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OPHÉLIE BAU & PIERRE DELADONCHAMPS | Interview

À quelques jours de la sortie de Vaurien, de Peter Dourountzis, nous avons rencontré les deux acteurs principaux de ce thriller inquiétant et prometteur, Ophélie Bau et Pierre Deladonchamps. La révélation rayonnante de Mektoub, my love et le comédien récompensé pour L’inconnu du lac se sont confiés sur le processus de collaboration et les conditions du tournage pour construire des personnages crédibles et complexes.  

Qu’est-ce qui vous a séduits dans le scénario de Peter ?

Pierre Deladonchamps : Que ce n’était pas manichéen. Mon personnage a une forte dualité. Ce qui m’a attiré aussi c’est que tous les personnages qu’il rencontre sont importants. Ils sont secondaires, mais c’est autour d’eux que tout tourne, il les rencontre à sa façon et se comporte de manière différente avec eux. C’est aussi grâce au talent des acteurs qui étaient face à moi lors de ces scènes que le film prend son ampleur.

Le réalisateur s’interrogeait à juste titre du male gaze, pour ne pas se positionner avec un regard masculin.

Ophélie Bau : En effet, il s’est positionné en tant que tueur et pas en tant qu’homme. Mais pour tous les personnages féminins qui seront victimes de Djé, il ne les place pas forcément en position de victime, il réfléchit au rapport qui s’installe avec lui…

Pierre : Dès qu’une femme est forte face à lui, Djé est déstabilisé. On sent qu’il a besoin de se sentir supérieur. Il a besoin de se sentir fort, mâle alpha, et d’assouvir son complexe d’infériorité. Et s’il est déstabilisé, il devient presque un petit oiseau tombé du nid…

La fiction permet beaucoup de choses. Si l’on se cantonnait à glorifier que ce qui est glorifiable, on s’ennuierait rapidement. Toutes sortes de films abordent la violence, mais cela ne doit pas forcément être manichéen, on peut montrer la complexité de ces personnages, sans les excuser, en les observant.

Aviez-vous des appréhensions quant à la façon dont serait présenté le personnage de Pierre ? Aviez-vous des craintes quant au risque de glorifier des actes monstrueux quand un violeur et tueur en série devient le protagoniste central d’une fiction ? 

Pierre : Je n’aurais pas la prétention de me comparer à Joaquin Phoenix, jamais. Mais si l’on prend l’exemple de Joker, on pourrait dire qu’il y a une certaine apologie d’une forme de violence. La fiction permet beaucoup de choses. Si l’on se cantonnait à glorifier que ce qui est glorifiable, on s’ennuierait rapidement. Toutes sortes de films abordent la violence, mais cela ne doit pas forcément être manichéen, on peut montrer la complexité de ces personnages, sans les excuser ou les comprendre, mais en les observant.

S’il y a cette fascination dans le monde sur les tueurs en série, ce n’est pas anodin. Cela nous renvoie à notre propre peur de la mort, à nos névroses ou nos pulsions. Et j’ai fait confiance à Peter car il a vraiment travaillé sur le SAMU Social et sur Guy Georges, pendant plusieurs années, afin d’être le plus juste possible dans son écriture. Je lui ai fait confiance, tout en veillant au grain. Je reconnais volontiers durant le tournage que j’avais besoin de parler avec Peter et mes partenaires pour ne pas tomber dans le cliché, ne pas tomber dans la glorification.

C’est justement parce qu’il ressemble à un Monsieur Tout-le-monde qu’il est une menace crédible et réaliste…

Ophélie : On n’a pas vraiment connaissance de son passé, de ses fêlures. C’est aussi comme ça que l’on ne prend pas position, qu’on ne l’excuse pas. On le découvre tel quel, cela permet de voir toutes ses facettes : parfois il est tueur, parfois c’est juste un homme comme un autre et il ne peut être défini seulement comme un monstre.

Ophélie, votre personnage est essentiel car il permet au spectateur d’avoir enfin un personnage auquel s’identifier ou vers qui porter son empathie. Comment avez-vous appréhendé ce personnage ?

Ophélie : Maya, c’est l’ouverture à l’humanité de Djé. On découvre qu’il a des sentiments, qu’on voit que ce n’est pas qu’un monstre. Durant le tournage, en tant que personnage, je n’étais pas supposée considérer Djé comme un tueur. Je ne dois pas me montrer méfiante…

Pierre : … C’est comme une histoire d’amour naissante, entre deux personnes qui se plaisent. C’est à ce moment que l’on voit que Djé brise son armure. Je ne l’excuse pas, une fois de plus, mais on voit qu’il a des sentiments et qu’il veut bien faire. Maya se doute qu’elle a sûrement été volée, mais, dans le fond, elle a presque pitié de lui. Il ne sait pas s’y prendre.

On sent son problème vis à vis des femmes… Soit il veut les posséder, soit c’est un petit garçon face à celles qui l’impressionnent.

Pierre : Il a besoin de charmer pour plaire. C’est comme un addict, il a besoin de tuer pour se sentir viril, pour se sentir exister.

Vos rôles étaient-ils déjà scrupuleusement définis dès le scénario ou avez-vous travaillé avec Peter Dourountzis pour le peaufiner ensemble ? Il y a-t-il eu ensuite une part d’improvisation importante durant le tournage ?

Pierre : Avec Peter, on a mis quelques jours à nous trouver pour être honnête. J’avais des inquiétudes car je le sentais trop content, trop vite. Je ne voulais pas qu’il se contente de la première bonne prise. Il l’a entendu, et on a fait chaque fois plusieurs prises pour qu’il ait du choix, il s’est adapté, et à partir de là la confiance est née. Ce personnage, on l’a co-réalisé en quelque sorte. C’était notre personnage à tous les deux. Mais il y avait peu d’improvisation en revanche par rapport au scénario, à part essayer de se surprendre lors des moments de groupes.

Vaurien

Peter Dourountzis confie avoir énormément sollicité vos suggestions et points de vue pour tourner leur scène intime. Comment s’est passée cette collaboration et comment l’avez-vous vécue en tant que comédienne alors que bien trop souvent ces scènes peuvent être délicates ?

Ophélie : Peter m’a proposé de la co-réaliser. Il m’a demandé ce que je pensais de la scène, il voulait que cela me convienne, que les plans soient clairement définis, quels seraient les gestes, où se plaçaient nos limites. On pouvait ensuite jouer dans ce cadre et cela permettait la spontanéité.

Ce qui la rend d’autant plus crédible est cette considération des détails, la maladresse des premiers gestes tendres, la recherche du préservatif… Ce qu’on ne montre pas toujours au cinéma… 

Pierre : Oui, quand elle lui demande s’il avait prévu de coucher avec elle à ce moment là quand elle trouve le préservatif… Cela apporte un peu de fantaisie à l’instinct, de véracité. Et finalement, c’est la première, et sûrement la seule fois, où l’on voit un Djé plus passif, plus tendre. Il se love dans les bras de Maya, il commence à tomber amoureux d’elle.

Le film a été tourné dans un squat d’artiste qui a pris place dans un monument classé (le Cercle de l’Union et Turgot) qui imprègne son atmosphère au film, est-ce que tourné dan un tel lieu a influencé votre jeu ?

Ophélie : Et quelle atmosphère ! Cette odeur… C’était particulier. Ce n’était pas vraiment les jours les plus agréables du tournage. C’était réellement insalubre. On n’avait qu’un seul toilette, sans porte, pas d’électricité. On n’a pas triché.

Pierre : Et de vrais squatteurs ont joué dans le film et font de la figuration dans le film. C’est à la fois magnifique, classé, avec des miroirs et des vitraux. Et en même temps, tout saccagé, tagué. C’est une chance d’avoir pu tourner là-bas, et c’était la dernière fois que l’on pouvait profiter de ce cadre car il a été racheté pour faire un hôtel, je crois.

Ce n’est pas un film sur Djé, le tueur, mais sur les personnages qu’il rencontre.

Pierre, après L’inconnu du lac et Les chatouilles, vous jouez à nouveau un personnage trouble, à la marge. Qu’est-ce qui vous attire en tant que comédien pour donner chair à ces protagonistes inquiétants ?

Pierre : Être acteur, c’est aussi pour être aimé. Mais on peut l’être parce que notre personnage suscite l’empathie ou parce que le spectateur ne vous reconnait pas, grâce à ce que vous pouvez proposer en tant qu’acteur. Je ne fais pas ce métier pour que l’on me dise que je suis adorable, mais pour qu’on me dise qu’on y a vraiment cru. C’est sortir de sa zone de confort, ça fait vibrer, c’est ça la vie. C’est plus grand, plus fort, plus stimulant.

Ophélie, Bette Davis disait : « Le vieillissement n’est pas pour les poules mouillées« . Rêvez-vous d’une carrière inscrite sur la longueur ? Est-ce que Vaurien est la première étape d’un parcours à écrire après votre révélation fulgurante dans Mektoub, my love ?

Ophélie : Je ne rêve pas forcément d’une grande carrière, mais si cela arrive, j’en serais ravie. Ce n’est pas une course à mes yeux. Les films que j’ai faits, et que je choisis désormais, c’est parce qu’il y a quelque chose qui m’appelle, qui m’interpelle. Je viens de tourner un nouveau long-métrage, Le marchand de sable de Steve Achiepo, qui sortira sûrement en 2022. C’est un film différent de Mektoub et Vaurien. On ne peut pas décider seul.e de la carrière que l’on fera, ce sera en fonction des propositions…

Pierre : … C’est peut-être plus facile pour moi de répondre… Je pense qu’elle fera une grande carrière car elle a l’intelligence de la construire sur la durée, de ne pas se jeter sur ce qui se présente. Le cinéma a besoin d’actrices de son talent. Et je précise que je l’aurais dit même si elle n’avait pas été là. J’étais ravi qu’Ophélie fasse partie de l’aventure, elle apporte une envergure supplémentaire au film. Et Peter disait un truc très juste : « ce n’est pas un film sur Djé, le tueur, mais sur les personnages qu’il rencontre« . Et tous les acteurs castés ont été parfaitement choisis, ils sont incroyables.


Propos recueillis et édités par T. Périllon pour Le Bleu du Miroir

Remerciements : Calypso Le Guen et Pierre Galuffo pour l’organisation, Ophélie Bau et Pierre Deladonchamps pour l’utilisation des photos portraits (Autorisation validée par les deux agents des comédiens)