OLIVIER ASSAYAS | Rétrospective #1
La jeunesse d’hier fait l’artiste d’aujourd’hui.
« Je ne sais pas si ma vie est entrée dans mes films ou si mes films sont entrés dans ma vie. »* De son propre aveu, la part autobiographique est une composante majeure du cinéma d’Olivier Assayas. Dès lors il semble indispensable, pour comprendre son travail, de se pencher un peu sur les jeunes années du réalisateur, de son enfance marquée par l’ouverture à l’art et aux cultures, à son adolescence dominée par la musique et la naissance de la conscience politique.
1. Une enfance empreinte de richesse culturelle – L’Heure d’été
Olivier Assayas nait à Paris en 1955, mais ses origines sont pour le moins internationales et de cultures diverses. Son père, issu d’une famille juive, est né à Constantinople, mais a grandi en Italie avant d’arriver en France, tout en passant une partie de sa vie en Amérique latine. Sa mère est quant à elle hongroise, calviniste de naissance, et proche de la noblesse catholique de son pays par un premier mariage. Elle a dû fuir son pays détruit par le communisme et s’est réfugié en France. Cette perte d’un monde, d’une époque, marquera fortement sa vie et reviendra d’ailleurs dans la tête d’Olivier Assayas lorsqu’il traitera des derniers instants de la bourgeoisie française dans Les Destinées sentimentales. Cette diversité d’origines influencera de manière générale le cinéma d’Olivier Assayas, plus international que français, et développera la curiosité du cinéaste pour toutes les cultures et tous les arts.
Il faut dire également que le jeune Olivier a baigné depuis toujours dans un univers où l’art a une place importante. Mais paradoxalement, et ce même si son père était scénariste, le cinéma n’occupe pas une place majeure dans son enfance, sa vague culture cinématographique ne se faisant que par le ciné-club à la télé. À la maison, le cinéma s’apparente avant tout au métier de son père, auquel le jeune Olivier ne prête pas grande attention. D’ailleurs, le travail de son père n’influencera pas vraiment le cinéma d’Assayas, qui se veut même quasiment son opposé. La seule chose qu’il en restera sera le goût du réalisateur pour la culture asiatique, son père ayant par un moment beaucoup voyagé en Asie pour son métier, et ayant ramené de nombreuses antiquités qui décoreront la maison de son enfance.
L’art au coeur de l’enfance d’Olivier Assayas sera plutôt la littérature. Il grandit dans la campagne parisienne, et se forge donc surtout une « culture de bibliothèque ». La peinture est également un art majeur dans sa famille : son père en est féru, sa mère est la fille d’un peintre hongrois post-impressioniste, Tibor Pólya. Ses peintures de la vie rurale hongroise décoraient la chambre du petit Olivier. Il sera également marqué par la façon dont sa mère vénérait son travail et se sentait le devoir de la postérité de son œuvre.
Ainsi, si L’Heure d’été est né d’un projet du Musée d’Orsay qui, à l’occasion de son 20e anniversaire, souhaitait mettre en valeur différemment ses œuvres, il est indéniable que le cinéaste s’est inspiré de la responsabilité dont s’est sentie investie sa mère vis-à-vis de l’œuvre de son grand-père. L’Heure d’été raconte en effet comment la nièce d’un célèbre peintre, a consacré sa vie à la postérité de l’œuvre de son aïeul et ce que ses enfants, à sa mort, vont faire de cet héritage.
Fort de l’idée de départ du Musée d’Orsay, Olivier Assayas s’interroge d’abord dans L’Heure d’été sur la façon d’appréhender l’art. Pour commencer, comment définir une œuvre d’art qui va ici du tableau, dont la vocation initiale s’inscrit dans un art marchant, aux carnets d’esquisses, dont le rapport à l’artiste est plus intime, en passant par des objets du quotidien devenus à leur insu objets d’art ? Ensuite, Olivier Assayas les place dans l’intimité d’une famille et impose ainsi à ces œuvres une valeur affective particulière aux yeux des différents protagonistes de son histoire. Il s’interroge de ce fait sur ce lien affectif et sur ce qu’il en subsiste les années et les générations passant. Vient alors invariablement le temps où il finit par se briser. Il nous questionne alors sur la valeur de l’art, lorsque de sentimentale, d’émotionnelle, elle devient financière, allant au gré des spéculations et des côtes du marché. Que reste-t-il de l’intimité de l’œuvre ? Sa place est-elle alors plutôt dans une maison, vivante, ou dans les musées, visible de tous ? Si la question de la postérité de l’œuvre avait d’abord été posée par Olivier Assayas dans Fin août, début septembre, qui racontait la fin de vie d’un écrivain en mal de reconnaissance, elle est ici traitée dans son entière globalité et complexité et encore plus en avant dans le temps, au moment où l’affect est sur le point de disparaître.
Par ailleurs, le film va au-delà de la simple question de l’art, et s’ouvre sur celles, plus universelles, de la transmission, du temps qui passe, de l’évolution des générations. Que reste-t-il d’une personne lorsqu’elle décède ? Que reste-t-il de notre enfance ? Que deviennent nos souvenirs ? L’Heure d’été débute sur une réunion de famille au cours de laquelle une mère décide en quelque sorte de faire un testament oral à ses enfants. En prétextant vouloir donner ses consignes sur ce que ses descendants devront faire des différentes œuvres qui habillent sa maison, la mère de famille veut peut-être se rassurer sur l’héritage qu’elle va laisser dans le cœur de ses enfants, sur la trace qu’elle va laisser sur terre. Olivier Assayas filme avec une justesse incroyable la détresse intérieure de cette femme qui sent la mort venir (interprétée par une Edith Scob absolument admirable et extrêmement touchante). Lorsque survient le moment redouté du décès, le réalisateur reste aussi juste, en montrant des enfants qui, tout en étant attachés aux souvenirs de leur mère, ont eux-mêmes créé leurs propres souvenirs, leurs propres vies.
Il y a une nostalgie, une mélancolie sublime qui flotte en permanence sur L’Heure d’été, celle d’une époque révolue, remplacée par une autre. Mais Assayas n’a pas un regard pessimiste sur ce temps qui passe. La dernière scène du film, celle qui porte sûrement le plus la marque du réalisateur, est en effet empreinte d’un énorme optimiste. Elle montre que les temps évoluent, que chaque génération apporte ses nouveaux codes (y compris dans le domaine de l’art), parfois difficiles à comprendre pour les précédentes, mais qu’il restera toujours des traces des temps passés qui ne s’effaceront jamais.
2. L’adolescence : rock’n’roll et politique – Après mai
L’adolescence, période de mutation, de basculement vers l’âge adulte, est un thème récurrent chez Olivier Assayas, présent dès son premier film, Désordre, puis au centre notamment de L’Eau froide et d’Après mai. Trois films empreints de manière de plus en plus claire d’une composante autobiographique, comme l’est l’ensemble de son œuvre, même si cette part autobiographique est souvent cachée, transformée en fiction, mêlée à une vie rêvée, fantasmée.
On retrouve ainsi dans ces trois films ce qui a marqué l’adolescence d’Olivier Assayas. D’un côté la découverte de la musique, essentiellement anglaise et américaine, du rock surtout, mais aussi de l’électro alors encore à ses débuts. Si ce thème est au cœur de Désordre, il n’en est pas moins présent dans L’Eau froide (avec sa séquence mémorable de soirée, entièrement rythmée par la musique des 70’s) et dans Après mai (voir notamment la séquence du light show).
D’un autre côté, on retrouve l’influence de mai 68, qui a résonné sur sa génération, adolescente et étudiante dans les années 70. Si la jeunesse est plus universelle dans Désordre (qui a pour cadre les années 80), on y retrouve déjà une jeunesse dont les idéaux se trouvent confrontés au passage à l’âge adulte. C’est avec L’Eau froide, qui signe de l’aveu de son auteur sa réconciliation avec son adolescence, qu’Olivier Assayas va commencer à dépeindre cette génération post-mai 68, même si c’est d’une manière avant tout très poétique. « Le film est imprégné des valeurs de l’époque, la liberté, l’inconscience, le refus du matérialisme, la foi en la rébellion, en la destruction. »* Et c’est alors dans Après mai que le cinéaste va clairement mettre cette génération au cœur d’un film, et quasiment explicitement y raconter des bribes de sa propre vie.
En effet, bien que le personnage principal d’Après mai se prénomme Gilles, il est bel et bien le double fictionnel d’Olivier Assayas adolescent. De nombreux faits autobiographiques ne trompent pas. On suit ainsi un jeune homme passionné par la peinture, qui à la sortie du lycée s’oriente vers les beaux-arts, tout en commençant à toucher du doigt le cinéma. Il en vient à donner un coup de main à son père, scénariste pour la télévision, avant de se retrouver stagiaire sur une superproduction. Un parcours qui colle parfaitement à celui d’Olivier Assayas, même si, on le verra par la suite, il lui préférera une autre porte d’entrée dans l’univers du septième art. Et tout comme Gilles, au lycée, Olivier Assayas s’intéressait plus à l’activisme politique qu’aux études. Il s’identifiait alors plus à des positions libertaires et autonomes, qu’au communisme dont son père, qui fût militant au début de sa vie, a réussi à le vacciner.
Si la part autobiographique est indéniable dans Après mai, la vocation d’Olivier Assayas est avant tout de dépeindre sa génération. Mais alors qu’il se mettait à hauteur des adolescents de l’époque dans L’Eau froide, il choisit cette fois la distanciation et opte pour son regard d’adulte du XXIe qu’Olivier Assayas garde de mai 68, sont ceux d’un printemps ensoleillé où il passe du temps à jouer dans les bois pendant les grèves, il lui associe un vent de liberté qui vient faire trembler le monde. C’est cette répercussion que l’on retrouve au début d’Après mai, où ce désir de liberté se manifeste dans les nombreuses scènes du film qui prennent pour cadre une nature paisible. Elles sont mises en parallèle avec des scènes de manifestations politiques, où domine une rébellion mouvementée. Il en ressort une belle insouciance, une volonté de prendre sa vie en main, de refuser de se fondre dans un moule pré-établi, la croyance en une révolution. Mais il y a aussi un aveuglement, une utopie, qui finiront par une désillusion.
Le film montre parfaitement ce glissement, cet engouement qui finira par s’essouffler – notamment à travers le personnage de Laure, interprété de manière quasi désincarnée par Carole Combes, donnant un caractère irréel au personnage, tenant alors plus du symbole. Ainsi elle parcourt le film tel un fantôme qui se détruit à petit feu, jusqu’à disparaître totalement au détour d’une magnifique séquence de soirée qui fait étrangement écho à celle de L’Eau froide. Elle reparaitra à la fin du film, dans une image spectrale, comme la trace laissée par cette génération post-68.
De même, la trajectoire générale du personnage principal confirme un effritement de son engagement politique, pour se créer un avenir en s’inscrivant à l’école des beaux-arts et en acceptant de travailler pour son père. Pour autant, s’il accepte des compromis, il n’en oublie pas ses convictions et son désir de liberté. La fin du film est, dans ce sens, assez explicite : c’est en lisant un livre politique qu’il se rend aux studios londoniens de Pinewood. Et c’est en s’échappant derrière un écran illusoire, qu’il quitte le plateau d’une superproduction pour rejoindre la projection d’un film expérimental. Le film s’achève ainsi sur une dimension très autobiographique d’Olivier Assayas, celle de son rapport au cinéma, de sa volonté de ne pas rentrer dans le moule de l’industrie cinématographique, mais de rester fidèle à ce qu’il est, à ce qui l’inspire et le motive.