PORTRAIT | Judy Garland, une étoile brisée
Visage juvénile, yeux délicats à la voix cristalline et au tout départ acclamée par Clark Gable, Judy Garland fut l’une des nombreuses victimes du système hollywoodien, machine à broyer qui cherchait le profit et la gloire au détriment du bien être de leurs « poulains ». Le retour sur grand écran de la jeune femme dans la peau de Renée Zellweger dans le film Judy en 2019 met en lumière un système qui n’a finalement peut être pas tant évolué que ça.
Les premiers pas d’une star
Judy Garland, c’est tout d’abord une précocité fulgurante sous les feux de la rampe et ce, dès son plus jeune âge. Elle fait ses premiers pas au sein de divers show familiaux en compagnie de ses soeurs Mary Jane et Virigina Gumm. Les jeunes filles de la famille Gumm se produisent chaque soir dans divers théâtres en entonnant quelques chansons et danses qui trouvent l’approbation du public. Le propre de la carrière, si longue, de Judy Garland pourrait être l’absence de choix engendrés par elle.
Garland n’est pas maitresse de son destin. Dès lors qu’elle se fait repérer par les studios de la MGM, la rouleau-compresseur propre au 7ème art se met en marche. Contrôlant les moindres faits et gestes de la jeune femme, s’inscrivant dans un rôle de patriarche exacerbée pour la jeune fille qui perdra son père très jeune, la MGM – et plus particulièrement Louis B. Mayer – passe le plus clair de son temps à prendre « soin » d’elle. Reléguée dans un premier temps aux chants de soirées de gala organisées par la MGM, Judy Garland trouve finalement LE rôle de sa carrière dès son plus jeune âge dans Le Magicien d’Oz en 1939. Les studios, au tout départ réticents à l’idée de laisser cette jeune demoiselle un peu « enrobée » tenir le rôle principal, misait plutôt sur une jeune anglaise aux bouclettes bien connue du cinéma en la personne de Shirley Temple. Arthur Freed, producteur, finit par imposer le choix Garland, alors convaincu par les dons possédés par la future comédienne et chanteuse.
Une étoile est née, mais reste bridée
Trouvant chaussure à son pied avec ce long métrage musical, Judy Garland enchaîne les comédies musicales produites par la MGM. Elle se lie d’amitié avec un autre acteur enfant-star de l’époque, Mickey Ronney, sur le tournage de Babes in arms (sorti la même année que le Magicien d’Oz) et tourne à un rythme effréné pléthore d’autres films musicaux comme Strike Up the Band , Little Nelly Kelly, Ziegfielg Girl, Babes on Broadway, For me and my gal….
Car Judy Garland était avant tout une machine de travail, une jeune femme propulsée trop tôt dans un monde dans lequel la loi Coogan vient tout juste d’être adoptée (loi qui vise à protéger une partie de l’argent gagné par les enfants-stars jusqu’à leur majorité), les studios cherchant à rentabiliser leurs nouvelles étoiles montantes du cinéma. Dès son adolescence, Judy Garland, affaiblie par les heures de travail bien trop nombreuses, consomme de la Benzédrine (un amphétamine puissant) qui devient alors son unique source de vitalité.
Avortement forcé et illégal, contrôle accru de l’alimentation de la jeune femme, chaperon (Betti Asher) imposé par le studio pour surveiller et apprendre à connaître les secrets de leur star fétiche, lettres d’amour détournées, voici donc quelques stratagèmes orchestrés par les studios de la MGM de l’époque pour garder la main mise sur la jeune Judy Garland. La star du Magicien d’Oz grandit et tente de s’émanciper à cette période de l’histoire, comme une industrie qui, elle aussi, cherche à se renouveler pour éviter de se scléroser.
Les studios font appel à du sang neuf en la personne de Vincente Minelli, metteur en scène alors en plein succès à New York. La MGM l’associe à Judy Garland avec le film Le chant du Missouri en 1944, une comédie musicale où le kitsch assumé permet à la jeune femme d’assurer deux autres succès musicaux : The Trolley Song et Have Yourself a Merry Little Christmas. Cette dernière chanson sera d’ailleurs reprise quelques années après par Franck Sinatra et connaitra un succès plus important que l’orignal. La collaboration entre Garland et Minelli s’avère fructueuse : les deux personnalités du 7ème art tournent ensemble d’autres longs métrages de comédies musicales tels que Ziegfield Follies (1945), un feu d’artifice réunissant les plus grands acteurs et actrices de la comédie musicale, et The Clock en 1945.
Garland perd de son éclat
Sur le tournage du Pirate (1947), film musical où elle partage l’affiche avec Gene Kelly – qu’elle retrouve six ans après For Me and My Gal -, l’état de santé de Judy Garland se détériore. Elle arrive en retard sur le plateau, certains jours ne se montre pas, et connait même des crises de paranoïa au cours desquelles elle s’imagine des trahisons. La première tentative de suicide serait la conséquence d’un tournage cauchemardesque durant lequel le rythme de travail imposé par les studios infligeait à une femme déjà en proie à la fragilité psychologique une rigueur bien trop imposante et excessive.
À peine remise de sa tentative de suicide, les studios de la MGM, toujours alléchés par l’appât du gain et persuadés des recettes que leur fera connaitre Judy Garland, s’empressent de retourner auprès d’elle. Ils lui proposent quelques projets comme Easter Parade (qui connaitra un succès important) ainsi que The Barkleys of Broadway, qui lui vaut son premier renvoi d’un tournage suite à son attitude instable. La carrière de Judy Garland ressemble alors à des montagnes russes entre succès fulgurants et échecs incommensurables. Suite à cette mésaventure, Judy Garland retrouve de sa superbe avec In the good Old Summertime, avant d’être renvoyée de ses trois films suivants. Ces montées et descentes sont de trop pour la jeune femme qui attente une nouvelle fois à sa vie. Comprenant que sa santé est en jeu, le 29 septembre 1950, les studios et Judy Garland rompent d’un commun accord leur alliance néfaste.
Une étoile dans le milieu de la musique qui voit revenir le cinéma
Son divorce de la MGM signe la fin d’une vie financière et matérielle confortable pour la chanteuse. Dans le but d’éponger les dettes diverses accumulées au long de sa carrière (frais médicaux notamment), Judy Garland met en place un récital de chansons qui reprend ses plus grands succès populaires à Londres. Elle s’épanouit loin des studios et signe pour une tournée de concerts au Royaume-Uni et en Irlande. Elle se produit même à New-York, où elle connaitra un succès intense avec la salle du Carnegie Hall située à Manhattan. Mais l’intensité de ces tournées replonge son état de santé de nouveau dans un gouffre sans fond. Victime d’un malaise en plein concert, elle est transportée à l’hôpital.
Si la musique prend une place évidemment importante dans la vie de la comédienne, le 7ème art est lui aussi doté d’une importance primordiale, car sa carrière d’actrice ne s’arrête pas là. Le cinéma revient frapper à sa porte avec deux rôles qui marqueront la filmographie de la jeune femme. Il y a en effet son personnage d’Esther Blodgett, jeune actrice connaissant une ascension fulgurante dans A Star Is Born (1954) ainsi que le personnage d’Irene Hoffman dans Jugement à Nuremberg. Si le rôle qu’elle campe dans A Star Is Born lui sied à ravir, les deux personnages principaux Esther Bloodgett et Norman Maine (incarné par James Manson) semblent tous deux faire écho à la carrière de la jeune femme, nous dévoilant à la fois son ascension ainsi que sa chute. Épuisée, harassée, la voix de la chanteuse perd en superbe et elle décède le 22 juin 1969 des suites d’une prise excessive de barbituriques.
Ce serait un pléonasme que d’affirmer que Judy Garland a marqué l’Histoire du Cinéma, elle qui est aujourd’hui considérée comme la 8ème meilleure actrice de légende du cinéma. Figure incontournable pour les fervents admirateurs de la comédie musicale, elle fut aussi une malheureuse victime d’un système violent, qui avait pour seul objectif : amasser les gains au profit de la santé.