NADIA TERESZKIEWICZ | Interview
Nadia Tereszkiewicz est l’une des comédiennes les plus passionnantes révélées ces dernières années par le cinéma français. Après Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi (2022), qui lui a valu le César du meilleur espoir féminin, Mon Crime de François Ozon (2023) ou L’Île rouge de Robin Campillo (2023), on la retrouvera bientôt dans le nouveau film d’Arnaud Desplechin. À l’occasion du festival Premiers Plans d’Angers, où elle est membre du jury des longs métrages présidé par Nicole Garcia, nous sommes allés à sa rencontre.
C’est la première fois que vous faites partie d’un jury. Qu’est-ce qui vous a attiré dans cet exercice ?
Nadia Tereszkiewicz : Je suis très contente, déjà parce que c’est un jury de premiers longs ! Dans un premier long, il y a toujours quelque chose de touchant parce qu’il y a une forme de nécessité de raconter une histoire. Parfois, les réalisateurs y pensent depuis la petite enfance. Il y a quelque chose qui doit éclore, c’est beau de voir un premier jet. L’univers d’un premier film est souvent très personnel. Aussi, ce sont des cinéastes de plusieurs pays et je rêve d’un cinéma européen. En tant que comédienne, ça m’intéresse de rencontrer les cinéastes de demain. Et j’ai envie d’avoir des émotions de cinéma, donc c’est une chance folle de pouvoir voir plein de films toute la journée. J’aime ce festival où je suis venue il y a deux ans [pour la présentation de Mon Crime]. Il y a un public, une atmosphère vraiment chaleureuse. Ça donne envie de faire du cinéma.
J’ai un vrai plaisir à organiser la séance, y aller avec quelqu’un, choisir mon film. Je vais voir des vieux films dans le Quartier latin…
Quelle spectatrice êtes-vous au quotidien ?
Je vais au moins une fois par semaine au cinéma. Je n’ai pas de projecteur chez moi, je dois dire que je ne suis pas très film à la maison. J’aime le fait d’aller au cinéma. J’ai un vrai plaisir à organiser la séance, y aller avec quelqu’un, choisir mon film. Je vais voir des vieux films dans le Quartier latin, où il y a plein de petits cinémas que j’adore, le Saint-André des Arts, le Champo, le cinéma du Panthéon avec la librairie à côté. C’est très nouveau pour moi de voir plein de films dans la journée, parce que j’ai l’habitude d’en voir un et d’y penser pendant plusieurs jours. J’aime rêver avec un film. Je suis pareil avec les livres. Je lis un livre et je mets du temps à en lire un nouveau.
Vous souvenez-vous du premier film que vous avez vu au cinéma ?
Oui, ma mère m’a emmenée voir Harry Potter ! Ça devait être en 2004, j’avais huit ans. J’habitais dans une petite ville dans le sud de la France, où on allait rarement au cinéma, sauf pour les gros films. J’y allais de temps en temps avec ma mère.
Vous avez été proche d’Anna Karina durant les dernières années de sa vie. Comment s’est déroulée votre rencontre, quelle importance a-t-elle eue pour vous ?
J’étais très proche du couple Dennis Berry et Anna Karina. Dennis m’a donné mon premier rôle au cinéma, dans un film portugais qu’il réalisait et qui s’appelle Sauvages [sorti en 2019]. Je n’avais pas de culture cinématographique, ils m’ont donné plein de films à voir, notamment de la Nouvelle vague. J’ai découvert avec eux pour la première fois les films de Cassavetes – que j’ai redécouverts ensuite avec Valeria [Bruni Tedeschi], qui m’a fait aller voir Opening Night, Une femme sous influence. Anna et Dennis me donnaient aussi des livres. Je me souviens qu’ils m’avaient offert Les Démons de Dostoïevski, Just Kids de Patti Smith, des livres très différents. J’avais 18 ou 19 ans, c’étaient de vrais guides. J’ai découvert tous les films d’Anna Karina, dont Vivre ensemble qu’elle avait réalisé elle-même en 1973, un film génial qui montre le passage des années 60 aux années 70, avec une vraie modernité. Ils étaient d’un soutien immense. Ce sont les premiers à m’avoir dit que je pourrais devenir actrice. Comme je n’avais pas confiance en moi par la danse, qui m’a artistiquement un peu détruite, je ne me disais pas que je pouvais me lancer dans une carrière. Eux m’ont donné un « go » !
Est-ce qu’elle vous parlait de son travail à elle, ou vous donnait des conseils ?
Pas tant, c’était surtout un soutien. Je me souviens très bien qu’elle m’avait parlé du regard. Des regards où il n’y a rien besoin de faire, de ne pas faire plus que regarder et de regarder vraiment.
Dans votre carrière, il y a eu un avant et un après Les Amandiers. Est-ce que vous avez ressenti un grand changement dans votre formation d’actrice avec ce film, notamment du fait de la direction d’acteur intense de Valeria Bruni Tedeschi ?
Pour la formation, complètement, il y a un avant-après dans mon rapport au travail. Valeria nous a transmis une forme de nécessité de jouer et de comprendre pourquoi on joue. Je crois que j’ai eu un déclic, je me suis dit que j’avais vraiment envie de faire ce métier quand j’ai fait Les Amandiers. J’avais rencontrée Valeria sur Seules les bêtes [Dominik Moll, 2019] où elle jouait mon amante, et on avait déjà eu une connexion dans le travail. J’aime le fait qu’elle soit dans une forme d’abandon et qu’elle ne se regarde pas jouer. Elle est proche d’une certaine folie que je trouve joyeuse. Elle réajuste certaines valeurs. Quand elle m’a dit « Le ridicule doit être merveilleux », je ne l’ai jamais oublié.
Cela a-t-il libéré quelque chose en vous ?
Oui, elle me disait de jouer avec fièvre, qu’on ne devait pas avoir 39 mais 42. Et d’être toujours au bord d’un certain gouffre, parce que tout est important au cinéma. De savoir aussi pourquoi on choisit un rôle, ce n’est pas anodin. J’essaye de faire des choix qui ont du sens.
J’aimerais bien aller vers des rôles un peu dérangeants, subversifs, et j’ai envie de tourner avec des cinéastes européens…
A-t-elle recréé avec tous les acteurs du film ce qu’elle a vécu avec Patrice Chéreau à Nanterre ?
C’était l’idée, elle a essayé de nous transmettre ce qu’elle avait appris avec Chéreau, de le recréer. Pendant quatre mois, on a travaillé des pièces, je connaissais tout Sofia Egorovna dans Platonov. On a beaucoup travaillé. C’était génial d’avoir une sensation de troupe. Quand on a commencé le tournage, on travaillait déjà depuis des mois et des mois ensemble. Même pendant les trois premiers mois, on passait encore le casting. Le résultat de si on était pris ou non sur le film de Valeria est le même que dans le film, il y avait une sorte de mise en abîme ! On a hurlé, Clara [Bretheau] et moi, on s’est jetées par terre et elle l’a mis dans le film.
Aimez-vous cet esprit de troupe ?
Oui ! Je me rends compte que j’aimerais beaucoup faire du théâtre. J’adore ce qu’on crée au cinéma, une sorte de petite famille. Éphémère, parce que c’est comme une bulle qui se délite, mais ce qu’on vit sur un tournage est très intense.
De quoi avez-vous envie pour vos prochains rôles ?
J’aimerais bien aller vers des rôles un peu dérangeants, subversifs, et j’ai envie de tourner avec des cinéastes européens. Tout en restant en France, parce qu’on a beaucoup de chance d’avoir un cinéma magnifique.