PREMIER CONTACT
Sans aucune forme de sommation, 12 monolithes extraterrestres apparaissent à la surface de la Terre, sans logique apparente de placement. À première vue, rien ne semble s’en émaner. Pourtant, le gouvernement américain fait appel à une linguiste et à un physicien pour tenter de dialoguer et d’établir un premier contact avec l’hypothétique forme de vie.
Fléchir l’espace-temps.
Cinéaste révélé par Incendies en 2009, le québécois Denis Villeneuve s’est progressivement installé dans le coeur des cinéphiles en même temps qu’il peaufinait une image bien à lui. Structurée, simple mais pas simpliste, sans superflu mais indéniablement happante. Prisoners, Enemy et Sicario en sont trois preuves, dans des registres bien différents. Le premier tourne la tête vers le tandem drame et polar. Le dernier allie thriller et action. Entre les deux mastodontes clairement établis pour la grande distribution, Enemy joue la profondeur, tente d’éliminer la grandiloquence pour se perdre dans les méandres de la paranoïa de son personnage principal. Une noyade qui prend parfois des tournures fantastiques.
Ils espèrent, ils doutent.
Il existe mille et une raisons d’être méfiant à l’égard de Premier Contact (Arrival en VO). Si le roman de Ted Chiang, Story Of Your Life, encore discret jusqu’ici, a tout de même été loué à sa sortie, au script, Eric Heisserer n’est pas tout à fait un ponte de la SF. Son expérience scénaristique se résume à des reboots dispensables (Freddy – Les Griffes de la Nuit, The Thing), quelques navets bienveillants (Lights Out, Destination Finale 5) et la réalisation d’un thriller mou, Hours, en 2013.
Côté casting, Jeremy Renner et Amy Adams ne constituent pas exactement le tandem le plus sexy du cinéma contemporain américain, les deux acteurs nous ayant parfois habitués à des prestations pour le moins fades. La filmographie de Villeneuve, même si largement encensée, cherche son équilibre film après film. Jusqu’ici, impossible de fixer dans la représentation critique globale une hiérarchie établie chez le Canadien. Avec Premier Contact, c’est désormais chose faite.
Ils souffrent, ils constatent.
À l’ouverture de Premier Contact, un frisson parcourt l’échine. Dès le départ, absence de bruit et harmonie, à l’image comme au son. On retrouve des plans aux compositions patientes, riches et contemplatives. Une habitude chez Villeneuve. Ils sont habités des couleurs froides et grisâtres inspirées de Fincher. Le terrain de jeu est immense, à ciel ouvert, et pourtant s’en dégage déjà une certaine claustrophobie. Trop calme, trop immobile, la nature est vidée de son chaos et donc de sa vie. Comme profondément déprimée, baissant les bras face à une tragédie trop grande pour elle. Amy Adams, ton juste, prend le flambeau de Dinah Washington et démarre sa narration sur le “On The Nature of Daylight” de Max Richter.
Cette tragédie d’atmosphère, elle trouve son écho en une tragédie humaine. Celle du personnage d’Adams, le Dr. Louise Banks, linguiste américaine reconnue comme autorité dans son domaine. Sans fioritures, sans chercher à étaler par un voyeurisme mal placé son sujet, Villeneuve installe en quelques minutes ce qui aurait pu constituer en soi un drame en long-métrage entier. Soit l’horreur froide de la vie d’une enfant emportée par la maladie avant d’avoir pu croquer dans son destin. Soit le travail de construction d’une vie réduite à néant.
Dans ces premières images et l’opposition nette entre la sobriété du présent et les vives et douloureuses émotions du passé, Villeneuve laisse le champ libre pour l’imagerie de ces dernières à son directeur de la photographie, Bradford Young, déjà auteur des superbes prises de vues de Les Amants du Texas et A Most Violent Year. En opposition de style et de sens, Villeneuve délaisse un temps sa rigueur pour une caméra au poing, des plans filmés à la hanche, des mouvements teintés d’émotion et une telle proximité avec ses personnages et leur relation que le spectateur en subit, autant que le Dr Banks, les distorsions du temps et de la nostalgie.
En à peine dix minutes, Premier Contact happe son spectateur en un brouillard grisonnant. Réalisant soudainement de la rapidité avec laquelle il a sombré, celui-ci commence à prendre conscience de l’enjeu du film. Cette première distance sera également la dernière, car l’attention se porte désormais sur nos étranges visiteurs. Les 12 monolithes extraterrestres sont teintés de mystère. Il en existe en Chine, en Russie, aux États-Unis, au Soudan, en Amérique Latine, sans ordre premier ni implantation stratégique. Leur aspect esthétique fait signe d’une intentionnalité établie. Toute la question réside dans leur approche. En race d’Histoire, de civilisations et de destruction, de splendeur et de néant, l’Humanité pose la dualité première de tout étranger sur ses terres. Alliés ou ennemis ?
Ils existent, ils communiquent.
Le Dr. Louise Banks possède une chance incroyable. Elle parmi tous les badauds et les curieux est dépêchée sur le site du Montana où le bloc alien toise silencieusement les plaines brumeuses alentour. En sa qualité de linguiste, elle est chargée d’une mission : dialoguer avec les extraterrestres. Pour cela, elle est accompagnée de l’autre spectre des sciences, dures cette fois, en la chair d’un physicien bonne patte, Ian Donnelly (Jeremy Renner). Bien évidemment, les deux sont supervisés par un représentant militaire, le colonel Weber (Forest Whitaker), heureusement compréhensif dans la mesure du possible et chargé de faire tampon entre la conversation ubuesque entre Hommes et créatures et l’état major agité de la gâchette – envers les aliens, évidemment, mais également envers les autres nations du globe. La géopolitique, plus que jamais, n’oublie pas que chaque main tendue est un poing à regret.
Sans jamais renier la teneur SF de son scénario, Denis Villeneuve s’applique à ne pas tomber dans la dramatisation excessive, ni à surcoucher Premier Contact d’épais calques de symbolisme. Les scènes tirant le plus sur la fibre fantastique sont filmées avec le même angle frontal et régulier que les duels psychologiques de Sicario. Pas d’explétif, pas de caméra qui tremble ni de cadrages en forme d’épais vertiges aléatoires. Combinaisons de protection, gravité, jeux de lumière, éblouissement aux LED et aux néons face à l’inconnu, données scientifiques et anticipation technologique : tous les ingrédients sont savamment dosés. Ils ne donnent ni dans la vulgarisation condescendante, ni dans une sublimation du sentiment d’humanité – deux reproches hyperboliques adressés à Interstellar, par exemple.
Pour les amateurs de brouhaha et de déroulement scolaire des films de science-fiction / blockbuster, les attentes risques d’être balayées. Dans Premier Contact, très peu d’action, du moins dans le sens physique du terme. L’échange, la communication, l’avancée de l’intrigue tient dans le langage – évident face à la spécialisation du Dr Banks. Dansant entre les pièges du genre et les tentations de l’époque, au sein d’un environnement austère, plat dans un sens “flat” emprunté au design, le propos ne semble jamais avoir eu autant d’espace pour s’exprimer. Il est souligné, parfois avec force, parfois avec douceur, parfois avec appréhension, par la magistrale bande-originale de Jóhann Jóhannsson et un ambient-drone frissonnant dans ses silences. Les montées vocales et orchestrales, elles, restent ponctuelles et évitent la surenchère.
Ils sont nous, nous sommes eux.
Louise et Ian n’en prennent pas conscience immédiatement, mais ils viennent d’entrer dans un sanctuaire tentaculaire : celui de la connaissance. Soit le comble ultime, pour des scientifiques, de recourir à la foi comme vecteur de la connaissance absolue. Alors que les stratégies, la raison et l’expérimentation sont précisément les arguments du progressif chaos social et géopolitique qui se déroule en dehors de la bulle naïve et craquelée du Montana, c’est bien la foi en la bonté, la persistance de la conviction en l’échange plutôt que la destruction acharnée qui meut les personnages.
C’est quand la bonté atteint son extrême, lorsqu’elle est poussée à un tel sens du sacrifice de soi et qu’elle flirte avec les frontières du néant et du questionnement fondamental que la dimension la plus essentielle de l’univers en vient à être remise en cause : celle du temps. Premier Contact s’en amuse, en plie sa surface supposée inflexible, non pas dans un sens technico-scientifique mais par un biais émotionnel. Ici, le temps n’est ni l’affaire d’effets spéciaux, ni de poudre aux yeux, mais plutôt une forme d’ubiquité de son héroïne. Un super-pouvoir qui tient davantage dans l’élévation de l’âme que dans la crispation du corps.
Qu’il est bon, en ces temps de multiplication chez toutes les grandes sagas fantastiques, de Marvel à DC en passant par Star Trek, Star Wars et tous les autres, de voir au cinéma un film mû par la conviction innée du bien plutôt que d’empiler encore une autre posture réactionnaire contre le mal. Qu’il est bon de redonner la foi dans le langage plutôt que la raison dans la force. Qu’il est bon d’être ému, surpris, bouche bée, naïf, alors que la cinéphilie (cinéphagie ?) et les campagnes marketing agrandissent un film à la fois le rayon de notre cynisme.
Premier Contact est ce film rare qui nous redonne la foi d’aller au cinéma. Celui qui nous insuffle la confiance éclairée. Celui qui nous prouve que tout n’est pas mieux maintenant, mais plutôt que tout est hypothétiquement mieux après. Pour en être convaincu, il suffit d’accepter le postulat que la mort n’est rien d’autre que la plus belle preuve de l’existence de la vie.
Initialement publié le 24 novembre 2016
Bonjour,
Excellent papier.
J’ajouterais simplement que Villeneuve a su tiré le meilleur de son cinéma : la nervosité de Sicario, son sens du twist – Enemy, Prisoners, et la puissance émotionnelle dévastatrice de sa mise en scène – Incendies.
Décidément, un cinéaste impressionnant.
Cinéphilement vôtre,
Tout simplement excellent…
Très belle chronique pour ce film magistral.
Peut-être pour moi l’un des (voir même LE) plus beaux, « Premier Contact » avec les extraterrestres que le cinéma ait proposé. Film après film, Denis Villeneuve arpente de manière prodigieuse (vu la courte durée qui sépare les sorties en salles de ses films) des terrains déjà sillonnés par des réalisateurs chevronnés. Prisoners rappelle certains thrillers de David Fincher, Enemy peut faire penser à David Cronenberg et Danid Lynch, Steven Soderbergh et Ridley Scott notamment se sont penchés avant lui sur le film de cartel. Mais avec Sicario, Villeneuve les a selon moi surpassé. Et il réitère avec Premier Contact, où cette-fois il s’attaque et égale voire surpasse d’autres grands cinéastes : Steven Spielberg, Stanley Kubrick et Christopher Nolan.
Une nouvelle fois accompagné à la musique par Johan Johansson (sublime bande originale qui j’espère vaudra au moins un prix à son compositeur) sans oublier les notes de Max Richter qui ouvrent et clôturent le film. Villeneuve donne aussi l’occasion à Amy Adams de briller dans son meilleur rôle. C’est un avis personnel mais si j’aime bien l’actrice je n’ai jamais eu de gros coup de coeur sur ses rôles, je ne m’étais pas encore dit que c’était une GRANDE actrice, c’est désormais chose faite.
Villeneuve recycle également avec brio les grands thèmes qui font son cinéma : on retrouve dans Premier contact une certaine fatalité qui rappelle les accents de tragédie de Incendies, l’art du twist de Enemy, la tension permanente de Prisoners et Sicario. Cette tension est l’un des points forts de sa filmographie, pour Villeneuve nul besoin d’effusion d’action et de spectacle pyrotechnique à tout va, c’est avec cette tension que dans chaque film, il me happe directement pour ne plus me lâcher jusqu’à la fin.
Je ne parlerais pas de l’histoire, j’ai surtout abordé le réalisateur et sa filmographie plutôt que l’intrigue en elle-même car le film est encore très récent et je ne voudrais pas gâcher le plaisir de la découverte.
Concernant le futur, étant un grand fan de Villeneuve et n’étant pas un grand fan de Blade Runner (peut-être vu trop sur le tard mais si je lui concède la plupart des qualités que tout le monde lui trouve je suis resté hermétique) j’imagine que je vais sûrement préféré la vision du réalisateur canadien.
Et j’ai lu qu’il souhaiterait réaliser Dune, série de romans S-F que j’aime beaucoup, pari énormément risqué (David Lynch que j’adore s’y est selon moi cassé les dents) mais s’il y a bien un réalisateur actuellement qui peut relever le défi c’est bien Denis Villeneuve.
En attendant pour la deuxième année consécutive, il a livré mon numéro 1 de l’année.
N’ayant pas lu le script ( beaucoup de mérite dans notre monde d’hypercommunication)j’ai eu un peu de mal à comprendre quelle fin de vie nous était livrée, était-ce sa mère , sa fille ? Je l’ai pris comme gage d’une suite a l’irruption des aliens. Un autre détail m’a taraudé: ces intrus hyperpointus qui dominent une tecnologie incroyable pour adapter la pesanteur, l´oxygéne nécessaire aux humains mais qui n´a pas la connaissance d’une autre forme de communication avec eux que des jets d’encre sur l´interface de verre de leur vaisseau….il faut faire appel à une prof tourmentée mais brillante sous neurostimulants pour la traduction,dont elle a été récompensée par un don plutot encombrant pour la suite…Le message du film lent et parasité par les images de l’avenir est néanmoins recevable, la communication nécessaire ..et source d’incompréhension.
Comme souvent, c’est très intéressant de te lire. Et le contenu de ton commentaire est troublant : j’aurais presque pu l’écrire 🙂 À très vite et au plaisir. TP
Salut ! Je vais tâcher de répondre à tes interrogations.
Il va sans dire que si toi, lecteur malencontreux, tu n’as pas vu le film, arrête toi tout de suite. Ça va spoiler sec.
Alors.
Je ne pense pas que le film soit gage de suite, au contraire. La totalité de la narration se suffit dans le film. La fin du film représente toujours le personnage du Dr Banks, mais dans le futur, qu’elle a aperçu grâce au langage des aliens (point super important pour ta deuxième question). Elle voit le déroulé de ce futur, sous la forme de souvenirs – ce qui tendait à nous faire croire, au début du film, que nous avions à faire à des flashbacks, et non des flashforward. Parfaitement consciente de la tragédie qu’elle va subir, elle choisit tout de même de la vivre, puisque pour elle, les instants de bonheur avec sa fille dépassent la souffrance de sa mort prématurée. Selon moi, si Banks choisit de revivre son drame, ce n’est pas seulement par désir de mélo. C’est toute sa conception du temps qui s’écroule, de la linéarité vers la non-linéarité, de l’immuable vers le champ infini des possibles. Mue par une vision du temps et de l’espace qui lui est inné et confortée depuis, si ce n’est sa vie, l’ensemble de l’Histoire des Hommes, je pense que, régie par son empirisme, elle ne choisit pas tellement de vivre sa vision ; elle l’embrasse par défaut, persuadée de la véracité de son fatalisme aveugle.
Second point : « ces intrus hyperpointus qui dominent une tecnologie incroyable pour adapter la pesanteur, l´oxygéne nécessaire aux humains mais qui n´a pas la connaissance d’une autre forme de communication avec eux que des jets d’encre sur l´interface de verre de leur vaisseau ». Comme expliqué dans le film, le pouvoir du temps ne s’obtient pas par un contact physique, mais par l’apprentissage du langage. Malgré leur état technologique très avancé, les aliens n’ont d’autre choix que d’apprendre, lentement au Dr Banks leur langue, puisque c’est sa compréhension qui va lui permettre de « voir » dans le futur, donc d’éviter un conflit global, donc d’aider les aliens dans 3 000 piges et quelques. Dans le cœur du film, il est présenté que les humains apprennent aux aliens leur langue – ici l’anglais. Pour moi, c’est plutôt complètement l’inverse. Au final, le Dr Banks n’est pas tourmentée en soi – au début du film, il ne me semble ni voir de Xanax sur sa table de chevet, ni de tremblements lors de son premier cours. Au contraire, lorsque la panique gronde dans la fac et à la TV, elle semble plutôt calme, distante, réflexive. Elle est seule, certes, mais ne me semble pas déprimée.
Enfin, tu as tout à fait raison en employant le terme « parasité par les images de l’avenir ». Le film l’est totalement, puisqu’il embrasse la vision de son personnage principal – c’est particulièrement notable sur tout le jeu sonore dans l’hélicoptère, au début du film.
J’espère avoir répondu à tes interrogations, ou du moins, avoir lancé quelques pistes 🙂
Tout ce que je peux dire, superbe 🙂
Joli papier enthousiaste qui donne envie de réévaluer le film (bravo pour ces titres et sous-titres, ils comportent de très bonnes idées !). Villeneuve signe en effet une excellente surprise (n’étant pas un inconditionnel du réalisateur, j’étais tout autant sinon plus méfiant encore) mais pas si parfait à mes yeux, le problème résidant surtout dans le scénario. Quelque chose ne passe pas avec cette histoire de visions, annihilant un peu toute l’importance accordée au Dr Banks. Tout le film montre le travail colossal d’interprétation et les efforts de communication fait par le scientifique mais ce sont finalement des visions qui lui fournissent les réponses clé en main (cela me rappellerait presque le rôle sacrifié d’Emily Blunt dans Sicario, heureusement Amy Adams s’en tire bien mieux). C’est dommage car pour le reste, c’est très bien, l’actrice principale et la mise en scène en premiers lieux, le sujet (la valeur de la communication), la musique etc.
Bonjour,
Tout d’abord merci !
Ensuite, pour ce qui est des visions, effectivement, il y a quelque chose de l’ordre du Deux Ex Machina qui peut déranger. Mais après tout, jouer avec le temps a quelque chose de divin 🙂