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RICHARD LINKLATER | Confidences sur la trilogie Before

Présent à Paris lors de la première semaine de la rétrospective en son honneur organisée par le Centre Pompidou, le réalisateur Richard Linklater s’est montré très disponible pour le public, avant et après les projections. À l’occasion de la séance spéciale de Before Midnight, le cinéaste s’est longuement confié sur le processus de fabrication de cette oeuvre phare d’un trio d’artistes remarquablement complémentaires. Morceaux choisis de la rencontre.


La relation au temps dans la trilogie

Dès le premier film, le concept est fixé. Before sunrise pose la structure. Une nuit dans la vie de ces deux personnes. Le temps limité était quelque chose d’intéressant à explorer. Les neuf années ne sont pas une loi que l’on s’est fixé. Nous avons donné une suite à Sunrise car cela faisait sens en rapport à ce que l’on voulait raconter. Ce fut pareil après Before Sunset

L’écriture de Before Midnight

Sur les deux premiers volets, lors de la phase d’écriture, de nombreux échanges et mails étaient échangés. Pour écrire Before Midnight, ça ne fonctionnait pas. Ethan Hawke travaillait beaucoup, Julie Delpy venait de devenir maman. On s’est donc retrouvés quelques semaines avant le tournage de Midnight et on a pu finir le scénario. Je dois confier que c’était le plus difficile à écrire.

On ne laisse ensuite rien au hasard, dans les dialogues mais aussi dans les gestes et les regards. Si cela parait réaliste, c’est l’effet escompté mais il fallait être d’une grande exigence et beaucoup de répétitions.

Les nouveaux personnages dans Midnight

Pour la première fois, nous intégrions de nouveaux personnages car ce n’était pas réaliste de les tenir à l’écart des autres. Ils sont désormais un couple, ils ont des amis et des interactions sociales en tant que tel. C’est difficile de tourner les scènes de repas, surtout que celle-ci est assez longue.

La possibilité d’un 4e volet

Il n’y a aucun plan pour un nouveau film. Le troisième a été le plus délicat. Chaque fois, nous avons eu besoin de cinq ou six ans pour envisager à nouveau de retrouver Céline et Jesse. Peut-être que, cette fois, on attendra beaucoup plus et qu’on les retrouvera peut-être plus âgés. Pourquoi pas faire une version comique de L’amour de Haneke ? Plus sérieusement, les gens aiment les trilogies. Le triptyque, ça fait sens. Nous ne ferons pas de quatrième film à moins d’une excellente idée.

Before midnight

Ce que Midnight aurait pu être, mais ne pouvait être, et finalement devait être…

Le troisième film représente une parenthèse dans leur vie, une sorte de paradis sur Terre. Le soleil, cette magnifique villa en bord de mer, les vacances, les amis… Jesse et Céline se connaissent depuis deux décennies, ils ont désormais une relation à long terme. Sous la surface, il y a beaucoup de choses. Leur relation a été construire sur une ligne de fracture, il y a forcément quelques tremblements de terre. Avant de nous réunir, nous avons exploré de nombreuses idées et nombre d’entre elles tournaient autour de la parenté. Mais nous voulions garder ce dispositif minimaliste. Il n’était absolument pas envisageable de les envisager dans leur vie quotidienne, à Paris, à courir chercher les enfants à la sortie de l’école… Nous souhaitions que le dialogue ait le temps de s’installer entre eux, que la communication s’établisse quitte à explorer les territoires plus troubles. Le fait qu’ils essaient de communiquer, même dans la dispute, de façon passionnée. Cela reste un signe positif à mes yeux.

« La vie réelle »

Dans la trilogie, « la vie réelle » c’est Before Midnight. C’est la réalité d’une vie de couple. Les deux premiers volets sont des rêves échappés de la réalité. La plupart d’entre nous cherchons des expériences qui nous permettent de nous extraire de la vie réelle. On va au cinéma pour cela. La vie réelle ne serait pas forcément inspirante. On cherche via l’art et les rencontres à s’élever, à prendre de la distance avec le monde réel.

J’ai toujours pensé que l’un des défis de la vie était de réussir à ce que chaque moment du quotidien soit l’un de ces moments exceptionnels. Comme si l’on voyageait sans même bouger. Je pense que les personnes recherchent cela même si le monde ne nous le permet pas forcément.

La présence de Jesse et Céline dans Waking life

Si nous n’avions pas fait cette scène, cinq ans après Before Sunrise, nous n’aurions probablement pas fait de trilogie. Cette séquence nous a remis en contact. Waking life représente une sorte d’espace onirique cinématographique. Je sentais que je pouvais les faire revenir dans le film… Et puis, Ethan et Julie ne jouent pas vraiment le rôle de Jesse et Céline, ils jouent plutôt leur propre rôle.

C’est après ce moment là qu’on s’est rendu compte qu’on adorait travailler ensemble et qu’on avait des choses à raconter à nouveau avec ces personnages. La même dynamique s’était mise en place entre nous et on a voulu poursuivre l’expérience… Finalement, on a peut-être déjà fait une quadrilogie Jesse & Céline (rires).

Trois est un nombre parfait.

La dynamique du trio

Les trois films tentent de disséquer ce qu’est l’amour, dans ses formes variables. Est-ce réel, quelles sont les responsabilités qui l’accompagnent ? Au moment où l’on se réunit, on a déjà une idée assez claire de vers où le film va tendre. En général, les trois premières semaines d’écriture sont fabuleuses, on rit énormément, on se « dispute » passionnément parfois avec toujours cette idée de défendre son argument. Dès le premier film, sans jamais l’avoir explicité, on a toujours considéré que si une idée ne plaisait pas à l’un d’entre nous, elle serait écartée. Chacun a ses propositions, des sujets qui lui tiennent à coeur, mais si cela ne marche pas, on ne force rien. Trois est un nombre parfait.

C’est un peu comme dans les salles d’écriture pour les talk-show comiques (aux Etats-Unis, ndr), quand une vanne ne fait pas rire tout le monde, elle part à la poubelle. Dans notre cas, c’est un peu pareil. Est-ce que ces dialogues sont convaincants, est-ce que c’est intéressant de parler de ça ? Je le vois dans leurs yeux, si je vois que ça ne les convainc pas, ne les séduit pas, je n’insiste pas. Nous sommes très exigeants, très honnêtes les uns envers les autres.

Il n’y a aucune scène dans les trois films où quelqu’un peut se targuer d’avoir écrit une scène en particulier. C’est une construction à plusieurs étapes, avec différentes strates d’écriture. À la fin, on ne sait plus vraiment qui a eu telle ou telle idée au départ…

Les liens avec le reste de sa filmographie dans la thématique du temps…

Certaines personnes m’interrogent sur la possibilité d’une suite à Boyhood mais cela n’a aucun sens. À titre personnel, je pense avoir déjà fait des films sur l’après lycée. Dazed and confused, Everybody wants some, cela pourrait être des suites imaginaires de Boyhood, après son départ à l’université. Et peut-être même que le personnage d’Ethan Hawke dans Before Sunrise pourrait être ce jeune artiste qui part découvrir l’Europe en train… Sans être spécifique mais dans l’esprit, ces films explorent la suite.

Je travaille toujours par un prisme personnel, comme beaucoup d’artistes. Il y a certains pans de la vie que je pense avoir déjà exploré et d’autres qu’il me reste à couvrir. Je ne ressens pas besoin de revenir à la période post-adolescente.

Before midnight

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