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PETE DOCTER | Rencontre

Quelques jours avant la sortie sur Disney+ de son nouveau long-métrage, le réalisateur Pete Docter (Là-haut, Vice Versa) et Kemp Powers se sont entretenus avec plusieurs journalistes français pour évoquer la création de leur nouveau film d’animation, Soul., accompagnés de la productrice Dana Murray. Un entretien tout en métaphores pour revenir sur la conception de cette odyssée lyrique et existentielle…


Pete, que pourriez-vous nous dire de l’origine de ce nouveau chef d’œuvre, qu’est-ce qui vous a inspiré, d’où vous est venue l’idée de Soul ?

Pete Docter : L’idée est venue après VICE-VERSA. Je suis un fan et un passionné d’animation depuis longtemps et après VICE-VERSA je me suis demandé comment cela pourrait être mieux. Le film a été très bien reçu par la critique et le public l’a adoré avec un beau score en termes d’entrées. Je me suis demandé ce que j’allais faire ensuite.

D’une manière étrange, j’étais comme dégonflé car le film avait atteint de tels sommets que je pensais que tout allait trouver sa place dans ma vie et que je trouverai les réponses à mes questions. C’était absurde. Je pense que beaucoup d’entre nous se fixent ces grands objectifs en se disant un jour je réussirai et tout ira bien dans ma vie, mais bien sûr cela ne se passe pas ainsi. C’est ce qu’exprime ce film.

En même temps, mes enfants grandissaient et devenaient de jeunes adultes, ce qui m’a amené à repenser à leurs vies, à leur naissance. Je me rappelais qu’ils savaient déjà qui ils étaient, ça se voyait. Quand on est rentrés de l’hôpital, ils avaient déjà leur personnalité et je me suis demandé : comment est-ce possible, d’où cela vient-il ? Je me suis dit qu’il y avait peut-être un lieu qui formait ces personnalités et donnait ces caractéristiques à chacun.

Sommes-nous envoyés sur Terre avec un but ? Sommes-nous censés accomplir quelque chose durant nos vies ? Y a-t-il une quelconque signification à la vie ? Ou sommes-nous supposés le trouver par nous-mêmes ? Ce sont ces éléments, ces ingrédients que nous avons mis dans la cocotte pour faire ce film.

Kemp, vous avez aussi prêté vos talents d’écriture à Star Trek : Discovery, et bien sûr votre pièce de théâtre, One Night in Miami…, qui a été adaptée à l’écran et qui sortira également cette année, réalisée par Regina Kane…  SOUL est votre premier film d’animation, que pensez-vous du travail dans l’animation et pouvez-vous nous dire comment vous avez partagé les tâches avec Pete en tant que
coréalisateur ?

Kemp Powers : Ayant été un fan de longue date de Pixar et de l’animation en général – mon premier travail d’écriture a été pour un comic indépendant du temps de l’université – je sentais que cela me convenait très bien.

La grande différence entre les prises de vues réelles et l’animation est la nature collaborative du travail, le grand nombre de personnes impliquées. Dans les prises de vues réelles, le travail d’écriture est un parcours très solitaire : vous écrivez seul votre scénario, vous faites quelques révisions, puis vous le soumettez et vous espérez que, lorsque la version filmée apparaîtra à l’écran de télé ou de cinéma, vous arriverez à reconnaitre encore ce que vous aviez écrit, car à ce stade vous êtes hors-circuit. Tandis que dans l’animation, l’écriture se fait constamment. Honnêtement, je ne pense pas que nous ayons réuni tous les éléments du script avant la toute fin du processus, parce que nous travaillions les séquences dans le désordre.

Quant à mes tâches de coréalisateur, franchement la meilleure comparaison que je puisse faire est celle de copilote. C’est comme dans un avion vous avez le pilote et le copilote, assis à côté de lui ou d’elle, j’étais en réalité le copilote, chaque réunion avec les équipes artistiques, concepteurs de personnages, décors, rushes, j’étais là pour donner mon avis aux côtés de Pete. Parfois mon opinion était très similaire à la sienne, et d’autres fois elle était différente, et nous discutions de la meilleure manière de faire.
Encore une fois, cela décrit bien le travail collaboratif.

L’idée que nous sommes en train d’improviser notre vie, qu’on ne suit pas un scénario… C’est ce que le jazz raconte : vous ne jouez pas des notes, vous les improvisez tout en jouant. On sentait que le jazz avait beaucoup à nous apprendre sur l’histoire que nous racontions.

Pete, c’est votre 4ème film d’animation, pouvez-vous nous dire comment votre approche a changé d’un film à l’autre ?

Pete Docter : Quand j’ai commencé sur MONSTRES & Cie, je n’avais aucune idée de ce que je faisais… D’ailleurs ça n’a pas changé je ne sais toujours pas ce que je fais ! Je me jette à l’eau en quelque sorte. Joe Ranft, coscénariste de TOY STORY, a décrit les choses ainsi : c’est comme une voiture embourbée, plus vous essayez de démarrer plus les pneus tournent à vide, puis vous réalisez qu’un des pneus a très peu de chape alors vous mettez des sacs de sable derrière ce pneu pour pouvoir sortir la voiture de la boue. Je sens que faire un film c’est un peu comme cela, souvent vous vous sentez bloqué jusqu’au moment où vous sentez que quelque chose prend, cela peut être un personnage, un thème, un sentiment… Dans le cas de ce film, comme je l’ai dit, c’était plus un sentiment ou une circonstance de la vie. Je n’étais pas tellement porté par le personnage. Par exemple, dans LÀ-HAUT, on savait qui était Karl, on ne connaissait pas son histoire, mais c’est le personnage qui est venu en premier. Chaque film est différent, et il faut avoir confiance dans le chaos inhérent, dans le processus créatif et ne pas arriver avec une idée préconçue : c’est comme ça que ça marche, laissez aller et gardez en tête que personne ne sait ce que vous faites, il faut simplement y aller.

Il semble que la découverte fasse partie du processus ?

Pete : Absolument.

Pete Docter

Kemp, vous êtes de New York, est-ce que cette ville était obligatoirement le lieu où devait
se dérouler l’histoire ou l’aviez-vous imaginée dans une autre ville par exemple ?

Kemp Powers : Je pense que les deux seules villes considérant combien l’ancrage du jazz y était profond, c’étaient New York et La Nouvelle-Orléans. Cette dernière étant bien sûr le lieu de naissance du jazz, mais il y a eu d’autres films d’animation ces dernières années qui étaient à la Nouvelle Orléans et ils avaient capté cet aspect. A New York se trouvent certains des clubs de jazz les plus iconiques des États-Unis et du monde. Et pour être honnête, quand vous pensez à l’histoire que vous essayez de raconter, New York l’emportait vraiment comme LA ville pour Joe.

En parlant de jazz, Pete, comment avez-vous décidé d’amener le jazz dans ce film ?

Pete Docter : Au départ, c’était un choix esthétique. Nous cherchions quelque chose de sympa à regarder. Le jazz a une longue histoire avec l’animation, depuis que le son existe dans un film d’animation, le jazz en a fait partie. Si on pense à Betty Boop et nombre des premiers films de Disney, il y avait du jazz. Je pense que c’est l’énergie, l’esprit du jazz qui colle bien.

En cherchant plus, il y avait aussi cette citation de Herbie Hancock… Il racontait l’histoire du jour où il a joué avec Miles Davis, le grand Miles Davis, pendant une tournée, en Europe je crois, et il disait : nous faisions une super tournée et ce concert était particulièrement magnifique jusqu’au moment où, Herbie raconte, il a joué une note tellement fausse qu’il était inquiet d’avoir anéanti tout le concert. Il a regardé Miles qui a juste pris son souffle, joué quelques notes et rectifié la note de Herbie. Il n’arrivait pas à comprendre comment il avait réussi ça, cela lui a pris des années pour comprendre ce que Miles avait fait. Il n’avait pas jugé ce qui était arrivé, il n’avait pas dit ça c’est mauvais, ou arrêté le concert, il l’a juste prise comme une nouvelle chose qui arrivait et a fait ce que tout grand musicien de jazz devrait essayer de faire : quoiqu’il arrive, le transformer en quelque chose de bien.

Je me souviens lorsqu’on a entendu cette histoire la première fois, on s’est dit que c’était exactement ce que nous essayons de dire avec notre histoire. C’est exactement notre thème : l’idée que nous sommes en train d’improviser notre vie, qu’on ne suit pas un scénario. C’est ce que le jazz raconte : vous ne jouez pas des notes, vous les improvisez tout en jouant. On sentait que le jazz avait beaucoup à nous apprendre sur l’histoire que nous racontions.

Comment avez-vous travaillé avec Trent Reznor et Atticus Ross qui ont une approche très
différente de la musique d’un film ?

Pete Docter : Je ne sais pas si on a vraiment décidé, mais nous avions entendu dire qu’ils aimaient proposer des sketches au fur et à mesure. On était à mi-chemin, comme avec Randy Newman, on avait presque terminé le film ou certaines parties et nous le donnions aux musiciens pour qu’ils composent la musique qui accompagnerait ces images. Dans ce cas, Trent Reznor et Atticus Ross, nous donnaient ces petits sketches de démonstration et dans certains cas, par exemple à la fin quand Joe joue en direct, je pense que c’était cinq propositions complètement différentes, pour voir si l’une d’entre elles nous convenait. Tout en faisant la scène, nous prenions ces bouts de musique, on les copiait-collait, on prenait des idées qu’ils avaient pour cette partie du film et on les mettait là. C’était très organique, une manière différente de travailler.

Ensuite bien sûr, ils les reprenaient pour améliorer le son de nos montages. Mais la musique faisait partie du récit d’une manière qui était nouvelle pour nous, c’était très cool. Ce que je dirais aussi c’est qu’ils semblaient dès le début avoir vraiment connecté avec le thème du film, essayant de raconter une histoire qui faisait vraiment écho à ce que nous voulions.

Ils avaient dit, une fois qu’on fera un Stadium Show, on y sera vraiment arrivés, la vie se mettra vraiment en place. Le concert a eu lieu et ils étaient dans les coulisses attendant tout le monde, puis tout le monde est rentré chez soi et a reprit sa vie mais ils étaient restés les mêmes. Je me suis dit que ça allait vraiment bien marcher car émotionnellement ils comprenaient ce dont nous voulions parler dans le film, et c’est fondamental quand vous travaillez avec des artistes de vous assurer qu’ils sont sur la même longueur d’ondes que vous.

L’âme est un concentré de ce que nous sommes. Je ne sais pas pour vous, mais je ne sens pas que je ne suis que chair. Clairement mon look, mes cheveux, tout cela, contribue à me définir, mais au cœur de tout cela, je sens que nous sommes plus que cela, et ce qui définit l’âme, c’est comme la force animée, l’essence de notre personnalité, le siège de ce que nous sommes. Nous avons donc essayé de suivre cela dans la conception des personnages.

SOUL est vraiment un film sur la vie, mais quand on explore la vie, il faut aborder la notion de mort de manière explicite et franche. Comment abordez-vous cela quand vous travaillez sur le scénario d’un film sachant que beaucoup d’enfants vont le voir et que parler de mort peut être parfois un exercice difficile quand il s’agit d’enfants ?

Kemp Powers : C’est intéressant comment beaucoup de gens nous parlent de la mort. Or, pour nous, ce film était une exploration de la vie. L’au-delà, ce qui arrive après la mort, ne représente que des moments furtifs dans le film et nous ne montrons même pas ce qui se passe là-bas, nous allons tout de suite au monde d’avant, le monde des potentiels. Mais pour apporter une réponse spécifique, je pense que les enfants, et ce que j’aime dans le travail avec Pixar et d’écrire un film Pixar est que nous ne prenons pas les enfants de haut, ni ne leur imposons quoique ce soit. Les enfants comprennent ces notions complexes et ils ont déjà ces questionnements qu’on leur en parle ou pas, et je pense qu’en ne les prenant pas de haut et le fait de travailler avec un media visuel, nous sommes le medium parfait pour traiter de ces questions d’une manière qui n’est pas effrayante pour les enfants.

SOUL movie

Malgré cela, vous savez, nous comprenons ces inquiétudes et nous faisons des projections tests spécifiques pour les enfants pour nous assurer que nous ne nous faisons pas d’illusions, que nous ne sommes pas en train de travailler sur une œuvre qui va terrifier une génération entière. C’était vraiment rassurant dans le cas de SOUL, que les deux scènes qui nous inquiétaient, dans lesquelles la combinaison du son et de la musique pouvait être un peu effrayante, les enfants n’étaient même pas décontenancés.

Et pour ce qui est de la complexité de l’histoire, nous avions des conversations avec les parents à l’issue des projections, ils nous disaient « j’ai beaucoup aimé le film mais je ne sais pas si ces idées ne sont pas trop complexes pour mes enfants, s’ils vont comprendre, s’ils ne vont pas être dérangés ». A ce stade, l’enfant interrompait à chaque fois le parent et expliquait par le menu détail, tout ce que les parents pensaient qu’il ne comprendrait pas.

Pixar fait confiance aux enfants. Les gens oublient ce que c’était d’être un enfant. Mon enfance était remplie de questions et je voulais explorer toutes ces idées. Je pense que ce film s’adresse à des enfants un peu plus âgés, un gamin de deux ans serait en train de baver devant, mais un enfant de deux ans n’est pas sensé être assis à regarder la télévision de toute façon ! Je pense que ce n’est pas vraiment un problème.

Merci de ne pas essayer d’introduire de grandes peurs dans une génération d’enfants. 

Pete : ces souvenirs cicatriciels, cela fait partie du rituel, de grandir. Pour parler de quelque chose de plus spécifique au sujet du film, il y a deux personnages : les Conseillers, Jerry (Michel dans la version française) et Terry. Leur look est assez unique, très intéressant, très graphique, comment avez-vous abordé le design de ces personnages ? Quelle était l’inspiration pour leur look ?

Dana Murray (productrice) : Nous avons regardé beaucoup de sculpteurs modernes, Picasso et d’autres, une des personnes qui travaillait sur l’histoire avait vu que dans le scénario il n’y avait pas de détails sur le look de ces personnages. Elle se mit alors à dessiner ce que vous voyez dans le film, ces sortes de personnages faits de lignes, c’était assez intriguant, on n’avait encore jamais vu ça et c’est ce qui était excitant. Puis, elle les montra à l’un des concepteurs de personnages. Deanna Marsigliese, est géniale, elle a vu ce qu’Atkin était en train de dessiner. Elle n’avait encore jamais fait de sculptures en fil de fer, et elle s’est dit « oh mon dieu il va falloir que je sculpte ces dessins » ; je ne sais pas ce qu’elle a pris, des tringles ou autres, et elle s’est mise à jouer avec ces fils, à sculpter ces personnages incroyables et nous les montrer et nous étions tous impressionnés. Puis, elle a éteint les lumières et allumé la lampe de son iPhone et elle a fait bouger la lumière autour des sculptures et on voyait comment les ombres et les perspectives changeaient avec la lumière, c’était extra !

Soul Pixar

On s’est dit ça allait être les personnages les plus faciles à faire et que quand on allait les donner au département des personnages, les animateurs vont adorer ça. En réalité, ils ont été les personnages les plus difficiles à réaliser, les deuxièmes plus difficiles parmi les personnages de Pixar après Hank, le poulpe dans Le monde de Dory.

Pete, avez-vous parlé ou consulté des experts religieux ou psychologues quand vous étiez
en train de travailler sur le film ?

Pete Docter : Nous avons demandé à des prêtres, des rabbins, des personnes de tradition Hindoue, Bouddhiste, même des chamans… c’était intéressant. Ce que nous tentions de comprendre d’eux étaient deux choses : au début de la fabrication du film, nous étions inquiets qu’à cause du sujet, nous pouvions égratigner certains aspects religieux, certaines croyances, ou dire des choses par inadvertance qui pourraient déranger. Nous voulions éviter cela et nous renseigner autant que possible. Mais aussi, nous voulions savoir quels étaient les éléments rattachés traditionnellement à l’idée de l’âme, pour nous aider dans le dessin et le récit. Cela nous a aidé, car il nous est apparu que la plupart des religions s’accordent sur le fait que l’âme est vaporeuse, invisible, éthérée, mais cela ne nous a pas aidé pour le dessin parce que nous ne pouvions pas nous appuyer sur ces notions.

Nous avons fini par nous dire que l’âme est un concentré de ce que nous sommes. Je ne sais pas pour vous, mais je ne sens pas que je ne suis que chair. Clairement mon look, mes cheveux, tout cela, contribue à me définir, mais au cœur de tout cela, je sens que nous sommes plus que cela, et ce qui définit l’âme, c’est comme la force animée, l’essence de notre personnalité, le siège de ce que nous sommes. Nous avons donc essayé de suivre cela dans la conception des personnages.

Je dirais que c’est là l’un des défis de conception les plus grands que nous n’ayons jamais affronté chez Pixar, et la manière dont Deanna et Michael Fong et d’autres ont créé cela : Tous les artistes et les techniciens se réunissaient pendant des heures et reprenaient et répétaient les dessins. Si vous dessinez les âmes, elles apparaîtront très simples, vous n’y verrez rien de difficile, mais nous savions que ce que l’ordinateur allait fournir serait une partie essentielle du design, qu’il fallait créer ce groupe où tout le monde serait là à travailler dur ensemble et reprendre et répéter le dessin. Toutes les semaines nous venions et nous pouvions voir les progrès. C’était assez bluffant de voir ce qu’ils arrivaient à faire et ce que nous avons appris par expérience…


Entretien réalisé par visio-conférence le 17 décembre 2020


Soul sera disponible sur Disney+ le 25 décembre 2020