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Rétrospective | La thématique LGBT+ chez Xavier Dolan

Xavier Dolan refuse d’être considéré comme un réalisateur queer, objectant que son cinéma s’adresse à tout le monde, que les questions LGBT+ ne sont pas le cœur de ses films et que la sexualité de ses personnages n’est qu’un attribut. « L’homosexualité n’est pas un thème. C’est la vie. On ne parle pas de film hétérosexuel ! », déclarait-il à la sortie de Matthias & Maxime qu’il ne souhaitait pas voir présenté comme un film gay. Le cinéaste ira même jusqu’à refuser la Queer Palm en 2012 pour Laurence Anyways qualifiant cette récompense de « ghettoïsante » et d’« ostracisante ». Peut-être qu’un jour de telles récompenses n’auront plus besoin d’exister, mais les droits des personnes LGBT+ demeurent aujourd’hui au cœur des questions de société et par conséquent toute représentation d’un personnage queer au cinéma sous-tend, même si ce n’est pas le but premier, un message politique. Par ailleurs, les films queers n’ont pas vocation à s’adresser uniquement au public LGBT+.

Le cinéma de Xavier Dolan participe ainsi à l’ouverture de la société aux questions queers et, que le cinéaste le veuille ou non, même si elles ne sont jamais le thème principal de chacun de ses films pris séparément, ces questions queers sont bien présentes dans son cinéma, et y occupent même une place majeure si on prend son œuvre dans son ensemble. Certes, chez Dolan les personnages ont déjà passé le cap du questionnement de leur sexualité (exception faite peut-être de Matthias & Maxime sur lequel nous reviendront plus loin) et, pour la plupart s’assument parfaitement (nous reviendront également sur la particularité de John F. Donovan) ; pour autant, cela ne les empêche pas de subir les réactions de la société face à leur « différence » au regard d’une pseudo-norme.

La différence et l’acceptation de la différence

Dans ses deux premiers films, tout en mettant en scène des personnages gays, Dolan n’aborde effectivement que très peu les questions LGBT+. Dans J’ai tué ma mère, l’homosexualité du personnage principal, Hubert, est présentée comme quelque chose de totalement anodin. Il semble vivre sa relation de couple avec son camarade de classe au grand jour, peut se rapprocher d’un autre garçon sans se poser de question sur sa sexualité. Tout semble très simple, l’homosexualité coule de source, ne semble rattachée à aucune difficulté. Pour autant, on finit par constater qu’Hubert n’a jamais fait son coming-out auprès de sa mère et qu’il est victime d’agressions dans son internat (qui cependant ne sont jamais explicitement reliées à son homosexualité). J’ai tué ma mère ouvre par ailleurs la voie à l’un des thèmes majeurs de la filmographie du réalisateur : la différence et l’acceptation de la différence, avec notamment cette réplique totalement représentative du cinéma de Dolan : « quand on dit « c’est spécial », c’est qu’on a pas l’intelligence de comprendre la différence, ou de l’apprécier ou d’avoir le courage de dire qu’on hait ça ».

Les Amours imaginaires est lui l’image d’une génération où le sexe se déconnecte de l’amour. Les personnages ont des relations sexuelles sans lendemain, mais vouent un amour aveugle à un apollon fantasmé dont ils ne s’aperçoivent pas qu’il est inatteignable. Les personnages sont plus amoureux du concept d’amour que de la personne elle-même. De fait, l’orientation sexuelle devient totalement secondaire. Pour autant dans cet univers ouvert à tous les rêves, à tous les désirs, une réplique ramène quand même violemment à la réalité d’une société pour qui l’homosexualité n’est pas considérée comme appartenant à la norme. Alors que Francis déclare son attirance à Nicolas, celui-ci lui envoie un cinglant « Comment t’as pu penser que j’étais gay ? », qui fait bien plus mal qu’un simple refus de sa part.

Transition

Avec Laurence Anyways, montrant la transition de genre d’homme à femme de son personnage principal, le cinéma de Dolan aborde plus frontalement la thématique LGBT+, même si la transition en elle-même n’intéresse pas le réalisateur. De nombreuses personnes trans ont d’ailleurs reproché au film de ne pas donner une image réaliste de la transidentité. Le personnage principal, Laurence, a déjà fait son cheminement intérieur et ses coming-out se font en off. Dolan n’insiste pas non plus sur la transformation physique, progressive et peu marquée. Il s’agit ici moins de faire un commentaire sur le passing que de montrer qu’intrinsèquement Laurence ne change pas : elle a toujours été une femme.

Une fois de plus, chez Dolan, on est qui on est, et cela ne nécessite pas qu’on s’y attarde. Il préfère se focaliser sur les répercussions sur les relations sociales de Laurence, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. A l’indifférence bienveillante de ses étudiants lorsque Laurence apparaît pour la première fois sous une apparence féminine en cours, répond son licenciement par l’université. Marquante aussi sont les réactions de personnages queers qui l’entourent, celui interprété par Monia Chokri, une lesbienne a priori plutôt ouverte mais qui ne comprend et n’accepte pas la transition de Laurence, et celui interprété par Yves Jacques, un collègue homosexuel qui comprend la détresse de Laurence mais est incapable d’agir pour elle.

La relation de Laurence avec sa mère sera également au cœur du film, lente acceptation qui passe surtout par la peur du rejet du père de Laurence. Mais ce qui intéresse le plus Xavier Dolan c’est la relation que Laurence entretient avec Fred, sa petite amie (notons au passage les prénoms épicènes qui ne sont sans doute pas anodins). Derrière les élans romanesques chers au réalisateur, où l’amour et les sentiments sont au cœur de tout, le cinéaste pose de vraies questions sociétales. Comment un couple vit-il une transition ? Fred voit la personne qu’elle aime être mise de côté par la société et subit elle-même des regards en biais. Elle doit remettre en cause sa vie « normée » et sa propre sexualité.

En somme, Xavier Dolan aborde ici la transition du point de la société plus que de celui, intime, du personnage principal. Laurence a déjà effectué sa transition intérieurement, c’est maintenant à la société de faire la sienne. L’effet est d’autant plus marqué, que Xavier Dolan choisit de placer son action dans les années 1990, période plus fermée encore qu’aujourd’hui sur l’acceptation des personnes trans. Laurence Anyways s’inscrit dans la lignée du travail du cinéaste, qui s’intéresse à la différence et à son acceptation.

Homophobie

En adaptant pour son quatrième film la pièce de Michel Marc Bouchard, Tom à la ferme, Xavier Dolan poursuit dans la thématique de la différence. Un jeune citadin se rend aux obsèques de son petit ami dans sa famille à la campagne. Il se rend rapidement compte que le frère aîné du défunt a pris soin que rien ne soit divulgué de l’homosexualité de son cadet. Si Xavier Dolan revendique avant tout une opposition de la ville et de la campagne, il n’en demeura pas moins que Tom à la ferme est également traversé de bout en bout par la thématique de l’homophobie. Tom est a priori un homosexuel qui s’assume parfaitement, il se voit pourtant contraint de cacher de nouveau sa sexualité sous la pression de son « beau-frère » Francis. Le tabou de l’homosexualité et la difficulté de faire son coming-out dans la sphère familiale apparaît très clairement dans Tom à la ferme. Par ailleurs, le film aborde l’homophobie dans toute la violence qu’elle peut avoir à travers le personnage du frère. Elle se veut ainsi psychologique mais également physique, notamment dans la révélation faite en fin de film qui renvoie aux pires faits-divers qui ne manquent pas encore aujourd’hui d’alimenter les journaux.

Le personnage de Francis est par ailleurs assez ambigu. Homophobe assumé et imposant une pression psychologique sur Tom, passant énormément par la violence, il n’en demeure pas moins que Dolan nous le montre également jouant un jeu de séduction avec son otage. Réelle ambiguïté sexuelle du personnage de Francis refoulant son attirance pour les hommes ou simple interprétation de Tom virant au syndrome de Stockholm, peu importe, Dolan multiplie les séquences homo-érotiques, notamment dans les accès de violence de Francis lorgnant vers le sadomasochisme. Si Tom à la ferme reste chaste dans ce qu’il montre, il n’en demeure pas moins un des films de Xavier Dolan où la sexualité des personnages a le plus d’importance et le seul où une tension sexuelle est réellement palpable.

À la marge

Le virage est à 180° avec Mommy. Dans le film de Xavier Dolan ayant attiré le plus de spectateurs en salles, il n’est jamais question de sexualité. Pour autant, ce cinquième long-métrage du cinéaste reste dans la lignée de sa filmographie sur le thème du regard sur la différence. Steve est un adolescent à part, exclu de toutes les structures « classiques » de la société. Une société qui ne propose d’autre alternative à une mère, qui n’arrive pas à s’occuper de son enfant difficile, que de lui retirer ses droits parentaux pour parquer l’adolescent dans un institut à l’écart du monde. S’il n’est jamais question directement de la thématique queer dans Mommy, un parallèle peut cependant être fait. Le personnage de Steve, qui se construit en marge de la société, peut être rapproché d’un jeune qui se cherche en termes de sexualité ou de genre. En témoigne la scène mythique du film qui voit Steve, au look androgyne, maquillé, du vernis sur les ongles, chanter et danser sur « On ne change pas » de Céline Dion, un titre qui n’a pas été choisi au hasard.

Pièce témoin

Le cas du sixième film de Xavier Dolan est intéressant. Le réalisateur canadien adapte Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce mais y aborde l’homosexualité d’une manière très différente à celle de la pièce. Dans celle-ci, elle est totalement tue et de fait en devient un élément potentiellement majeur (potentiellement car l’écriture de la pièce est telle qu’elle ne dévoile aucun de ses sous-textes de manière évidente). On sait que Lagarce était homosexuel et séropositif, et qu’il pourrait en être de même de Louis, le personnage principal de la pièce, revenu dans sa famille qu’il a quittée depuis des années pour annoncer sa mort prochaine. L’angle d’une homosexualité taboue dans le cercle familial offre une lecture tout à fait plausible à ces retrouvailles d’une famille où l’on s’aime sans se comprendre, où un fossé se crée entre Louis et les autres membres, où les non-dits règnent en maître. Le fait que Louis finisse par partir sans annoncer sa mort pourrait ainsi s’expliquer par le fait même qu’annoncer sa mort passerait par en révéler l’origine. Vu sous cet angle Juste la fin du monde apparaît comme une pièce témoin de la place de l’homosexualité et des séropositifs dans la société des années 1990.

Pour son adaptation, Xavier Dolan adopte donc une position totalement différente quant à l’homosexualité de Louis et reste fidèle à sa volonté de ne faire de cette homosexualité qu’un fait et non plus vraiment un élément majeur de l’histoire. Ainsi d’emblée, il est dit que Louis est gay, que sa famille est au courant et qu’elle semble l’accepter. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas pu concourir au départ de Louis et au fossé qui s’est créé avec sa famille, mais le fait que le sujet soit clairement abordé et non plus tabou, attenue largement son retentissement. De même, Dolan enlève tout sous-texte sur le VIH. L’action étant déplacée aux années 2000, une période où être séropositif ne signifie plus être voué à une mort certaine, il paraît en effet peu probable que le décès à venir de Louis puisse être lié au VIH. Ainsi, s’il n’occulte pas le thème de l’homosexualité dans son adaptation, Xavier Dolan le traite à sa manière, qui est aussi une approche plus contemporaine (même si l’homosexualité est loin d’être totalement acceptée dans la société, elle est moins taboue qu’à l’époque de Lagarce).

Dans le placard

A l’inverse, Xavier Dolan va surprendre avec Ma vie avec John F. Donovan où l’homosexualité du personnage de John Donovan va avoir une réelle importance dans le récit. Tout d’abord, c’est la première fois chez le cinéaste qu’un homosexuel ne s’assume pas. John étant un acteur qui monte, on pourrait penser qu’il ne veut pas dévoiler sa sexualité pour ne pas nuire à sa carrière (le film se passe dans les années 2000, une époque où encore moins de vedettes qu’aujourd’hui font leur coming-out dans la sphère publique) mais ce n’est pas la seule raison, la difficulté d’acceptation du personnage est plus profonde. Hormis à quelques personnes de son entourage, John cache également son homosexualité dans la sphère privée, y compris à sa mère. Il n’arrive pas non plus à outrepasser sa peur pour se mettre en couple avec un garçon pour lequel il a des sentiments. Cette non-acceptation va entrainer la déchéance du personnage lorsqu’il va être outé dans les tabloïdes. La chronique que fait Xavier Dolan du rapport du show-business à l’homosexualité est assez virulente, et elle se double d’une réflexion sur le mal-être qu’elle peut entraîner chez les gays. John mourra seul, dans des conditions étranges pouvant laisser sous-entendre plusieurs causes à cette mort, dont l’une d’elle pourrait être le suicide.

Cependant Xavier Dolan contrebalance la noirceur de son film à travers le personnage de Rupert, l’enfant avec qui John correspond. S’il n’est pas clairement dit que Rupert est gay, on peut le supposer notamment via la scène finale du film, clin d’œil évident à My Own Private Idaho, un classique du cinéma queer. Cependant, l’orientation sexuelle de Rupert n’a pas forcément d’importance, il représente avant tout une génération différente de celle de John. Il subit des insultes homophobes à l’école et le rejet de ses camarades, mais trouve par contre un soutien auprès de sa mère, très ouverte sur la question comme l’atteste la séquence où elle évoque « une copine ou un copain ».

Par ailleurs, Rupert trouve refuge auprès de John qu’il érige au rang de modèle, Xavier Dolan ouvrant ainsi une réflexion sur l’importance de l’image renvoyée par les personnalités, sur le rôle qu’elles peuvent jouer pour faire avancer l’opinion publique et l’influence qu’elles peuvent avoir sur les nouvelles générations pour mieux vivre leur différence. Lorsque Rupert décide de publier un livre sur sa correspondance avec John F. Donovan, il joue finalement ce rôle que l’acteur n’a pas pu faire de son vivant. Au final, si Ma vie avec John F. Donovan décrit le parcours destructeur d’un homosexuel n’arrivant pas à s’assumer, le film porte quand même en lui un espoir quant à l’avenir de la cause homosexuelle (Xavier Dolan l’affirme clairement quand il fait dire à Rupert qu’il ne privilégie pas la thèse du suicide comme cause de la mort de Donovan).

Dans Matthias & Maxime, l’homosexualité a également son importance puisqu’on sait que Xavier Dolan a eu envie de raconter une histoire d’amour gay après avoir vu des films comme Call me by your name ou Beach Rats. Pour autant, elle ne va pas prendre une structure classique. Matthias et Maxime sont deux amis a priori hétérosexuels qui vont échanger un baiser pour les besoins d’un court métrage, baiser qui va faire vaciller leurs certitudes. Ce qui est intéressant, c’est que Xavier Dolan ne s’interroge pas vraiment sur le passé des personnages, sur leurs éventuels doutes pré-existants (Maxime se souvient d’un précédent baiser échangé adolescent avec Matthias, qui lui ne s’en rappelle pas/ne veut pas s’en rappeler). D’ailleurs, Xavier Dolan ne sur-explique pas les choses, les deux personnages n’expriment pas leur trouble verbalement, ne le partage pas avec leurs amis. Le cheminement est purement intérieur, mais va forcément impacter sur leurs actions. Xavier Dolan ne cherche pas à théoriser, à débattre, mais juste à montrer des personnages troublés par leurs sentiments. D’ailleurs, il est plus question de sentiment que de sexualité. Matthias et Maxime sont attirés l’un vers l’autre mais sont-ils attirés par d’autres hommes ? rien n’est dit à ce sujet (il y a bien un échange de regard de Maxime avec un jeune homme dans le bus, mais ça s’arrête là).

Comme dans Ma vie avec John F. Donovan, Xavier Dolan montre l’évolution d’une génération à l’autre, sauf qu’il oppose cette fois-ci les années 2000 aux années 2010. Matthias, Maxime et leurs amis sont de la génération Y, et s’ils sont ouverts aux questions LGBT+, ils ont été élevés dans une société normée (voir le panneau publicitaire qui ouvre le film) et sont indulgents envers l’homophobie ordinaire sous couvert d’humour entre potes. Lorsqu’ils sont confrontés au regard de la génération Z sur la sexualité et le genre à travers le personnage de la réalisatrice du court-métrage, ils sont au départ moqueurs, s’adonnant à un amical conflit générationnel. Xavier Dolan se moque lui aussi gentiment en forçant le trait de la jeune cinéaste exubérante, cependant c’est pour mieux ouvrir par la suite cette « ancienne » génération à une évolution des mentalités. Matthias et Maxime, en pleine construction de leur vie, vont peu à peu remettre en cause leurs choix et se voir potentiellement quitter les cases dans lesquelles on les a mis.

Le cinéma de Xavier Dolan est ainsi difficilement dissociable de la thématique LGBT+ même s’il n’en fait pas son moteur principal et que son importance varie d’un film à l’autre. Le cinéaste aborde la question de la différence au sens large sous de nombreux angles, mais le plus souvent au niveau de la société. La relation de celle-ci aux questions queers est scrutée à différentes époques des années 90 (Laurence Anyways) aux années 2010 (Matthias & Maxime) en passant pas les années 2000 (Ma vie avec John F. Donovan). Xavier Dolan montre l’évolution de la société tout en soulignant qu’elle a encore du chemin à parcourir. Même s’il est souvent critique envers celle-ci, seule responsable du rejet des queers, le réalisateur livre cependant toujours un message d’espoir, très positif pour les LGBT+. Chez Xavier Dolan, les personnages s’assument pleinement, trouvent toujours du soutien chez leur proches. Même le seul personnage qui vit mal son homosexualité (John F. Donovan) finit par trouver une reconnaissance posthume salvatrice. Le dernier film de Xavier Dolan, Matthias & Maxime, réalisé sous l’influence de plusieurs films sur l’homosexualité sortis ses dernières années, Call me by your name en tête, se veut comme un belle conclusion de la première décennie de cinéma de Xavier Dolan sur les questions queers. On y voit en effet deux personnages de même sexe sortir du moule de la société pour se laisser porter par un amour au-delà de toute considération de sexualité et de genre.



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