Alien126-copie

RETROSPECTIVE ALIEN

Série de neuf films de science-fiction, dont deux ayant croisé l’univers de Predator, la saga Alien raconte la rencontre de plusieurs équipages de la compagnie commerciale Wayland-Yutani avec des créatures extraterrestres d’une dimension destructrice sans précédent.

Quasi incontournables du cinéma d’horreur et de science-fiction, les films de la saga Alien ont cela de particulier qu’ils font souvent l’objet d’une double projection. La première, tentée sous couvert de bravoure, vue comme un formidable moyen de repousser les limites de la signification que l’on se fait alors du mot terreur, et à un âge où un excès de témérité a tôt fait de laisser place à de profonds regrets. La seconde, quelques années plus tard, parfois accompagnée d’un éveil cinéphile, l’œil non plus écarquillé d’épouvante mais de reconnaissance, voir de profond respect pour ce qui se passe véritablement à l’écran.

Quarante-cinq ans après la sortie du premier volet, au delà de son univers et de sa créature, le mythos Alien n’a pas cessé de fasciner. Alors qu’un neuvième opus, sous la direction de Fede Alvarez (Evil Dead, Don’t Breathe) est en passe de voir le jour, se repencher sur ses prédécesseurs va bien au-delà du simple opportunisme calendaire. En effet, si la comparaison des films entre eux est au mieux intéressante, au pire inévitable, ils ont cela en commun d’être l’expression profonde de leur réalisateur, chacun bien différent de celui qui le précède ou qui le suit.

ALIEN 1

DANS L’ESPACE, PERSONNE NE VOUS ENTENDRA CRIER

Alors que John Carpenter sort son tout premier long-métrage intitulé Dark Star, une scène va particulièrement retenir l’attention : l’apparition, dans le couloir du vaisseau de quatre spationautes ayant pour mission la destruction de planètes instables, d’une créature extraterrestre dont l’apparence va achever de donner toutes ses lettres de noblesses à un film qui s’autoproclamait être “l’ultime comédie cosmique”. Le film est coécrit par le réalisateur de The Thing avec Dan O’Bannon, rencontré sur les bancs de l’université et admirateur chevronné de H.P. Lovecraft. Surinvesti dans le film – pour lequel il écrit, joue le rôle principal, s’occupe du montage et supervise les effets spéciaux ainsi que la direction artistique – il n’en gardera cependant pas un bon souvenir, trouvant le film incomplet et un peu trop risible.

Il est alors appelé par Alejandro Jodorowsky, en pleine préparation de son adaptation de Dune, pour lui proposer le poste de superviseur des effets spéciaux. Au sein de l’équipe, il y rencontre le peintre surréaliste suisse Hans Ruedi Giger, dont les indescriptibles visions cauchemardesques teintée de biomécanisme le fascinent instantanément. Malheureusement, « Jodorowsky’s Dune » ne verra jamais le jour. Forcé de rentrer aux Etats-Unis, il est hébergé par Ronald Shusett, un ami producteur. Les mois de cohabitation entre les deux hommes les pousseront alors à se parler de leurs projets respectifs – Shusset venant d’acquérir les droits de Souvenirs à vendre de Philip K. Dick, et O’Bannon planchant sur une version plus sombre de Dark Star. D’abord intitulé Starbeast, le script est retravaillé sans relâche par les deux hommes pour devenir Alien – l’étranger.

ENTRE CREATION…

Apporté à Walter Hill, David Giler et Gordon Carroll de Brandywine Productions, ces derniers le trouvent insipide – si ce n’est l’entrée en scène de la créature extraterrestre, dans une séquence hautement dérangeante, appelée à devenir culte. Polissé par ces six nouvelles mains dans l’objectif de le rendre moins amateur, il est enfin apporté à la 20th Century Fox qui finit par accepter suite au succès phénoménal de Star Wars, y voyant un moyen de jouer sur le vent soufflant favorablement sur les projets de science-fiction.

ALIEN 1

Confié à un tout jeune Ridley Scott, qui n’a alors à son actif que Les Duellistes, Alien, le Huitième passager, marque le point d’entrée dans un monde où l’humanité, engaillardie par sa conquête spatiale et gangrenée par une société ultra capitaliste, est irrémédiablement insignifiante et vouée à l’échec face à l’étrangeté sanglante de l’infini inconnu. Grâce à la réalisation de Scott, faisant tourner des enfants dans les costumes de cosmonautes pour faire apparaitre les décors plus grands, ou reprenant le concept de futur usé déjà bien connu du grand public dans Star Wars, il plane tout au long du film un sentiment asphyxiant de menace bien trop grande pour l’équipage. Ces derniers, manœuvrant un vaisseau trop vaste et trop abimé pour pouvoir gérer leur sécurité, sont d’autant plus en danger qu’ils se doivent d’obéir aux ordres d’une compagnie sans visage leur intimant de récupérer l’alien, précisant que leur vie n’importe pas.

L’autre grande force du film est évidemment son casting. A l’origine composé de sept hommes pour coller à l’image populaire du camionneur de l’espace, deux d’entre eux deviennent des personnages féminins à la suite des réécritures – dont le personnage principal, Ripley. Alors comédienne de théâtre new-yorkaise qui n’avait qu’une expérience limitée des plateaux de cinéma, Susan Weaver dite « Sigourney » va vivre un impressionnant baptême du feu : loin de chez elle, confrontée à un réalisateur exigeant qui ne recule devant rien pour obtenir le plan parfait, elle développera une carapace semblable à celle de son personnage. Quant à Veronica Cartwright, persuadée jusqu’aux essais costumes qu’elle avait décroché le rôle principal, elle découvrira avoir été choisie pour le rôle de Lambert, navigatrice hypersensible et avatar du spectateur. Scott prenant un malin plaisir à créer des tensions entre ses acteurs pour parachever le sentiment de réalisme qui irradie tout son film, il ira jusqu’à susurrer à Cartwright de coller une véritable gifle à Weaver pour une scène finalement coupée au montage de la version cinéma. Emprunt du perfectionnisme de son réalisateur, Le Huitième passager dépasse le simple film de monstre dans l’espace : il créé un genre à lui tout seul.

ALIEN 2

À la différence de son prédécesseur, profondément encré dans l’épouvante et l’inconnu, Alien Le Retour va écrire en caractères gras les règles de noblesse de l’action. Confié à James Cameron, le deuxième opus de la saga Alien fait partie du cercle très fermé des suites réussies. Outre le fait qu’il multiplie le nombre de créatures – expliquant par la même le choix de titre original « Aliens » – lorsque l’action démarre, elle ne s’arrête plus. Impressionnant visuellement pour son époque de sortie (1986), la réalisation de Cameron est un festival d’effets spéciaux et de pyrotechnie. Et si contrairement à son prédécesseur, les aliens sont moins mis en valeur par le rythme effréné des scènes, c’est pour laisser toute sa place à la nouveauté qu’il insère dans le mythos : la reine Alien. Criante de vérité grâce à des effets pratiques qui tiennent l’épreuve du temps, elle est un mélange parfait entre la direction artistique amorcée par Giger et la créativité de Cameron – qui appose paradoxalement avec cette reine, hiérarchiquement supérieure à toutes les autres créatures, une marque résolument propriétaire sur l’ensemble de l’univers.

Si le changement de ton en comparaison du premier opus pouvait laisser craindre quand au développement des personnages, Cameron démontre qu’un bon film d’action n’est rien sans travailler les relations entre ses protagonistes. De loin, Le Retour est le volet le plus chargé en émotions de l’ensemble de la saga. Si dans Le Huitième passager, chacun avait le potentiel d’être une victime, dans Le Retour, chaque personnage a le potentiel d’être un héros. Et si une fois de plus, Ripley tire son épingle du jeu, c’est grâce au jeu de Sigourney Weaver qui creuse son personnage jusqu’au plus profond de son être. L’extraordinaire palette émotionnelle de l’actrice est toute au service de l’écriture de cette héroïne atypique, et que Cameron dessert grandement en ayant coupé plusieurs scènes en début de film pourtant essentielles à la compréhension de la relation de Ripley avec la petite Newt (Carrie Henn) – autrement réduite à un présupposé instinct maternel d’un mauvais goût d’autant plus nuisible lorsqu’il s’inscrit dans une saga comme celle-ci. De même, dans une volonté de rationaliser l’alien, il brise un premier mystère autour de la créature en lui donnant un nom : le xénomorphe. Emprunt du choix de son réalisateur d’en faire un film accessible, Le Retour ne reprend pas tous les thèmes abordés par son prédécesseur mais marque une nouvelle étape dans la construction du monde cyberspatial dans lequel évolue ses personnages.

ALIEN 3

Alien³ – ou « Alien Cube », dans la lignée du Retour de prendre le spectateur au dépourvu dès le titre du nouvel opus, semble avoir la douleur inscrite au cœur de son ADN. Souvent dépeint comme les débuts douloureux de David Fincher, le troisième volet a connu un développement plus que difficile, ayant découragé pas moins de sept réalisateurs et scénaristes, et dévoré sept millions de dollars de dépenses avant même que ne soit lancé sa production. Somme de plusieurs idées scénaristiques, Fincher hérite d’un projet représentant un véritable enfer pour tout réalisateur chevronné – quand pour sa part, il constitue un premier long métrage. Pour autant, le jeune réalisateur a des idées bien arrêtées sur ce qu’à ses yeux, cet apparent dernier opus doit être.

Incontestablement, Cube traite le plus de la condition féminine dans une société machiste. Seule femme dans un pénitencier réservé aux hommes, Ripley est rejetée instantanément comme tentation – l’obligeant à adopter les codes de la station en se rasant le crâne. De même, la métaphore religieuse émaille le film d’un bout à l’autre, de part la figure quasi messianique de Ripley se sacrifiant, les détenus plongés dans un culte monastique ainsi que la créature assimilable au Diable. Le sentiment de désespoir permanent qui s’en dégage, de même que son rythme résolument plus pausé pour ne pas dire contemplatif, ramène le spectateur aux origines de l’univers dans lequel il s’inscrit. Paradoxalement, il offre des plans encore inédits, comme la scène de course poursuite dans les couloirs de la prison filmés du point de vue de la créature. Fincher introduit également l’idée clef que l’alien se nourrit de son hôte pour se développer, la créature principale du film devenant quadrupède. Mal aimé car résolument emprunt de la vision pessimiste de son réalisateur face à une production chaotique et dictatoriale, Cube achève de faire de l’alien le symbole même de la menace, tandis que le danger est illustré par la stupidité et la pure psychopathie des êtres humains.

… ET DESTRUCTION

ALIEN 4

Alors que Ripley finissait par se jeter dans le plomb en fusion, Alien La Résurrection voit cependant le jour avec la bénédiction et le retour de Sigourney Weawer devenue productrice des films, et sous la direction de Jean-Pierre Jeunet. C’est non sans une certaine ironie que le film, traversé de bout en bout par la thématique de la rébellion, soit l’oeuvre d’un réalisateur français. Accompagné d’une partie de l’équipe de Delicatessen, la pâte “jaunie” de Jeunet est presque trop visible tant elle se démarque des précédents opus. Cependant, le ton cynique et grinçant des dialogues rappellent Fincher et son perfectionnisme, de même que l’inéluctabilité des évènements.

La révolte se met en place dès le début du film, lorsque les aliens s’échappent de leurs cages, filé par Cole (toujours merveilleuse Winona Ryder) – une androïde refusant d’obéir aux ordres – et Ripley tuant les experiences difformes de son clonage. Enfin, la nouvelle créature du film, l’hybride, se retournera contre la reine pour n’accepter que Ripley comme véritable mère. Fable sombre et d’une ironie cruelle, le film n’est ni une conclusion ni une suite à part entière. Ripley telle qu’apparue dans les trois films précédents n’est plus, bien trop parasitée par la part d’alien en elle – forcée à éclore du fait du désir de contrôle de la créature par l’homme. Pour autant, emprunt d’un regard aussi critique que désenchanté sur les plus basses pulsions humaines, La Résurrection réussit à être un hommage à la trilogie originale et à offrir un dernier tour de piste à une héroïne dont tous les aspects auront finis par être, malgré elle, exploités.

AVP

Les deux épisodes dits “crossovers” ayant suivi la sortie de La Résurrection sont souvent considérés comme n’appartenant pas à la saga. Partant d’un clin d’oeil dans la suite de Predator, on y apercevait, dans le repère du chasseur, un mur de trophées de chasse parmi lesquels se trouvait un crâne de xénomorphe. Si à bien des égards, les films Alien vs Predator et Alien vs Predator : Requiem sont plus divertissants que véritablement réussis, Dan O’Bannon et Ronald Shusett ont bel et bien co-écrit le scénario du premier affrontement entre les deux monstres de l’espace. De même, Lance Henriksen – qui jouait déjà le personnage de Bishop dans Le Retour – y incarne Charles Wayland, fondateur de la compagnie ultra dominante des quatre opus précédents. Aussi bien Paul W. S. Anderson que les frères Colin et Greg Strause, respectivement à la réalisation du premier et du deuxième affrontements, n’ont pas caché leur volonté de faire des films plus divertissants mais prenant tous deux leur sujet au sérieux.

A contrario, revenu aux commandes des opus dits “prequels” de la saga, Ridley Scott n’aura pas caché son déplaisir de retrouver un univers qu’il estimait avoir créé de toute part, contrarié au point de faire fi de l’ensemble du travail de ses prédécesseurs – excluant complètement les affrontements de son monstre avec d’autres. Forts de sa réputation, il aura eu à coeur de lever les dernières interrogations entourant la créature. Si la mise en image orchestrée par Scott reste grandiose, force est de constater que les épisodes Prometheus et Covenant n’apportent au mieux aucune véritable réponse, au pire un lot d’incoherences fort dérangeantes, à commencer par son traitement de l’intelligence artificielle. Gangréné par un trop grand nombre de références créationistes, doublées d’une incompréhension évidente de Scott des thématiques de sciences fictions – dénonçant l’incapacité d’une machine à être autorisée à créer pour son propre compte lorsque celle-ci créé littéralement à l’écran – il achève, non sans une certaine provocation, la denière mise à l’écran de la créature en révélant son origine et en la mettant en pleine lumière.

PAC

EROS ET THANATOS

Tout au long de la saga, et notamment dans la trilogie originale, le thème principal qui émaille le récit est celui du viol. Profondément sexuel, le comportement de l’Alien est celui d’un parfait prédateur traquant ses victimes pour y enfoncer son appendice. Représentation à peine suggérée par sa tête hautement phallique, ainsi que la phase de gestation première de la créature inséminant ses victimes par la bouche, l’entrée du tout premier vaisseau pénétré de force par la créature évoque un sexe féminin. En action, la mort de Lambert est de ce point de vue la plus insoutenable de l’ensemble de la saga, ayant lieu hors champ, seule la queue de l’alien étant visible et montrée se dirigeant lentement vers l’entrejambe de la jeune femme.

Symbole de l’obsession patriarcale, du machisme poussé à l’extrême, tuant d’abord tous les hommes du vaisseau un à un, le désormais nommé xénomorphe est une représentation absolue du mâle alpha, cherchant à se débarrasser des autres prétendants masculins d’abord avant de s’attaquer aux passagers féminins. De ce fait, la caractéristique du systématisme d’un protagoniste exclusivement féminin finissant par triompher du monstre se veut l’expression même de l’émancipation féminine au sein d’une société et d’un système résolument hostile. En témoigne l’intelligence artificielle apparaissant sous les traits des nombreux androides émaillant les films, de H se saisissant d’un magazine pornographique qu’il enroule pour l’enfoncer de force dans la bouche de Ripley, à David finalement révélé comme menace ultime puisque créateur du monstre – lui-même résultat d’une insuffisance de codage par la volonté humaine.

Sous couvert d’un affrontement perdu d’avance, la saga Alien repose avant tout sur le questionnement du genre humain – confrontant le spectateur au systémisme de ses violences, notamment faites aux femmes, et au travers de son approche inédite de l’intelligence artificielle comme avatar d’un monde connu dirigé par la seule volonté de l’homme.


DÉCOUVREZ CHAQUE DIMANCHE UN CLASSIQUE DU CINÉMA DANS JOUR DE CULTE.