Robert Zemeckis | Comme un homme
Carte blanche est notre rendez-vous pour tous les cinéphiles du web. À nouveau, Le Bleu du Miroir accueille un(e) invité(e) qui se penche sur un grand classique du cinéma, reconnu ou méconnu. Pour cette trente-cinquième occurrence, nous avons tendu la plume à Renaud Besse-Bourdier, rédac-chef de l’incontournable team Cinématraque. Il saisit l’occasion pour évoquer la masculinité dans l’oeuvre de Robert Zemeckis, de Retour vers le futur à Bienvenue à Marwen.
Carte Blanche à… Renaud B-B.
Quand j’étais gamin, il n’y avait pas de mec aussi cool que Marty McFly. Même Spider-Man, Batman et les autres ne paraissaient pas aussi badass que le héros de Back To The Future, la saga la plus populaire du réalisateur américain Robert Zemeckis. Sans doute parce qu’il a toujours paru beaucoup plus réel, que son style imparable est plus palpable, tangible. On pouvait rêver être un superhéros, mais on pouvait s’imaginer Marty.
Il faut –justement- m’imaginer bouche bée, face à l’introduction du premier volet de la trilogie : Michael J. Fox est en retard pour l’école et s’accroche aux voitures en skateboard pour aller plus vite. Juste après cela, il joue du hard rock sur une guitare électrique face à des adultes coincés. Puis, il se bat contre des loubards qui font trois fois sa taille et son poids pour défendre son darron ! Y a pas à tergiverser, Marty McFly c’était un vrai mec ; qui se laisse pas marcher sur les pieds, et qui fait craquer les gonzesses.
Même quand c’est sa propre mère.
Et que ça menace sa propre existence.
Trop cool.
Et puis, j’ai grandi. J’ai continué à aimer Retour vers le futur bien sûr. Aujourd’hui encore, je suis ce que l’on appelle « quelqu’un qui a du goût » et je revois la trilogie régulièrement. Pourtant, la dernière fois que je l’ai vue en entière d’une seule traite, lors d’un marathon spécial au Grand Rex en 2015, quelque chose a changé dans ma vision de Marty McFly. À l’époque, je commençais tout juste à me familiariser avec les nouvelles théories féministes intersectionnelles, au questionnement de genre, à l’identité puis à l’existence trans. À ce que cela peut vouloir dire, être une femme. Être un homme. À la malléabilité de ces concepts, en somme.
Être un homme
À ce moment-là, je n’ai pas réussi à formuler exactement ce qui m’avait frappé dans le personnage de Marty McFly dans les deuxième et troisième volet, mais je ressentais pleinement son effet. Il y a un problème dans la vision que j’en avais, de ce gamin cool comme personne. Je comprenais soudain que mon icône tel qu’il apparaît dans le premier volet, est confronté dans les parties II et III à sa propre identité : qu’est-ce que ça veut dire, être un vrai mec ? Et la confrontation est douloureuse.
Parce que voilà, la masculinité qu’exhibe Marty McFly, est en partie toxique. On le sait, personne ne le traite de mauviette ! Son besoin constant de prouver qu’il n’a pas les foies est en vérité l’arc narratif des films 2 et 3. Dans le futur, il est devenu un homme de famille aigri et faible parce qu’un accident a endommagé son corps ; un accident justement arrivé parce qu’il voulait prouver qu’il était un « vrai mec » au volant de sa voiture. La résolution de la saga va même montrer Marty apprendre à ne plus se laisser provoquer… En somme, il comprend qu’il n’a pas besoin de prouver à qui que ce soit sa virilité. Et je ne sais pas pourquoi je n’ai pas compris plus tôt.
La clé m’est apparue en janvier 2019, avec le film Bienvenue à Marwen. J’ai soudain compris qu’une grande partie de la filmographie géniale de Robert Zemeckis pouvait être comprise comme une exploration de la masculinité. Autrement dit : qu’est-ce que ça veut dire, être un homme ?
Bienvenue à Marwen. Ou comment un homme qui aime mettre des chaussures à talons se fait tabasser par des mecs qui ne trouvent pas ça normal. « Viril ». Comment cet homme brisé, qui en a perdu la mémoire suite à ce crime, s’enferme dans une fiction dans laquelle il est un militaire exceptionnel, qui n’a pas à rougir de son envie de mettre des chaussures à talons parce que justement, sa virilité est établie par son héroïsme guerrier. Comment cette homme fictionnel qu’il se crée s’entoure de femmes aux airs de playmate, toutes représentant des vraies femmes de sa vie mais dans un excès de féminité totalement stéréotypée, à l’image de sa propre virilité imaginée.
Ce film-somme, dans lequel Zemeckis convoque tout son cinéma, de Forrest Gump à Roger Rabbit en passant par Beowulf et bien sûr Retour vers le Futur, a connu un accueil catastrophique aux Etats-Unis. Boudé par le public, et surtout honni par la critique. Cette dernière n’a pas voulu voir dans le personnage interprété par Steve Carell, toute la gêne, la maladresse, l’ambivalence d’une réflexion sur la virilité. Au contraire, elle a été gêné et trouvé le film maladroit… On peut espérer qu’il soit réévalué dans les années ou décennies à venir, car c’est une œuvre tout à fait consciente des problèmes de son personnage. De ses blessures, de son machisme aussi, tout aussi innocent et mignon qu’il puisse paraître.
C’est quoi être un homme ?
Et ses problèmes ont donc tout à voir avec la virilité : autrement dit, c’est quoi être un homme ? Cette question, je me la pose tous les jours depuis quelques années. Dans un monde où l’on sait que le genre, contrairement au sexe, est une construction sociale, dans un monde où l’existence trans prend enfin un peu de place dans le discours, il devient de plus en plus difficile d’y répondre. Et c’est tant mieux. Parce que cela veut dire que l’on s’éloigne petit à petit des conceptions arriérées que le patriarcat érige à travers la culture occidentale depuis des siècles : la force physique, la compétition, le refoulement des émotions, la pilosité. En anglais, on parle de masculinité toxique, un concept qui revient à dire que le patriarcat pousse les hommes à être dangereux pour les autres et pour eux-mêmes. Un concept très vite adopté par beaucoup d’hommes, moi y compris, notamment et il faut se l’avouer parce qu’il place le blâme au dessus de nos propres actions. « Si je me suis mal comporté, c’est pas ma faute, c’est celle de la société ». Un peu facile, oui…
Mais la masculinité est autrement plus complexe. Déjà parce que, selon la majorité des sociologues sur le sujet, elle est plurielle. Celle qui domine s’appelle la masculinité hégémonique ; tout est dans l’adjectif. Cependant elle a tendance à évoluer ; aujourd’hui il ne paraît plus insensé pour la majorité des gens sensés qu’un homme puisse pleurer, porter du rose, etc. Quand la masculinité hégémonique intègre ces nouveaux éléments, elle s’enrichit de nouvelles qualités et peut devenir moins toxique. Notons cependant beaucoup de féministes ont prouvé qu’en s’enrichissant, elle assoit aussi plus aisément sa domination sur les femmes ; en d’autres termes, elle reste hégémonique. A ce sujet je recommande très chaudement l’écoute d’Un Podcast à soi, qui explore ces thématiques dans de nombreux épisodes. Et le livre Une culture du viol à la française de Valérie-Rey Robert, tant que je suis dans une digression profonde.
Je ne pense pas cependant que Robert Zemeckis aille si loin dans sa réflexion sur la masculinité. Il est encore dans une dynamique masculine très 80s-90s, et est loin d’avoir intégré les considérations queer dans ses films. D’ailleurs, je ne pense pas que cette prégnance au sein de son cinéma soit consciente. Et pourtant, il me paraît désormais impossible de nier que sa filmographie interroge sans cesse le rapport de l’homme à sa place dans la société. Dans Retour vers le Futur, Marty McFly apprend qu’il n’a pas besoin de se battre pour être respecté. Dans Roger Rabbit, la bombe sexuelle Jessica Rabbit, à l’anatomie impossible car « dessinée comme ça » par des hommes, est la femme d’un lapin qui n’a absolument rien de viril. Elle l’aime parce qu’il la fait rire. Et que dire encore de Tom Hanks dans Forrest Gump, ou à l’inverse des héros de Romancing the Stone et de Flight ? Comment ne pas voir dans la quête de Philippe Petit dans The Walk un besoin capital de s’affirmer dans sa propre masculinité face à celle de son père ? Les hommes de Zemeckis sont sans cesse confrontés au vertige que représente la quête identitaire de l’individu au sein d’un monde normé. C’est la recherche de l’exceptionnel.
Welcome To Marwen m’a rappelé en 2019 que je n’ai aucune idée de comment définir ma propre masculinité. Je sais que je suis un homme, cisgenre. Je connais mes privilèges au sein de la société, mes défauts et mes faiblesses, comme je connais mes qualités qui – je l’espère chaque jour – font de moi une bonne personne. Mais un homme bon ? Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Voilà pourquoi encore aujourd’hui j’admire ce réalisateur ; parce que même si ses considérations sur la masculinité peuvent sembler ne plus être à la page… Je ne pense pas non plus l’être tous les jours. Alors, à bientôt 30 ans, je repense à Marty McFly, et à qui il devient à la fin de la saga Retour vers le Futur. Et encore aujourd’hui j’espère pouvoir devenir aussi cool que lui. Les raisons pour sa coolitude ont simplement changé entre temps.
Renaud B-B.
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