SAEED ROUSTAEE | Interview
En 2021, le cinéaste iranien Saeed Roustaee voyait son deuxième film, La Loi de Téhéran, un thriller sur la lutte anti-drogue, rencontrer un vrai succès public et critique dans l’hexagone. décrochant au passage une citation au César du meilleur film étranger. Son troisième film, Leila et ses frères (Leila’s Brothers), est sélectionné et remarqué en compétition officielle au Festival de Cannes 2022, dont il ne repartit « qu’avec » le Prix FIPRESCI, parviendra sur nos écrans en ce mois d’août 2022. Nous l’avons rencontré lors de son passage dans la capitale au début de l’été.
Nous vous avons découvert en France en 2021 avec La Loi de Téhéran. Comment le film a-t-il été accueilli en Iran ?
Saeed Roustaee : Quand j’ai décidé de tourner La Loi de Téhéran, j’ai imprimé quinze exemplaires du scénario. Je les ai donnés à quinze personnes, et treize d’entre elles m’ont dit : « Ne le fais pas, ça va être un échec. » Je l’ai fait, et ça a plutôt bien marché ! C’est le film qui a eu le meilleur score au box-office l’année de sa sortie en Iran, parmi les films de société – sans prendre en compte les comédies. Il y a eu trois millions de spectateurs dans les salles, quarante millions en VOD, DVD et téléchargement légal – ou illégal. Il a été nommé aux César, je l’ai présenté à Venise… Et il aurait dû aller aux Oscars, mais les responsables du cinéma en Iran ont décidé d’envoyer plutôt un documentaire [À la recherche de Farideh, co-réalisé par Azadeh Mousavi et Kourosh Ataei –ndlr].
À quel moment l’idée de Leila et ses frères a-t-elle germée ? Avez-vous rencontré des difficultés pour le financer ?
L’idée principale du film était là avant La Loi de Téhéran, mais l’écriture en elle-même s’est faite après. Étant donné que j’ai eu du succès dès mon premier film [Life and a Day en 2016 – ndlr], avec un retour d’investissements, je n’ai pour le moment pas de problème pour obtenir des financements.
À travers la famille que vous mettez en scène, vous faites un portrait de la société iranienne où la question du déterminisme des classes sociales est très importante.
Il y a une forme de déterminisme économique qui n’est pas résolu. On n’arrive pas à trouver des solutions, ni par la prière, ni par l’effort, ça ne fonctionne pas. C’est pourtant pour obtenir des choses très simples. Dans le film, le personnage de Leila demande : « Est-ce qu’un jour on aura la possibilité d’écrire un vrai métier en face du mot emploi sur les formulaires ? » Ce sont des choses si évidentes… Tout naît des problèmes que l’on rencontre à cause de l’économie, et ce déterminisme nous mène vers des impasses.
Le conflit est aussi générationnel. Chacun se reproche son sort tout en vivant ensemble, en vase clos. Quitter le nid familial est-il une solution pour résoudre ce conflit ?
Ce que vous décrivez se fait beaucoup en Europe. En Iran, certains le font aussi, mais il y a un sentiment très fort de dépendance entre les membres de la famille qui n’est peut-être pas pareil ici. Si c’était comme ça, le film n’aurait pas eu lieu d’exister !
Ces tensions entre générations, ces rancœurs, que traduisent-elles du monde actuel ?
On perçoit dans le film qu’il y a une lutte entre les différentes générations. On peut l’appeler d’une certaine manière « modernité versus tradition », parce que chaque génération évolue et souhaite des changements par rapport à ce que l’autre avant elle a vécu. Cela change votre vision du monde. Dans le film, la jeunesse voit le salut par l’emploi, tandis que le père voit le salut par l’obtention d’un rang plus élevé dans la famille, en devenant parrain. Si chacun de ces personnages se rendait individuellement chez le psy, on verrait bien leurs différences. J’avais d’ailleurs imaginé une séquence qui montrait ce qu’il s’était passé dans la jeunesse du père. Je l’ai enlevée au montage, mais elle racontait que tout ce que l’on a comme idée, nos complexes, nos convictions, nous vient quand même du passé.
Leila est la seule à tenir tête à son père, alors qu’on essaie de la faire taire. Comment avez-vous traduit sa place dans sa famille à travers la mise en scène ?
Leila ne fait rien pour elle-même. Ce qu’elle veut faire, c’est pour les autres. Elle a un boulot, elle pourrait très bien partir, mais elle décide de rester parce qu’elle veut vraiment que les choses changent pour ses frères. Elle demande l’aide de ses frères pour améliorer leur situation, pas la sienne. Elle sait qu’une meilleure voie est possible, mais c’est difficile à cause des différences de visions entre générations, à cause des traditions… Et du fait que le père va prendre des mauvaises décisions, et que, d’une certaine manière, les frères vont le suivre.
Comment expliquez-vous que le cinéma iranien rende possible l’émergence de nouveaux cinéastes ambitieux tout en étant un des pays qui applique le plus la censure de ses artistes ?
On va dire que la répression entraîne parfois de la création ? Dans l’ensemble, il y a malgré tout une histoire du cinéma iranien. C’est un continuum, depuis que le cinéma existe, il y a toujours eu de bons cinéastes iraniens. En ce moment, 2000 courts-métrages sont (à peu près) produits chaque année. Beaucoup de gens ont envie d’être acteurs, ils sont doués, et il y a des cinéphiles, les gens adorent le cinéma. C’est un cinéma qui ne ressemble qu’à lui-même, il ne copie pas. Les réalisateurs iraniens prennent pour modèle le cinéma dans lequel ils sont ancrés.
Et en l’occurrence, il semble y avoir une grande demande, car le public suit.
Il faut quand même dire que l’histoire de mes films avec les spectateurs iraniens, ce n’est pas un exemple comme tous les autres. Ils ne reflètent pas la situation de tous les réalisateurs, car beaucoup de films ne sont pas rentables en Iran.