BILAN | Les meilleurs films d’octobre 2024
CHAQUE MOIS, LES MEMBRES DE LA RÉDACTION VOUS PROPOSENT LEUR FILM PRÉFÉRÉ LORS DU BILAN DU MOIS, CELUI QU’IL FALLAIT DÉCOUVRIR À TOUT PRIX EN SALLE OU DANS VOTRE SALON (SORTIES SVOD, E-CINEMA…). DÉCOUVREZ CI-DESSOUS LES CHOIX DE CHAQUE RÉDACTEUR DE LE BLEU DU MIROIR POUR LE MOIS D’OCTOBRE 2024.
Le choix de Thomas Périllon
Au sein d’une sélection officielle cannoise plutôt décevante, Anora est apparu (avec Les graines du figuier sauvage) comme l’un des rares grands gestes de cinéma de l’édition de mai dernier. Plus maitrisé dans la gestion de son rythme que The Florida Project, le dernier long métrage de Sean Baker a assez logiquement décroché la Palme d’Or, fort de la contagieuse vivacité de cette fable tragi-comique, charge féroce du cynisme de notre société obnubilée par le sexe et de l’argent. Beaucoup évoqueront Pretty Woman ou le dépeindront comme un conte de fées désenchanté, mais Anora n’offre ni fantaisie ni chimère réconfortante. Mikey Madison, dans le rôle d’Ani, livre une performance magistrale. Elle est le point d’ancrage du film, à la fois chaotique, charmante, aimante et impitoyable, et finalement bouleversante.
LE CHOIX DE FLORENT BOUTET
Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde, le très beau film d’Emanuel Parvu, cinéaste roumain méconnu de 45 ans, sort enfin après 5 mois d’attente depuis sa présence en compétition au dernier festival de Cannes où il avait fait très bonne impression. Histoire qui flirte avec le genre du film d’évasion, qui profite du territoire insulaire pour créer une forme de claustration suffocante où les règles contemporaines et la loi sont abolies devant les usages archaïques d’une micro société ultra conservatrice. Le cinéaste, à la manière de son compatriote Radu Jude, applique un regard sans concession à la société de son pays et ses aspects réactionnaires, refusant toute modernité. Si l’histoire n’est pas exempte de défauts, on apprécie la beauté du protagoniste, Adi, jeune homme taiseux qui communique par le silence une soif de liberté, loin de sa famille qui cherche à le ligoter, au propre comme au figuré.
Le choix de François-Xavier Thuaud
Guiraudie revisite l’éternel conflit entre Eros et Thanatos. C’est la mort du boulanger qui fait revenir Jérémie à Saint-Martial où soudain le désir se met à circuler de nouveau. « Nous avons tellement besoin d’amour« . C’est l’abbé qui annonce par ces mots, le programme du film alors qu’il prononce l’éloge funèbre de Jean-Michel Rigal. Le verbe aimer revient dans toutes les conversations, toujours rapporté à cet homme qui vient confronter chacun à sa solitude. Miséricorde est d’abord un grand film d’amour mais c’est aussi une irrésistible comédie entraînée par un surprenant sens du burlesque. On s’épie, on surgit, toute intimité empêchée, hors une magnifique scène de confessionnal où le sublime clair obscur (tout le film, éclairé par Claire Mathon, est d’une beauté inouïe) renvoie au supplice des sentiments asymétriques. Et dans asymétrique, il y a trique, car chez Guiraudie on bande pour deux !
Le choix d’Antoine Rousseau
Ce mois d’octobre aura été marqué par deux propositions d’animation particulièrement fortes, bien qu’aux antipodes l’une de l’autre. D’un côté, Le robot sauvage, des studios Dreamworks, preuve qu’un divertissement hollywoodien familial intelligent et non issu d’une licence est encore possible. De l’autre, Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, production letto-franco-belge qui, s’il met en scène un félin, se refuse à donner la parole à l’animal comme il se refuse à toute forme d’anthropomorphisme. Le concept est simple : dans un monde déserté par l’humanité, un chat tente de survivre à une soudaine montée des eaux. Puisant à la fois chez Miyazaki dans l’évocation d’une nature grandiose, fourmillante et toute puissante, la réalisation de Gints Zilbalodis tente également de se rapprocher du sentiment d’immersion offert par le jeu vidéo. Il construit ainsi un regard quasi éthologique sur ses personnages, aussi fascinant que palpitant. Une aventure accompagnée par une bande sonore immersive qui rend le voyage d’autant plus hypnotique.
Le choix d’Emilien Peillon
Il y a un certain plaisir à aller voir Miséricorde en aveugle et de constater le lent glissement du drame naturaliste vers tout à fait autre chose. Au départ construit un entonnoir vers un événement évident et attendu (« ça ne peut que mener à ça »), le récit d’Alain Guiraudie, une fois cette étape passée, semble s’ouvrir à tous les champs possibles : les petites intrigues se superposent comme un mille-feuille, et chaque discussion entre les protagonistes devient scène de théâtre, où le lieu de l’action comme les entrées et sorties des acteurs reconfigurent ce que l’on sait, ce que l’on devine et ce qu’on ignore. Le sujet du désir contrarié, rarement approché de la sorte, opère finalement un genre de délitement du sens : plus les non-dits sont révélés, plus il y en a. Le résultat, assez fascinant, confirme aussi, s’il le fallait encore, le talent du réalisateur pour diriger ses interprètes et pour approcher la nature du sud-ouest non pas comme décor mais comme acteur majeur du film.
Le choix de Grégory Perez
L’Histoire de Souleymane nous montre le visage des invisibles, ceux que l’on aperçoit fugacement sur leurs vélos fonçant d’un bout à l’autre de Paris pour nous livrer nos repas. À mi-chemin entre le drame social et le thriller haletant, Boris Lojkine filme la rudesse de la ville et de la précarité qui s’imposent à ceux qui n’ont pas la chance d’avoir la bonne nationalité, le bon tampon sur un bout de papier. Pressés par un capitalisme cynique, menacés par une administration aussi implacable qu’absurde, Souleymane se bat pour le droit de vivre dignement mais aussi de décider de son histoire. Bouleversant, étouffant, d’une justesse et d’une humanité rares, Boris Lojkine signe ce qui restera sans conteste l’un des meilleurs films français de l’année.
Le choix de Victor Van de Kadsye
Avec Anora, Sean Baker est au sommet de ce qu’il entreprend dans son oeuvre : une démythification totale des mythes et le rapport que les individus entretiennent avec ceux-ci. Ici, il déconstruit avec désenchantement le conte de fée à la Cendrillon, dans un tourbillon d’énergie qui ramène aussi bien à la comédie de mœurs des années 40 qu’au thriller New-yorkais nocturne. Un ascenseur émotionnel impressionnant, qui ne nous lâche pas jusqu’à son dernier plan. De loin le film le plus abouti de son cinéaste, travaillant minutieusement sa critique de la hiérarchie entre classes sociales.