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NICOLAS MAURY | Interview – partie 2

Garçon chiffon de Nicolas Maury n’avait eu droit qu’à deux jours d’exploitation en octobre dernier avant la fermeture des salles de cinéma pour raisons sanitaires. Ce très beau premier film repose sur les épaules de son metteur en scène et premier rôle, qui tout juste arrivé dans la quarantaine passe à la réalisation après avoir rayonné devant la caméra des autres, apportant à chaque fois son univers et sa voix si particulière…
Dans cette seconde partie, il évoque son parcours et son rapport au cinéma, au théâtre et à tout ce qui a fait de lui l’auteur fascinant qu’il est devenu.

Vous avez tourné avec des monstres de la mise en scène, très jeune avec Chéreau, puis avec Assayas ou Philippe Garrel. Puis avec des gens plus de votre génération comme Yann Gonzalez ou Mikael Buch. Avez-vous eu de véritables influences pour devenir le metteur en scène que vous êtes désormais ?

Je crois que j’ai beaucoup observé tous les tournages dans lesquels j’ai été. Mon premier avec Chéreau, je crois qu’il m’influence encore. Je ne dirais pas de Ceux qui m’aiment prendront le train que c’est un « beau » film, ça ne lui convient pas. Il y a une maladie dans le film. C’est un film malade mais au bon sens du terme, il est hémorragique. C’est pas un film de commission, ni un film à sujet, celui-ci étant caché. C’est aussi un film sur ses acteurs, comme un documentaire sur tous ces gens que Patrice avait déjà formés – comme Vincent Pérez ou Bruno Todeschini qu’il avait formé à l’école du théâtre des Amandiers. Pour moi, c’était absolument génial dans mon destin de rencontrer quelqu’un de si fantastique.

J’apprenais le théâtre et je jouais dans la pièce Roberto Zucco, plus son lien avec Koltès, tout était vraiment très cohérent. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ça mais Chéreau à ce moment là c’était le maître du cinéma événement, avec la Reine Margot par exemple. De passer de ce film là à Ceux qui m’aiment prendront le train c’était déjà très intéressant artistiquement. Il passait d’une reconstitution et une déclaration d’amour à Isabelle Adjani, qui est une femme extraordinaire et quelqu’un de très important dans ma vie, à un film qui en apparence fuit, et qui raconte Paris Province, mais dans l’autre sens, comme dans le mien.

Ça, forcément, ça a été très influent sur moi, notamment comme il filmait très frontalement certaines choses, comme notamment sa façon de filmer l’homosexualité. Moi j’avais 15 ans, alors forcément c’était fou, j’avais à l’époque une passion pour Valeria Bruni-Tedeschi, parce que j’avais vu Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel (1993). C’était des années cinéma qui m’ont bouleversé, sur la fragilité des personnages qu’on mettait au centre, sur leur maladie et leur incapacité à construire. Tout ça c’est dans Garçon chiffon, cette vibration là, cet appel du collectif et tout à coup de la solitude la plus tragique et la plus extrême. Ce sont des motifs et des couleurs qu’on retrouvait chez Patrice Chéreau.

Parfois, je regarde un acteur et je me dis qu’il ne se rend pas compte que la caméra filme aussi sa pensée.

Après, moi ça ne m’a pas influencé en tant qu’acteur de cinéma parce que j’étais trop « bébé » à ce moment là. Celui qui m’a beaucoup beaucoup envahi et révolutionné c’est Philippe Garrel, qui m’a appris que le cinéma ce n’était pas que dire, mais que c’était aussi penser. Et ça c’était comme une révolution, d’apprendre ça à 21 ans ça peut paraître comme une évidence mais en fait pas du tout. Parfois je regarde un acteur et je me dis qu’il ne se rend pas compte que la caméra filme aussi sa pensée. Elle filme notre enveloppe mais également notre pensée. C’est la meilleure des directions qu’on puisse avoir que de signaler cela à un acteur. On a ça dans le dernier plan sublime de Police de Maurice Pialat où Depardieu se retourne, il ne sait plus si ça tourne encore, c’est le dernier plan du film, il demande à Pialat est ce qu’on arrête là cette prise, est-ce qu’on arrête là avec le personnage. A la fois c’est de la pensée, mais pas vraiment active, ce qui rend la chose difficile à faire passer à un acteur.

Il demandait aussi, comme disait Duras, de jouer « l’air de rien », parce qu’il ne fallait pas qu’on voit le travail non plus. Ça permet d’accéder à un jeu qui pour moi n’est absolument pas narcissique, c’est pour moi une entreprise de débarras de soi. Et Garçon chiffon m’a aidé à ça, j’ai fait ce film je ne le referai pas. J’avais besoin de faire ce film pour accéder à mon cinéma. Le deuxième film, j’ai l’impression qu’il va être très très différent, assez abstrait, très dialogué, dans un climat très différent.

(…) le théâtre pour moi c’est ma maison. Cela pas dans le sens où j’y serais en pantoufles, mais c’est ma maison d’origine, mon temple (…)

Jean-Louis Trintignant disait de façon un peu déstabilisante que son véritable métier c’était acteur de théâtre, et que le cinéma en comparaison n’était que de la « conserve ». Vous êtes vous même un homme de théâtre, quel votre avis sur la confrontation de ces deux arts, de ces deux expériences d’acteur.

Je ne suis pas loin de penser comme lui, après j’ai eu la chance, même si moins que lui, de participer à des films dont on ressent qu’on fait quelque chose qui est de l’ordre de l’expérience. Quelque soit l’art, s’il n’y a pas d’expérience, je préférerais ouvrir une librairie. Faire de l’image uniquement pour communiquer des idées ou du scénario, ça ne m’intéresse pas du tout. Pour moi le cinéma est du cinéma, il y a une tautologie dans le fait de tourner. La même chose pour le théâtre. Ça serait comme de dire du lierre et du lierre. Mais par contre, tourner pour tourner en effet on peut en effet dire que c’est de la « conserve ». C’est déjà horriblement chiant, et le théâtre pour moi c’est ma maison. Cela pas dans le sens où j’y serais en pantoufles, mais c’est ma maison d’origine, mon temple et pourtant je ne suis pas croyant. C’est ma mosquée, mon temple, mon abbaye, un endroit où vraiment je fais un dépôt de moi-même avec une soumission absolue à deux écritures qui sont celles du texte qu’on dit, et puis du metteur en scène, et cela reste de l’écriture également.

Je n’ai fait que des spectacles je crois où la mise en scène était aussi majeure que l’écriture. Cotoyer ça, vivre ça, tout en déposant son écriture à soi, car c’est ce que ça nous demande à nous acteurs de théâtre. Nous n’y sommes pas que de simples exécutants. Dans tous les projets où je participe j’y dépose et accole mon projet d’acteur, car j’en ai toujours un quand je vais au théâtre, même si bousculé, modifié. Et chaque soir c’est une épreuve, et ce n’est pas de plus en facile, toute la journée, les répétitions sont tournées dans l’effort vers ça. Ça n’a pas à voir avec la virtuosité, ça à voir avec le feu, le froid, des choses très concrètes. Comment on refroidit ou réchauffe une salle tout à coup. C’est un peu la même chose que d’être chanteur de rock pour moi, c’est être capable soudainement d’enlever moins dix degrés à une salle, et de sentir qu’on en est capable, comme dans un manga.

Au cinéma, c’est plus compliqué, même si j’adore le rapport que je commence à vivre entre la caméra et moi. Entre l’objet très très matériel de se sentir sans corps, mou, pas musclé, de sentir que ses partenaires sont tellement meilleurs que moi, que des pensées annexes parasites, et que tout à coup la lumière arrive et on est sollicités par ça, le gros plan qui arrive, et d’accueillir la machine. Ces deux choses là me passionnent, même si là j’ai très envie de retourner au théâtre en ce moment.

Emmanuel Mouret nous avait avoué qu’il espérait ne plus jouer dans ses films, et trouver des acteurs qui pourraient remplir le rôle que lui tenait jusque là. Est-ce que c’est aussi une idée que vous auriez à l’esprit – de disparaître derrière la caméra sans être devant ?

Je ne suis pas non plus un acteur à succès dans le sens où je me rends compte que si des gens m’ont donné des rôles, je ressens une grande frilosité à mon endroit.

J’ai un rapport assez net avec ça. Je suis très fasciné par Nanni Moretti et comment il se filme. On ne cite pas souvent ce qu’il fait en tant qu’acteur, son dépôt de lui-même. On parle plus souvent de gens comme Woody Allen, par exemple. Je sais que je jouerai dans mon prochain film en tant que metteur en scène. Ce sont des discussions avec mon producteur, qui trouve aussi que ce serait beau que j’y sois. Mais j’ai déjà un autre scénario où il n’est pas du tout question de moi, et pourtant je me demande si je ne serai pas quand même là, en étant absent de ma caméra. Je vois que j’ai une musique, même quand je ne joue pas, quand je demande à mes acteurs de faire quelque chose.

Garçon chiffon

Mouret c’est un peu différent, car il n’est pas acteur à la base. Moi j’ai une formation très classique par exemple. Le débat est assez différent entre nous deux dans la mesure où je pense être dans un paysage des acteurs français. Je ne suis pas non plus un acteur à succès dans le sens où je me rends compte que si des gens m’ont donné des rôles, je ressens une grande frilosité à mon endroit. Je vois bien que je ne croule pas sous les propositions. Je ne le déplore pas, mais en tout cas je le remarque. Donc au bout d’un moment je ne vais pas non plus redistribuer tout le temps les cartes.

Je connais des acteurs de ma génération qui, à talent égal, n’arrêtent pas de tourner, là où moi non, et c’est comme ça. Mais je pense que je suis assez net avec ça, et je ne me mens pas trop. Après, il faut que j’ai envie d’être la toile de ce que je vais raconter, et d’être la toile la plus véritable surtout. Par contre, c’est sûr que j’adore filmer les autres. Je n’éprouve pas un plaisir surdimensionné à me filmer. Mais filmer, cadrer et regarder l’autre, c’est ma passion. Donc oui, si un jour je fais un troisième film je pense que je n’y serai plus du tout. Ce n’est quand même pas rien de se filmer… J’avais des exigences envers moi-même, très fortes. De connaître cette aventure, de ne pas avoir à passer par le maquillage dès le matin, d’être vraiment derrière tout le temps. J’ai envie de me donner cette chance-là aussi. Et je suis sûr que si je fais ça, les journalistes me diront soit que je leur ai manqué, ou l’inverse car on veut souvent la chose qu’on ne nous donne pas.

Pour être honnête je pense que vous nous manqueriez beaucoup en n’étant plus devant la caméra, car déjà en tant qu’acteur on vous sentait dans la mise en scène de vos rôles, même sous un autre regard que le votre.

Oui, en effet et c’est parce que j’ai eu la chance, en effet notamment chez Rebecca Zlotowski que je n’ai pas pu remercier pour ça, ainsi que chez Mikael Buch, de m’avoir vraiment accueilli dans leur film. Dans le sens de bâtir un socle, pour accueillir ma présence plus exactement. Et je suis bouleversé par ça : ils allaient vraiment à ma rencontre en tant qu’interprète. Il n’y a rien de plus beau que de sentir ça. Une actrice comme Isabelle Huppert a eu ce destin particulièrement chanceux, avec son sublime talent, que des cinéastes accueillent son silence, sa façon à elle, quelque soit le rôle. Ce n’est pas donné à tous les acteurs. Pour moi, par exemple, il a fallu que je performe énormément mes rôles. Je ne suis pas parisien, je ne viens pas de tel ou tel milieu, et donc il a fallu que ce soit ma façon de jouer, le cœur que j’y mettais, pour que les places grandissent. Je suis passé de cinq minutes dans un film à dix, à quinze, etc.

Ca a été ça mon parcours, pas tout de suite premier rôle. Ce serait vraiment malhonnête de ma part de ne pas remercier les auteurs de m’avoir invité dans leurs films.

Comment envisagez vous l’avenir en tant que metteur en scène ? Quelles sont vos ambitions – vous qui parlez déjà d’un deuxième long-métrage ?

Je pense que c’est dans mon chemin maintenant, mais ce n’est pas évident, même si ça peut paraître bizarre de dire ça. Ce n’est pas comme de se dire ma vie était comme ceci avant, et maintenant elle est comme ça. J’ai vraiment l’impression que c’est très naturel. Vous le disiez vous-même, que je mettais en scène mes rôles, un acteur metteur-en-scène, et c’est exactement comme ça que je vis mon métier. Et cette chose-là, l’avenir de ça est assez concret. J’ai posé les bases de ce que sera mon prochain film, j’ai hâte de le tourner. Je ne veux sauter aucune étape, je l’écris, puis il y a le financement et c’est vrai que ça j’ai envie de beaucoup le faire. Après, en tant qu’acteur, j’ai d’autres projets aussi, je vais faire une nouvelle série, mais il y a ça en plus dans ma vie désormais, c’est vrai.


Propos recueillis et édités par Florent Boutet pour Le Bleu du Miroir


Remerciements : Nicolas Maury et Monica Donati