RIDLEY SCOTT & JODIE COMER | Rencontre
La rentrée 2021 s’annonce chargée pour Ridley Scott. 4 ans après son dernier film Tout l’argent du monde, le réalisateur britannique s’apprête à livrer coup sur coup deux nouveaux films. S’il faudra attendre novembre pour découvrir House of Gucci, drame qui revient sur l’assassinat du célèbre homme d’affaires, les spectateurs pourront se rendre en salle mi-octobre pour apprécier Le Dernier Duel. Ce film relate l’histoire vraie de la confrontation entre un chevalier et un écuyer dans la France du Moyen Âge. La rivalité d’abord amicale prendra une tournure tragique lorsque Lady Marguerite, la femme du chevalier Jean de Carrouge accusera publiquement l’écuyer Jacques Le Gris de viol. Un sujet brûlant et passionnant que le réalisateur est venu évoquer lors de sa venue à Paris en compagnie de son actrice principale Jodie Comer et Nicole Hofcener, co-scénariste du film.
Pouvez-vous nous raconter le challenge que représentait pour vous le fait d’écrire [Nicole Holofcener] et interpréter [Jodie Comer] deux fois la scène d’agression sexuelle ?
NH : Nous voulions que cette scène soit à la fois similaire et différente dans les deux versions ; de sorte à bien souligner dans le troisième chapitre qu’il s’agit bien d’un viol. Nous avons beaucoup discuté de cette scène en amont : devons-nous la montrer deux fois ? Combien de temps doit-elle durer ? Mais il était vital de montrer le viol à deux reprises car il nous fallait le point de vue de Le Gris.
RS : D’ailleurs, il était important de montrer que du point de vue de Le Gris, les deux scènes sont identiques ! Dans les deux cas, il est convaincu que Lady Margueritte est consentante et qu’elle prend du plaisir.
JC : Ce qui m’a intéressé dans le scénario, c’est que le dialogue est identique dans les deux scènes. La différence devait se ressentir via l’émotion et le jeu des comédiens […]. C’était un peu déroutant par moment, car on a rarement l’occasion d’interpréter un personnage selon les attentes qu’ont les autres personnages à son égard.
L’une des répliques du film ‘’La vérité importe peu, seul compte le pouvoir des hommes’’ a une résonance particulière dans la société actuelle. Malgré les avancées et progrès évidents sur différents sujets de société (violences faites aux femmes, racisme, homophobie…), restez-vous optimiste pour l’avenir ?
RS : Je pense qu’il faut rester optimiste. Cependant, les progrès et avancées sur ces sujets sont encore trop lents. Faire ce film était pour moi une manière d’ajouter une pierre à l’édifice. C’est l’une des raisons qui m’ont attiré dans ce projet !
NH : Je pense que le film aurait pu être produit il y a 20 ans et rester tout aussi pertinent qu’il l’est à l’heure actuelle. Nous n’avons pas écrit ce film car il résonne avec le monde d’aujourd’hui, nous l’avons écrit car il s’agit d’une bonne histoire avec un propos universel qui aura toujours la même force, peu importe l’époque.
JC : Le cinéma a réellement un pouvoir lorsqu’il s’attaque à des sujets sensibles et dérangeants. J’ai remarqué autour de moi que ce film lançait des conversations et des débats ce qui est toujours une bonne chose…
Jodie, comment vous êtes-vous préparée aux scènes d’intimité dont certaines qui pouvaient s’avérer violentes par moment ?
JC : Je me suis étrangement senti très détendue pendant le tournage car je savais que j’étais entre de bonnes mains avec Ridley et toute l’équipe du film. Tout le monde avait conscience qu’il s’agissait d’un sujet sensible et qu’il fallait instaurer un climat de sécurité. Pour ce qui est des scènes d’agression sexuelle, Adam [Driver] et moi nous sommes rendus sur le plateau avec Ridley la veille du tournage afin de répéter techniquement la scène (la physicalité des personnages et la chorégraphie). Le lendemain, les caméras étaient prêtes et nous avons tourné la scène environ trois fois. J’ai un respect sans borne pour Ridley car après la première prise, il a immédiatement demandé à toute l’équipe de sortir afin que nous puissions discuter tous les trois de la scène, de ce que nous avions ressenti et des potentiels changements à effectuer. C’était un tournage très respectueux.
Jodie, le film est divisé en trois chapitres et votre personnage est d’abord perçu via deux regards masculins (le male-gaze), puis par un point de vue féminin lors du troisième chapitre. Il s’agit presque de trois rôles différents. Y-a-t-il eu un chapitre plus difficile qu’un autre à tourner ?
JC : Je ne pense pas qu’il y ait eu un chapitre plus difficile qu’un autre à tourner. La principale difficulté venait du fait que nous tournions les trois segments simultanément et qu’il fallait donc interpréter des versions contradictoires de mon personnage. D’une prise à l’autre, je passais de ‘’J’aime mon mari’’ à ‘’Je déteste ce type’’. Nous avions toujours une conversation avec Ridley avant chaque scène de manière à nous assurer que tout le monde était sur la même longueur d’onde sur la version que nous étions en train de tourner.
Nicole, on sait que vous avez accepté de co-scénariser ce film pour donner un regard féminin (notamment pour le troisième chapitre). Quel a été votre processus d’écriture pour le rôle de Lady Marguerite ?
NH : Je suis parti du livre d’Eric Jager qui donne quantité de détails sur le personnage de Marguerite. J’ai ensuite complété avec des recherches et ma propre imagination pour essayer de m’approcher au mieux de ce qu’elle pouvait ressentir. L’un des choix que nous avons fait est de faire de Marguerite une femme bien plus compétente que son mari dans la gestion des terres et du château. Matt [Damon] et Ben [Affleck] ont principalement écrit les deux premiers chapitres et moi le troisième, cependant nous avons énormément collaboré sur l’écriture pour trouver une homogénéité, c’était très stimulant !
Ridley, à cause De la crise sanitaire, beaucoup de projets ont été retardé et deux de vos films sortent au cinéma à quelques semaines d’écart. Ressentez-vous une certaine appréhension à présenter ces deux œuvres dans le contexte actuel ?
RS : J’ai tourné ces films en moins de deux ans, c’est mon rythme ! Généralement, j’entame un nouveau projet lorsque j’approche de la fin du tournage du film précédent. Evidemment, vous ne pouvez vous permettre un tel rythme que si vous avez des bons monteurs, et j’ai probablement les meilleurs monteurs de l’industrie. Nous opérons le travail de montage en parallèle du tournage, ce qui me permet d’avoir un premier montage intégral du film environ 3 semaines après la fin du tournage. C’est à ce moment-là que je prépare le film suivant. […] Le fait de donner mes instructions avec les éléments encore frais dans mon esprit m’oblige à constamment prendre du recul. C’est comme ça que je peux donner une opinion claire sur ce qu’on me propose.
En ce qui concerne la promo, quand on a deux œuvre aussi excellentes, je me fiche d’avoir à les présenter en même temps, je fais le job !
Les deux premiers chapitres du film sont présentés comme ‘’La vérité selon Carrouge’’ et ‘’La vérité selon Le Gris’’. Pourquoi le troisième chapitre est intitulé simplement ‘’La vérité’’ ?
RS : C’était évidemment un choix délibéré de notre part. Nous avons trois points de vue présentés et l’affaire semble complexe en surface. Le fait d’ajouter ce titre est une manière élégante d’informer le spectateur sur notre intention et parti pris sur la manière dont on raconte l’histoire.
NH : le fait que le titre ‘’La vérité’’ s’efface lentement de l’écran était une idée brillante. J’en ai eu des frissons la première fois que je l’ai vu. Il n’y a jamais eu aucun débat entre nous sur la véracité du point de vue de Marguerite. Dès le départ, nous ne voulions pas que les spectateurs sortent de la salle en se disant ‘’Qui dit la vérité ? ’’. On connait les faits, on connait le coupable !
Ridley, votre premier film était Les duellistes, votre nouveau film Le dernier duel, quel est votre intérêt si particulier pour le duel ?
RS : Je suis moi-même un duelliste. Je me bats tous les jours avec les studios pour des questions d’argent ou autre. C’est mon gagne-pain ! Si vous ne supportez pas la pression, ne faites pas ce métier ! Mais en ce qui me concerne, j’aime plutôt ce stress, il m’est plutôt stimulant.
Vous avez décidé de tourner dans le Sud de la France et notamment en Dordogne dans les décors de votre premier film. Pourquoi n’avez-vous pas tourné en Normandie, là où se déroule l’action du film ?
RS : J’avais 40 ans lorsque j’ai tourné mon premier film. À cette époque, je connaissais très bien la France car j’avais tourné énormément de publicités en Europe. Quand j’ai lu le scénario des Duellistes, il m’a paru évident de tourner en Dordogne. Quand je suis revenu il y a 4 ans, j’ai été impressionné par le fait que les paysages que j’avais en tête n’avaient pas été dénaturés par la technologie. Ils ont été conservés presque tels quels. D’où mon envie de tourner de nouveau à cet endroit !
Jodie, quel regard portez-vous sur votre personnage ?
JC : Je pense que c’est une femme remarquable. Elle a élevé sa voix alors que sa vie était en jeu et n’a pas laissé le crime qu’elle a subi définir le reste de sa vie. Elle a avancé et a continué sa vie avec un enfant qu’elle aimait. J’ai adoré travaillé avec Nicole à tenter de comprendre qui elle était.
Ridley, pouvez-vous nous parler de la reconstitution précise de l’époque ?
RS : Je ne fais pas de recherches, j’ouvre des livres, je me dis ‘’wow’’ et je fais des dessins, comme un enfant. Plus sérieusement, j’ai étudié l’art pendant 7 ans dans des écoles incroyables en Angleterre. Cet enseignement me sert tous les jours de ma vie, et notamment pour la conception des storyboards pour tous mes films. D’ailleurs, avant de trouver les décors, je filme les storyboards. Cela me permet de mettre en perspective le texte et l’image. A partir de là, nous cherchons les décors.
Propos recueillis, traduits et édités par Antoine Rousseau pour Le Bleu du Miroir