MICHAEL FEENEY CALLAN | Interview
Le 7 septembre dernier, Michael Feeney Callan a obtenu au Festival de Deauville le Prix Littéraire Lucien Barrière qui vient couronner sa passionnante biographie de Robert Redford, parue en 2011, mais traduite en français seulement cette année et parue le 17 mai dernier aux éditions La Trace. Robert Redford : biographie, cet ouvrage de 750 pages constitue l’ouvrage de référence sur un des acteurs emblématiques du cinéma américain. Un homme complexe dont on connaît les films, mais peu la personnalité. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec Michael Feeney Callan par téléphone. L’homme ne cache pas sa joie et sa fierté d’obtenir ce prix qui récompense un travail de près de dix-sept années qui lui ont permis de gagner la confiance et l’amitié de Robert Redford.
Le Bleu Du Miroir : Quel a été le déclic qui vous a poussé à écrire sur Robert Redford ?
Michael Feeney Callan : Robert Redford me semblait être un acteur qui par ses choix de films voulait exprimer les différents aspects, les différentes représentations de ce que signifie être un américain. Par exemple, il était un trappeur dans Jeremiah Johnson, un sportif dans La Descente infernale, un homme politique dans Votez McKay, un journaliste dans Les Hommes du président, et à l’origine je voulais le rencontrer pour savoir si à travers tous ces aspects, il cherchait à définir ce qu’est être un américain. Aussi, quand je l’ai rencontré en 1995, j’ai découvert un homme qui était timide et n’aimait pas parler de sa vie, ni de son travail. Nous avions beaucoup en commun. Enfant, j’avais commencé à lire Balzac et cet auteur écrivait sur les différents aspects de la condition humaine. Et j’ai demandé à Robert Redford si il avait essayé de faire comme Balzac. Et il m’a répondu que c’était tout à fait ça et nous en avons conclu que toutes ces histoires différentes constituaient une unique grande histoire. Et que Robert Redford était comme Balzac et que ses films constituaient une sorte d’encyclopédie de ce qu’est un américain.
Vous avez instauré un lien unique avec cet homme. Pour établir une telle confiance, ça devait représenter un travail de longue haleine ? Ou c’est arrivé dès le début ?
Je l’ai rencontré la première fois en 1995, et il est venu en 1996 chez moi à Dublin, en Irlande. Il a rencontré ma femme, mes enfants et nous sommes devenus amis. J’ai rencontré son fils à Santa Monica, à Los Angeles, On a développé une véritable amitié et on espérait écrire le livre en cinq ans et finalement il en a fallu dix sept.
Comment pourriez-vous définir pour les nouvelles générations ou ceux qui ne le connaissent pas qui est Robert Redford en tant qu’artiste et en tant qu’être humain ?
Je crois que si quelqu’un veut comprendre, non pas uniquement le cinéma ou le cinéma américain, mais les différents aspects politiques, sociaux, culturels de l’histoire américaine, les différents aspects de ce pays divisé entre les supporters de Trump d’un côté et les progressistes de l’autre, ce pays qui a été volé aux indiens, ce pays ou un parti a été corrompu par quelqu’un comme Nixon, il faut voir des films comme Willie Boy, La Poursuite impitoyable… Il a aussi fait des films à forte connotation spirituelle comme La Légende de Bagger Vance qui s’inspire de la Bhagavad-Gita. Quand vous voyez la filmographie de Robert Redford c’est une encyclopédie de l’homme américain des années 1950 aux années 2020.
Etait-il conscient de cette cohérence ? De raconter cette histoire à travers cette filmographie ?
Oui, comme Balzac avec La Comédie humaine. À chaque fois que cet écrivain travaillait sur un livre comme Eugénie Grandet ou Le Père Goriot, il écrivait sur la France et son époque. Robert Redford quand il accepte de faire Jeremiah Johnson ou Brubaker il fait la même chose. Montrer et expliquer des chapitres de l’histoire américaine de ces soixante-dix dernières années.
Robert Redford était un acteur très instinctif. Quel était son regard sur d’autres façons de jouer ? Comment considérait-il les acteurs, actrices qui avaient un jeu plus cérébral ?
Il n’était pas un acteur de la Méthode. Il n’appréciait pas le point de vue de Stella Adler. Il n’aimait pas cette façon de jouer, comme Marlon Brando ou Montgomery Clift. Il appréciait la façon académique, celle qui a formé des artistes comme Grace Kelly ou Kirk Douglas. Mais pour bien comprendre le jeu de Robert Redford, il faut se fier à ce que disait l’écrivain Robert M. Pirsig, l’auteur de Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes. Il était un ami de Bob, et il a écrit dans un livre qui s’intitule Lila, que Robert Redford, en tant qu’acteur est comme un indien natif américain, qui exprime peu avec son visage. Presque comme une statue. Et si vous observez bien Robert Redford, même dans ses plus grands films, comme Nos plus belles années ou Havana, ou Out of Africa, il est vraiment inexpressif en apparence, mais il joue d’une façon qui fait penser à un indien natif. Il est plus un homme primitif qu’un américain moderne.
En tant que directeur d’acteurs, quels étaient ses critères pour choisir ses comédiens ?
Il allait toujours vers des acteurs, des actrices qu’il avait vus jouer, qu’il trouvait bons. Peu de gens savent que son acteur préféré était un acteur bien oublié maintenant : Franklin Pangborn. C’était un acteur qu’on voyait beaucoup dans les années 1940. Robert Redford l’aimait réellement beaucoup. Il aimait beaucoup Cary Grant. Son actrice préférée était Greer Garson. Pour Quiz show, il voulait absolument le comédien de théâtre britannique Paul Scofield. Il trouvait que Jane Fonda était une actrice extraordinaire. Parfois il faisait des erreurs, il pensait que c’était le cas pour Tom Cruise dans Lions et agneaux. Il a pensé que c’était une erreur de casting de le prendre.
Cet ouvrage constitue un travail de longue haleine. Pendant toutes ces années, comment a évolué votre point de vue sur l’artiste et sur l’homme Robert Redford ?
C’est une question cruciale. Ça a changé tout au long de ces années. Il m’a tellement appris sur l’importance de regarder profondément au cœur des films, de l’histoire, des livres. Il est réellement quelqu’un qui veut faire quelque chose de bien. Laisser un bon héritage au monde. S’occuper de l’environnement, être à l’écoute des minorités ethniques. C’est ce qui compte pour lui, faire quelque chose de bien, de valeur. Et apporter espoir et optimisme au monde. Parce qu’il y a trop de forces sombres autour de nous. En écrivant ce livre je l’ai vu devenir un artiste politique d’une grande dignité.
On a parfois une image assez lisse, normale de Robert Redford, quand on ne connaît que ses films. En lisant votre ouvrage, on découvre un homme très complexe, d’une grande richesse intérieure. On connaissait l’acteur mais en lisant votre biographie de Robert Redford, on fait vraiment connaissance avec une personnalité hors du commun.
Il a vraiment une conscience sociale et politique et il est aussi complexe que Balzac, comme je le disais tout à l’heure. Il est sûrement l’un des hommes les moins bigots ou racistes du monde. Il est un citoyen du monde, un homme qui veut partager espoir et optimisme. Et voir les choses de façon ample. J’ai découvert un tout nouvel homme.
La spiritualité semble être quelque chose de fondamental. Il est habité par de profondes valeurs, sa première femme, Lola, était mormone. La religion, la spiritualité, était-ce une influence pour lui.
Concernant Lola, je crois surtout que c’était le choix d’une personne pas encore totalement mûre. Lola lui rappelait sa grand-mère du Texas. Elles avaient les mêmes valeurs et les mêmes croyances. Sa première femme était d’origine mormone, mais il n’a jamais voulu se convertir. Il n’était pas croyant. Pas religieux mais épris de spiritualité. Pour lui, ça veut dire aussi être ami avec les arbres, les nuages et la nature. Là vous êtes plus proche de Dieu que dans une église. C’est pour ça que leur mariage a fini par échouer. Ils ont eu des enfants ensemble, ils sont toujours amis. C’est une belle histoire, mais c’est une histoire triste. Concernant la conception de la spiritualité de Robert Redford, c’est plus en rapport avec la nature, avec cette image d’un arbre avec ce que cela implique de dignité, de patience. C’est une vision que je partage. La nature c’est ça Dieu. Nettoyer son cœur, nettoyer son esprit.
À l’heure actuelle, symbolise-t-il encore quelque chose par rapport à la défense des droits civiques, à la protection de l’environnement ?
Oui, je le pense. Depuis la mort de son fils, il est un peu en retrait. Mais il a fait tellement pour la protection de l’environnement, pour les citoyens, et puis également pour le festival de Sundance.
Pensez-vous qu’il a des regrets ? Par exemple de ne pas être devenu le nouveau Modigliani, comme il en rêvait. Ou bien qu’il est désabusé sur l’influence réelle ou non que les films peuvent avoir pour changer les hommes ou le monde ?
Non, franchement je ne le pense pas. Beaucoup de personnes ont exprimé leur gratitude sur la façon dont leur vie a été changée, améliorée. Il a fait beaucoup pour les droits des indiens, par exemple. Ou évoqué des problématiques comme le maccarthysme avec Nos plus belles années. Quand j’ai fini le livre, le petit-ami de ma fille avait sa grand-mère qui était mourante et qui souhaitait avoir quelque chose signé par Robert Redford. Il lui a écrit quelques mots, je ne me souviens plus exactement lesquels mais ça signifiait : « A bientôt » . Je crois qu’il est quelqu’un de vraiment bon.
Vous avez écrit d’autres biographies d’acteurs : sur Sean Connery, Anthony Hopkins ou Richard Harris : de grands acteurs mais aussi de fortes personnalités. Est-ce du passéisme de penser que c’est compliqué de retrouver aujourd’hui d’aussi riches personnalités dans le cinéma actuel ?
C’est une grande question. Je ressens que nous avons actuellement une offre cinématographique faible, avec moins de présence physique. Quand j’étais enfant, il y avait Laurence Olivier, Charles Laughton, Peter O’Toole. Des personnes plus grandes que la vie. Anthony Hopkins, aujourd’hui, est de cette trempe. J’aime les livres qui font rêver. Pareil pour les acteurs et j’ai été si heureux, si chanceux de côtoyer des hommes comme Richard Harris, Anthony Hopkins, Sean Connery ou Robert Redford.
