SILS MARIA
Maria Enders est une actrice d’une quarantaine d’années, révélée à 18 ans par le dramaturge Wilhelm Melchior qui lui offre le rôle de Sigrid, une troublante jeune fille ambitieuse entraînant la déroute d’une femme plus âgée, Helena. A la mort du metteur en scène, Maria se voit proposer de remonter sur les planches mais pour cette fois-ci incarner Helena.
Les actrices sont éternelles
Comme les nuages du Maloja Snake s’insinuent à travers les montagnes suisses, l’ombre du temps qui passe envahit les méandres de Sils Maria. Car c’est bien là que veut nous emmener Olivier Assayas, à travers un labyrinthe de mises en abîme, à l’acceptation du temps qui passe. Avec une maestria impressionnante, le scénariste/réalisateur tisse en effet une sorte de toile du subconscient de Maria, où chaque élément nous ramène à la prise de conscience de l’actrice et à la remise en question qu’elle doit opérer sur elle-même. Il y a bien évidemment d’abord la perte de ce metteur en scène cher, ombre de la mort qui plane, mais qui signe aussi la fin de ce qui rattachait l’actrice à ses débuts. Il y a ensuite cette pièce, qui fait ressurgir le passé, et ce changement de rôle, qui fait ressentir à Maria le poids des années. Elle a passé la barrière, elle doit maintenant incarner celle que la nouvelle génération va amener à la déchéance et faire disparaître, à l’instar de son personnage dans la pièce. Cette nouvelle génération, elle doit aussi s’y confronter dans la vie, à travers des projets qui ne lui siéent pas forcément et surtout en donnant la réplique à une star montante abonnées aux tabloïds. Mais l’élément ô combien le plus magnifique du film est le personnage incarné par Kristen Stewart. L’assistante de Maria, la fille à tout faire, celle qui doit l’orienter dans ses choix, l’aider dans son processus créatif. Elle est une sorte de double de sa conscience et créé le lien entre son passé et son présent. Ange ou démon ? Maria doit-elle accepter de se fondre dans un nouveau moule ou rester ce qu’elle a été ?
Quelle bonne idée aussi a eu Olivier Assayas d’intégrer sa réflexion dans le portrait d’une actrice, femme de l’image et donc sur laquelle le temps a forcément une emprise particulière, mais en même temps immortelle à travers les rôles qu’elle a incarnés. Cela permet également au réalisateur de dresser une peinture fascinante de ces femmes en éternelle représentation. Que ce soit à travers des buzz sur internet ou un shooting pour une marque haut de gamme, l’image est partout. Dans les choix qu’elles font, dans cette volonté aussi de faire parler d’elles, d’être aimées, d’être en compétition permanente, de se battre pour le devant de la scène. Si l’ancienne et la nouvelle génération s’opposent ici, elles ne diffèrent finalement que par les moyens qu’elles emploient. Une nouvelle fois, le personnage de Kristen Stewart a ici un rôle majeur. L’ambigüité de sa relation avec Maria est significative. Elle est à la fois la confidente mais aussi l’employée de l’actrice. Une sorte d’amie exclusive, payée pour rester dans l’ombre, flatter l’ego de son employeuse, prendre soin de sa vie et de son image.
Olivier Assayas met également l’accent sur le processus de création et cette confusion étrange qui peut finir par exister entre les actrices et leurs rôles. On le retrouve bien évidemment à travers les rôles de la pièce (voir notamment les séquences de répétitions) mais également dans les rôles interprétés par Juliette Binoche, Kristen Stewart et Chloë Grace Moretz dans le film. Si Maria est clairement et consciemment inspirée de Juliette Binoche, il est plus savoureux de voir Chloë Grace Moretz en jeune star montante, révélée par un film de super-héros, s’essayer à un rôle d’auteur ; ou encore Kristen Stewart défendre les actrices de blockbuster et leur volonté de donner de la profondeur à leurs personnages. Par ailleurs, le personnage de cette dernière prône un style de jeu plus instinctif, ce que l’actrice pratique également dans la réalité, en opposition à la méthode plus intellectualisée de Juliette Binoche. Cependant, malgré ces différences d’approches, les deux comédiennes se rejoignent dans la sincérité de leur jeu et leur duo fonctionne parfaitement à l’écran. Elles jouent leur partition avec une justesse incroyable, sachant parfaitement retranscrire l’ambigüité de la relation qui les unit, entre amitié, attirance et professionnalisme. L’alchimie est telle qu’on se demande pourquoi les deux comédiennes n’ont pas été couronnées d’un double prix d’interprétation lors du dernier Festival de Cannes.
Mais ce qui est fascinant avec Sils Maria, en regard de la richesse et la complexité de la structure du scénario, c’est sa fluidité déconcertante, témoin de la grande maîtrise de la mise en scène d’Olivier Assayas. Les choix de cadre et de montage sont le plus souvent assez classiques, donnant une impression de simplicité et mettant avant tout en valeur les actrices et le scénario. Le réalisateur aime par contre à jouer avec l’opposition de la nature et du feu des projecteurs. Les montagnes suisses, où Maria part en retraire, apparaissent comme un isolement au milieu de l’immensité, mais où le monde extérieur et le star system continuent à s’insinuer notamment via internet. On retrouve dans l’opposition de ces univers pourtant sans cesse reliés, l’idée que même dans l’ombre, les actrices sont reliées à la lumière. Par ailleurs, pour reprendre l’idée déjà émise précédemment, on peut aussi voir l’isolement montagnard de Maria, comme une plongée dans le subconscient de l’actrice en proie au doute et qui se confronte sans cesse au monde extérieur, soit via les médias, soit dès qu’elle quitte sa retraite. Le spectateur se retrouve alors littéralement transporté dans les méandres de l’esprit de l’actrice, et n’a plus qu’à se laisser porter par la course des nuages du Maloja Snake…
Même en écrivant encore autant de lignes, il serait impossible de saisir dans son intégralité l’œuvre d’Olivier Assayas, tellement sa richesse est dense. Si le film a injustement été boudé par le jury de Jane Campion, il risque cependant de rester comme l’un des moments cinématographiques majeurs de l’année et d’occuper une place de choix dans la filmographie du réalisateur.
L'académie des Césars serait bien avisée de ne pas oublier Assayas, Binoche et Stewart cet hiver. #SilsMaria #Cesar2015
— Le Bleu du Miroir (@LeBleuduMiroir) 21 Août 2014
La fiche
SILS MARIA
Réalisé par Olivier Assayas
Avec Juliette Binoche, Kristen Stewart, Chloë Grace Moretz
France – Drame
Sortie en salles : 20 Août 2014
Durée : 123 min
me suis pas autant ennuyé depuis longtemps… il n’arrive rien, à des gens ordinaires, et quant il se passe enfin qqchose (un personnage disparaît) pas d’explication, on passe direct a autre chose, on revient a la routine, l’ordinaire, le banal, le sans intérêt…
J’ai beaucoup de mal avec Assayas… Alors j’ai peur. Mais ton billet fait envie et j’adore Binoche. Je tenterai si j’ai l’occasion.
Mais si explication il y a, alors ce n’est plus vraiment une disparition 😉
Par contre, je peux comprendre que si tu n’as pas adhéré à l’univers du film, tu te sois ennuyé
Il ne faut pas avoir peur ^^ Si tu adore Binoche, ne loupe pas ce très beau rôle. Et c’est aussi l’occasion de redécouvrir Kristen Stewart sous un autre jour.
C’est étrange… Je retrouve dans ce que tu dis la densité de l’œuvre, les enjeux et perspectives qu’elle s’emploie à mettre en scène, à cadrer, malgré le caractère parfois très verbal de son propos. Pourtant, je l’avoue, tout en percevant cette complexité, je n’ai pas réussi à la ressentir frontalement, intimement. Dans son Dîner avec André, Louis Malle confronte lors d’un long huis clos au restaurant deux personnages aux questionnements existentiels proches – en substance – de ceux évoqués par Assayas dans Sils Maria ; au fil de la conversation, l’intime subjectif se métamorphose en angoisse communicative, universelle. Il en résulte une expérience quasi cathartique pour le spectateur, sans qu’il n’en éprouve toujours toute la difficulté. Dans Sils Maria, c’est le cheminement inverse. Il n’y est question que de mise en scène : mise en scène théâtrale, de l’espace, du jeu, de l’inconscient, du rapport à l’autre et au temps, de la simplicité apparente du propos. On regarde, mais on ne pénètre jamais totalement la nappe ombrageuse de l’affectif, toujours singulier, autre, lointain. Un peu comme ce maloja snake qui traverse le film : qu’il soit filmé en couleur ou en noir et blanc, il ne fait que glisser, passer, belle métaphore traversante de la métamorphose. Je ne dis pas que c’est mal, non… Cependant, en tant que spectatrice, je n’ai pas trouvé ça impactant. La belle profondeur du film reste pour moi dissimulée derrière une couche superficielle de paroles – en apparence – sans valeur. Pour saisir le reste, il faut rester dans le regard et la distance, dans l’admiration presque des personnages, et des actrices, puisqu’il ne s’agit en réalité que d’elles. Et dans mon cas, ce n’était pas franchement suffisant.
Bravo cependant pour cette intéressante critique ! Je n’aurais pour ma part jamais réussi à synthétiser le film de manière aussi complète et pertinente.
Désolé pour ma réponse tardive, mais surtout merci pour ce commentaire très étoffé et intéressant ! (il me fait d’ailleurs me demander pourquoi tes critiques sur le blog sont si rares, étant donné la qualité de ta plume).
Je ne connais pas ce film de Louis Malle, mais tu m’as vraiment donné envie de le voir. Pour le film d’Assayas, je comprends ton point de vue, effectivement tout est très écrit, très mis en scène et, dans un sens, artificiel effectivement. Mais c’est fait avec une telle maîtrise que cela ne m’a pas gêné, et je trouve même que ce parti-pris est cohérent avec le sujet du film. D’ailleurs il est vrai qu’on n’oublie pas les actrices derrière leurs personnages, que ce soit Binoche ou Stewart, elles ne se fondent pas dans leurs rôle, elles cohabitent avec eux. Comme tu l’as dit, on n’est pas dans l’affectif mais dans l’admiration de ces actrices, de qui elles sont, de leur travail. Il reste une distance entre elles et nous, mais je trouve ça justement beau, troublant, de ne pas pouvoir aller directement toucher ces étoiles, qu’elles gardent leur part de mystère et l’étrange pouvoir qu’elles ont sur nous.
[…] votants. Quitte à passer pour un élitiste, j’attribue mon choix du coeur et de la raison à Sils Maria d’Olivier Assayas. Toutefois, Timbuktu et Saint Laurent paraissent toutefois plus favoris […]
[…] toute logique, Sils Maria aurait – au moins – du repartir avec le César du meilleur scénario tant le support […]
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