de High Tower en haut de laquelle l’appartement de Marlowe est situé. La maison des Wade de Malibu Colony était la propre maison du réalisateur, au bord de l’océan pacifique où Robert Wade, infichu de se noyer dans l’aquavit finit par disparaître. Jouer un écrivain, bloqué de surcroît, n’était pas anodin pour Hayden. Peu enclin à l’autosatisfaction l’homme gardait une certaine fierté de ses livres, de grands succès par ailleurs qui l’aidèrent à éponger ses dettes. Philippe Garnier recommande son autobiographie, Wanderer, traduite par Julien Guérif pour les Éditions Rivages. Altman compris qu’il pouvait mettre beaucoup de Hayden dans Wade, lui recommanda de porter ses propres vêtements (l’homme goûtait l’excentricité) et l’encouragea même à écrire ses dialogues sous l’effet de la fumette, manière de se détendre que Hayden avait découvert en 1968 avec James Coburn sur le tournage en Espagne de Hard Contract.
Cette brillante introduction nous aurait presque fait oublier Philippe Marlowe et son extraordinaire interprète Elliott Gould. Dès les premières scènes, on comprend que le film et l’acteur vont admirablement froisser le costume du privé. Incapable de nourrir son chat, brinquebalé par une intrigue où les profits des uns s’opposent aux mensonges des autres, Marlowe garde le cap et la clope au bec, ne se départ jamais d’un flegme à toute épreuve, aidé en cela par la silhouette dégingandée de Gould. De l’acteur émane une coolitude qui érige la désinvolture en art de vivre. On retrouvera quelques années plus tard cet indéfectible décontraction chez Ben Gazzara dans le Saint-Jack de Peter Bogdanovich, les deux personnages ayant en commun de conclure sur un geste moral, qui les sauve et les condamne à la fois.
Avec Le Privé, Altman réussit un chef d’oeuvre d’humour décalé lentement colonisé par un ironique désespoir. Le film après une restauration 2K, bénéficiera d’une ressortie en salles fin novembre, aux bons soins du distributeur Capricci, juste le temps de se plonger dans la biographie de Philippe Garnier.
F-X Thuaud
The Outsiders et Rusty James ont en commun leur cadre, celui des laissés pour compte, et leur chronique adolescente, la fin de l’innocence avant de s’en aller vers la vie adulte. Mais les deux films sont très différents sur la forme. Si The Outsiders empruntait beaucoup aux classiques américains, Rusty James prend une forme beaucoup plus expérimentale. Le choix d’un noir et blanc, somptueux (magnifié par la restauration 4K), fait d’ombres et de lumière, hormis les quelques touches colorées des poissons combattants (le titre original est d’ailleurs Rumble Fish), offre au film une ambiance particulière, presqu’irréelle. Des choix audacieux de cadrage et des compositions de plan très travaillées amplifient ce sentiment, encore souligné par une ambiance sonore soignée (là encore parfaitement restaurée) dans laquelle se mêlent les compositions de Stewart Copeland, le batteur de The Police.
Si Matt Dillon était la figure du grand frère dans The Outsiders, il est ici celui du jeune candide, qui a grandi avec comme mauvais exemple son père, alcoolique, et comme modèle son frère, chef de gang respecté de tous. Essayant de marcher sur ses traces, il va devoir apprendre à s’en détacher pour se trouver lui-même. L’acteur livre une prestation impressionnante pour son jeune âge (il a alors 19 ans), désarmante de sincérité, qui impose encore un peu plus Rusty James parmi les œuvres maîtresses que le cinéma américain a pu produire sur l’adolescence.
Quand on découvre Mourir d’aimer, le premier sentiment qui vient à l’esprit est de se demander, surtout 40 ans plus tard, si Cayatte n’en a pas rajouté pour renforcer la puissance de son mélodrame. Après quelques recherches, il s’avère que non. Le cinéaste à juste changer les noms et les lieux, mais tout le reste est vrai. Le film en devient d’autant plus glaçant dans sa description d’une société et d’une structure judiciaire qui vient broyer une femme condamnée d’avance.
Grande histoire d’amour interdit filmée avec un regard intimiste, portée par une Annie Girardot, d’abord forte puis brisée et fragile, et le jeune Bruno Pradal, Mourir d’aimer surprend à émouvoir autant qu’il pousse son cri d’injustice. Le film offre également quelques jolis moments dans ses digressions, comme cette rencontre, inattendue et touchante, entre son héroïne et une toxicomane.
Un film fort qui donne plus qu’envie de se plonger dans le reste de la rétrospective du cinéaste.
Fabien Genestier
Jour 2 : F.F. Coppola, Vincent Delerm et Jean Renoir
En attendant la remise du Prix Lumière à Francis Ford Coppola vendredi, les festivaliers pourront (re)découvrir toute la semaine une grande partie de la filmographie du réalisateur. Parmi eux, son diptyque sur l’adolescence composé de The Outsiders et Rusty James. Projeté ce dimanche (dans sa version complète remontée en 2005 par le cinéaste), le premier est né de l’envie qu’avaient des lycéens de voir le roman de S. E. Hinton adapté à l’écran par Coppola. Le réalisateur répondra par l’affirmative et se lancera dans son premier film traitant de l’adolescence.
Le récit est somme toute assez classique, et voit se confronter deux Amériques à travers deux bandes rivales, celle des laissés pour compte, les Greasers, et celle des jeunes plus aisés, les Socs. L’occasion pour Coppola de rendre hommage à l’adolescence cinématographique des 50’s, de L’Equipée sauvage à La Fureur de Vivre (Coppola dira même qu’il voit en Matt Dillon, acteur clé du film, le nouveau James Dean) et aux grands classiques hollywoodiens (Autant en emporte le vent est plus que cité). Mais ce qui se dégage surtout de The Outsiders c’est la façon dont Coppola capte la poésie transitoire de l’adolescence. Il y a bien évidemment une violence héritée de la société qui parcourt le film, mais cette réalité partage l’écran avec un certain onirisme. Ponyboy et Johnny, les plus jeunes des protagonistes, semblent créer comme une bulle de rêve et d’espoir, qui doit sans cesse se confronter à la violence qui l’entoure. Elle ne s’épanouit que loin de celle-ci, lors d’une parenthèse bucolique enchantée, où culmine une extraordinaire séquence d’aurore dorée. L’adolescence est une richesse aussi belle qu’éphémère, nous dit Coppola. Elle est vouée à mourir, comme plusieurs des personnages. Le seul moyen que Ponyboy trouve pour la conserver est de la fixer sur le papier. Pour ne jamais oublier.
Fabien Genestier
On connaissait Delerm chanteur, dramaturge, photographe, le voilà réalisateur de cinéma avec, dixit Thierry Frémaux sur la scène de l’Institut Lumière, « un drôle d’objet » que ce Je ne sais pas si c’est tout le monde, moyen-métrage fait de rencontres, témoignages et confidences, à mi-chemin entre le documentaire et le patchwork. Et Thierry Frémaux de poursuivre « c’est un film de chanteur, qui possède la même singularité que peuvent avoir les films d’acteur ».
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François-Xavier Thuaud
Empruntant beaucoup au théâtre classique (le film cite d’ailleurs Beaumarchais en ouverture), La Règle du jeu conserve cependant l’élan réaliste de son auteur, par sa description d’une société de classes au bord de l’implosion. Cette « fantaisie dramatique », telle que décrite par son auteur en préambule, perturbe effectivement le spectateur par son ton inclassable. Il y a par moments un humour vaudevillesque mais toujours sous-tendu par une réelle tension dramatique. La partie de chasse, métaphore édifiante lorsque l’on voit ce gibier rabattu se faire décimer à coups de fusils, présage l’issue inéluctablement tragique de l’histoire. Tous les personnages s’amusent, se cachent derrière des déguisements, mais courent inévitablement à leur perte. Sorti en juillet 1939, le film porte un regard plus que lucide sur la société qu’il dépeint et porte déjà en lui l’empreinte de la guerre à venir.
Philippe Le Guay, venu présenter la séance, avoue avoir dû regarder plusieurs fois La Règle du jeu avant d’appréhender le film dans son intégralité. L’œuvre est effectivement pour le moins riche tant, derrière ses multiples intrigues qui s’entremêlent, elle porte des sous-textes édifiants sur la société contemporaine du cinéaste, mais aussi sur l’humanité en général. La Règle du jeu est à elle seule un argument en faveur de cette sélection de grands classiques qui méritent d’être vus et revus.
Fabien Genestier
Jour 1 : La belle époque en ouverture
Dix ans déjà ! Que de chemin parcouru depuis la première édition de 2009 pour un festival unique au monde qui a fait un pari audacieux, celui de célébrer le cinéma du patrimoine, celui de toutes les époques et de tous les genres. Un festival qui a bien grandi, avec toujours plus de films et d’invités, mais qui a réussi à conserver sa volonté de rassembler tous les publics. Et difficile de faire plus bel exemple que cette traditionnelle cérémonie d’ouverture qui rassemble chaque année 5 000 personnes à la Halle Tony Garnier.
Après s’être ouverte sur un résumé en images des dix premières années de cinéphilie lyonnaise, elle s’est tournée vers cette nouvelle édition avec la présentation du très riche programme de la semaine, qui rendra notamment hommage à Frances McDormand et Donald Sutherland, tous deux déjà présents aujourd’hui et qui ont reçu un accueil chaleureux des spectateurs. Ce fut ensuite l’habituelle projection de films Lumière avec deux inédits des désormais célèbres acrobates, les Kremo, qui sont de toutes les ouvertures depuis quelques années.
Thierry Frémaux a ensuite donné des nouvelles du Prix Lumière 2018, Jane Fonda, arrêtée la veille à Washington au cours d’une manifestation pour le climat, et est revenu sur la libération d’Oleh Sentsov en septembre dernier, le festival s’étant l’année dernière joint à la vague de soutien mondiale pour le cinéaste ukrainien. Bertrand Tavernier a, quant à lui, souhaité rendre hommage à la critique Danièle Heymann, fervente défenseuse du cinéma de patrimoine décédée cette année.
Après la traditionnelle déclaration d’ouverture par les invités puis par le public, ce fut le moment d’accueillir un autre des invités d’honneur de cette édition, Daniel Auteuil. Il est venu ce soir accompagné de Doria Tillier et de Nicolas Bedos pour présenter le nouveau film de ce dernier, La Belle époque.
Pour seulement la seconde fois depuis la création du festival, ce n’est donc pas un classique du septième art qui est projeté en ouverture mais une avant-première. Pour autant ce choix est tout à fait légitime tant le film de Nicolas Bedos respire la nostalgie et questionne notre époque et sa relation au passé. On y retrouve en effet un Daniel Auteuil complètement déconnecté du monde qui l’entoure et qui ne rêve que de revenir aux années de sa jeunesse, les 70’s. Coup de bol, une entreprise lui offre la possibilité de revivre littéralement ses souvenirs, en recréant grandeur nature avec des comédiens et des décors d’époque un moment précis de sa vie. Il y a bien évidemment également là un lien avec le cinéma, où le spectateur traverserait la barrière de l’écran pour devenir lui-même acteur d’un film, adapté de sa propre vie.
Tout autant que cette reconstitution peut nous emplir de nostalgie, elle ne peut pas être l’exacte réplique de l’événement d’hier, et sera forcément vu différemment avec un autre regard, sur lequel le temps aura eu une emprise. C’est un peu comme revoir les films du patrimoine, se replonger avec plaisir dans les émotions que l’on a ressenti en découvrant ces films dans le passé, mais aussi les redécouvrir avec un nouveau regard, et continuer à les faire revivre encore et toujours. Mais le film de Nicolas Bedos se veut également, et avant tout, une grande histoire d’amour. Une autre chose qu’il partage avec le Festival Lumière, qui n’est autre chose qu’un grand cri d’amour déclaré au septième art.
Fabien Genestier