SOUAD ALA | Interview
À quelques kilomètres des Hauts-de-France, dans la ville de Tournai en Belgique, se déroulera du 17 au 27 janvier la 15e édition du Ramdam Festival. Un festival qui célèbre « le film qui dérange ». En cette occasion, Souad Ala, membre du comité de programmation, se livre sur l’état d’esprit de ce festival et évoque les événements qui constitueront cette édition.
Quel est l’esprit « Ramdam » ?
Souad Ala : Le Ramdam porte bien son nom dans le sens où on va faire du « ramdam », du bruit, du grabuge. C’est l’identité du Festival depuis quinze ans. Sa volonté a toujours été de déranger. Alors, évidemment, qu’est-ce que le dérangement ? C’est toujours la question qu’on aime bien nous poser. Et moi, j’aime bien répondre que c’est quelque chose d’assez subjectif, d’assez personnel dans le sens où ce qui va me déranger ne va pas forcément déranger mon voisin. Et ce qui est très chouette, que ce soit pour les spectateur.ices que pour les membres du comité, c’est qu’il y a beaucoup de choses qui peuvent déranger. C’est en cela une des forces du festival. Ça offre une richesse de visions à explorer parce que le but de faire du « ramdam », c’est aussi de faire découvrir une dimension fortement sociale, citoyenne, politique du cinéma.
Car les fictions, les documentaires, les courts-métrages que nous programmons depuis le début du festival ont pour objectif de nous secouer. À différents niveaux, évidemment. Par une dimension de fond, avec des thématiques de sociétés comme les violences faites aux femmes ou la crise climatiques. Mais ça peut être dérangeant dans la forme, car le cinéma est avant tout une œuvre artistique et on peut être dérangé.e par la forme que prend un film. Je pense que ça offre une richesse immense et ça peut permettre de parler à un large panel de public. C’est un festival qui a une thématique spécifique mais si large qu’il ne nous enferme pas dans des carcans. Ça nous permet donc à nous d’explorer plein de choses et de le transmettre dans une programmation qui plaît par cette multitude de propositions.
Vous faites justement partie du comité de programmation du festival, pouvez-vous en dire plus sur le choix d’un film pour un festival qui a une dimension pouvant s’élargir ?
Notre comité de programmation est composé de sept personnes. Et ce qui est riche, je pense, c’est qu’on a tou.te.s des âges différents. Par exemple, je suis un peu la « bébé » de l’équipe, c’est moi la plus jeune. On a des âges différents et donc des sujets qui nous touchent différemment. Je vais être plus intéressée par des sujets précis alors que ma collègue qui a la quarantaine sera attirée par d’autres thématiques. Ça permet déjà d’avoir cette richesse car on va chacun.e proposer des œuvres qui vont nous plaire par des sensibilités différentes. On le ressent aussi auprès du public, car chaque spectateur aura un regard différent.
Pour le choix des films, on fonctionne par coups de cœur. L’une des premières choses que l’on fait est d’aller en festival : Cannes, Berlin, Venise, Clermont-Ferrand, chacun.e va en festival. On note les choses qui nous plaisent et il y a des coups de cœur, des évidences. Ces films-là, on essaie de les mettre en valeur et on en discute en comité dans des débats. Des débats parfois houleux, ce n’est pas toujours facile car un film va plaire à un collègue alors qu’il peut ne pas me toucher. Le cinéma est un métier de passion et quand on est passionné par quelque chose, on peut prendre les choses très à cœur.
Mais on a quand même une chance : à part sur certaines propositions où c’est plus compliqué, le fait qu’on soit tou.te.s au clair avec la philosophie du festival fait qu’on a plus ou moins les mêmes sensibilités mais avec des regards différents. Par exemple, mon collègue Mathieu a un regard plus pointu et artistique, et c’est intéressant car il en faut aussi en festival. Il faut trouver un équilibre entre une dimension artistique et une autre plus grand public. On arrive à trouver cet équilibre grâce à chaque membre du comité. On va chacun avoir un regard en fonction de notre personnalité, on va se battre pour ça et c’est ce qui est bien parce que je pense que le métier de programmateur en festival (ou même dans d’autres lieux), c’est de se dire « Je suis convaincu.e par la vision d’un cinéaste et j’ai envie que le monde entier puisse ressentir ce que j’ai vécu. Je vais me battre pour que ce film, ce doc, ce court-métrage soit programmé. ».
Il y a toujours cet enjeu qui, moi, m’anime. Ce n’est pas toujours possible car, en effet, il y a également la dimension avec les distributeurs où on ne peut pas avoir des films car ils ont des exclusivités avec d’autres festivals. Ces films qu’on ne peut pas avoir, c’est le côté frustrant, mais sans jugement, du métier. Parce qu’on peut voir un film, le trouver génial, se voir déjà le présenter et se prendre un refus. Ce qui nous force à faire des concessions sur des choix de films et à préparer une programmation équilibrée, qui permet de toucher le plus grand nombre des personnes.
On travaille par exemple sur la catégorie Générations. On se rend compte que le Festival est visité par des adultes qui aimeraient s’y rendre avec leurs enfants. Et par l’aspect du « dérangement », ça aurait été difficile d’y emmener un jeune public. C’est une question à laquelle on a réfléchi mûrement car il faut savoir que dans le Tournaisis, il y a un public très familial. Il y a eu cette volonté de proposer des films de qualité, dans l’esprit du festival et que l’on pourrait retrouver en compétition mais accessible à un jeune public. Cette sélection est accessible à partir de 13 ans, nous avons également une sélection « Kids » spécialisée dans le court-métrage.
Le Festival marque sa quinzième édition, quels seront les événements marquants ?
Cette année a une dimension plus particulière pour la catégorie « Générations » car nous avons mis au point un jury de six jeunes, venant de Maisons de Jeunes situées sur le territoire de la Wallonie Picarde. L’objectif est que ces jeunes forment un jury et votent, ils verront les films comme une vraie compétition dans un festival. L’autre idée est que cette programmation soit intergénérationnelle, avec des films qu’on peut voir avec ses grands-parents, avec ses ami.e.s. On a sept ou huit films très larges avec par exemple Anzu Chat-fantôme, au style proche de Ghibli ou Maydegol, un documentaire sur une jeune fille qui vit une situation compliquée et souhaite s’y émanciper par la boxe.
On adore les films scandinaves pour les ados et là, on a Lars Is LOL qui parle d’un enfant atteint de Trisomie 21 devant s’intégrer dans une école. Une programmation toujours basée sur des thématiques de société mais, ici, adaptée à un public plus jeune car l’idée n’est pas de les traumatiser. On se rend compte que les enfants d’aujourd’hui seront les citoyens de demain. Le cinéma a donc ce rôle d’élargir les horizons, d’ouvrir les perspectives et ce public sera également le public de demain. On a également mis au point l’année dernière du « live-dubbing », qui est un procédé qui ne se fait pas beaucoup, mais qui repose sur le principe de doubler en direct un film, avec la présence d’un.e interprète pour que les enfants ne doivent pas lire les sous-titres. C’est un procédé très particulier mais c’est chouette aussi de proposer des expériences à un public jeune qui soient plus différentes.
Un autre point important du Festival et qui fait partie de son A.D.N, encore plus pour la quinzième édition, c’est la proximité entre les invité.e.s et le public. Le Ramdam a toujours été un festival accessible, déjà pour son aspect tarifaire mais surtout par les échanges avec les équipes de film et le public. Il y a toujours un échange organisé après la séance, pour permettre aux spectateurs d’interroger les cinéastes et le casting. Et il y a une petite particularité, c’est qu’on a un bar en-dessous du ciné : les équipes de films s’y rendent et les spectateur.ice.s viennent leur parler, ce qui donne toujours de beaux moments d’échanges. Et le Ramdam ne donne pas de prix professionnels, hormis un prix de la presse, car c’est le public qui vote. Il y a un prix du film le plus dérangeant, que ce soit long-métrage, documentaire et court. C’est quelque chose de très important pour les cinéastes car ils estiment avant tout faire des films pour le public. Le Prix du Public a toujours renforcé la proximité faite entre le monde un peu inaccessible du cinéma et le public. À Tournai, il y a toujours cette convivialité importante.
Et donc cette année, on a de la chance de recevoir de nombreuses équipes de films. On a des films-événements, dont certains qui vont déjà sortir en France comme Le Dossier Maldoror, le nouveau film de Fabrice Du Welz, inspiré de l’affaire Dutroux qui a laissé des répercussions dans la société belge. Le réalisateur sera présent, ainsi que son comédien principal Anthony Bajon, dont on présente également en Compétition, le court-métrage qu’il a réalisé et intitulé « La Grande Ourse », dans la sélection Génération. La boucle est bouclée !
Il y aura également la venue de Sayyid El Alami, qu’on avait vu dans Leurs Enfants Après Eux et la série Oussekine, qui sera là pour La Pampa. Il a été considéré récemment par Télérama comme l’un des acteurs qui fera l’année 2025 donc c’est chouette pour nous d’être une porte d’entrée, tout comme nous diffusons beaucoup de premiers films. Ça nous permet de faire venir de nouveaux cinéastes.
On a également un documentaire intitulé Freedom of Fierro, assez exceptionnel. C’est un documentaire sur César Fierro, qui a été emprisonné injustement pendant 40 ans au Texas, dans le couloir de la mort. Il faut savoir que quand on attend dans ce couloir, on ne fait rien à part attendre la mort. Il ne pouvait pas suivre de cours pour la réinsertion. Et un beau jour, il va sortir de prison. On va alors suivre le parcours de cet homme, qui a attendu toute sa vie en prison et qui doit se réintégrer à une société qu’il ne connaît à peine. César sera au festival, en compagnie du réalisateur Santiago Esteinou. C’est typiquement un moment incroyable pour le festival, ce sont des rencontres pleines d’humanités et de richesses.
On aura également la présence de César Diaz, qui avait gagné la Caméra d’Or pour Nuestras madres, avec un nouveau film intitulé Mexico 86 avec Bérénice Béjo.
Quels sont vos trois coups de cœur du festival ?
- Le premier film de Maxime Jean-Baptiste, intitulé Kouté Vwa. Un film qui m’intéressait déjà car il se déroulait en Guyane, un territoire français très peu mis en lumière comme beaucoup de territoires d’outre-mer français. Il faut savoir que c’est un territoire marqué par la violence, en raison d’injustices sociales qui la provoquent. C’est un film situé dans une frontière poreuse entre le documentaire et la fiction. On va aller à la rencontre de Melrick, un jeune garçon de 12 ans vivant en banlieue parisienne à Stains et qui va passer ses vacances chez sa grand-mère en Guyane. L’oncle de Melrick va alors mourir dans des conditions assez dramatiques, Melrik va alors partir à la rencontre de ses origines et essayer de faire ce deuil qui semble vraiment impossible. C’est un très beau film sur ce sujet avec un soin à l’image exceptionnel et une dimension musicale très importante. C’est un film résolument tourné vers l’avenir car on y évoque la violence mais on montre surtout une jeunesse voulant vivre et souhaitant être respectée comme dans n’importe quel territoire français.
- Save Our Souls de Jean-Baptiste Donnet. Un documentaire qui nous embarque dans l’Ocean Viking, un navire ambulant affrété par l’ONG « SOS Méditérannée », qui va sauver des migrants en mer. Depuis 2016, ce bateau a sauvé plus de 40 000 personnes en mer. Il faut savoir que 2024 a compté le plus de morts en mer, d’après les derniers rapports de nombreuses organisations présentes sur place. Le film va nous embarquer dans ce bateau, auprès des sauveteu.se.rs qui sont pour moi des héros du quotidien. On se rend compte de l’importance du travail effectué de leur part. On ressent que le cinéaste a été aux Gobelins car le travail de la photographie est incroyable. Il y a une humanité essentielle et un esthétisme à souligner dans ce documentaire fabuleux. C’est une œuvre de cinéma à part entière et qui met en avant un travail devant être soutenu. D’autant plus qu’en France, on a de plus en plus de groupuscules d’extrême-droites qui tentent de tout faire pour que les villes ne donnent plus de subventions à ces ONG donc il est d’autant plus urgent de soutenir ces œuvres de cinémas qui mettent en avant ce travail formidable.
- Mon troisième coup de cœur est Hold on to her de Robin Vanbesien. C’est une œuvre tout à fait particulière. Il faut savoir que le film parle de l’affaire Mawda, qui s’est déroulée en 2018 en Belgique. Lors d’une course-poursuite entre la police belge et une camionnette transportant des migrants, la police a tiré sur la camionnette et a tué une fille de deux ans. C’est un drame et il faut savoir que ce jour-là, la police judiciaire belge a déclaré que la petite fille n’était pas morte d’un coup de feu mais d’un traumatisme crânien. C’est un scandale politique et le réalisateur va partir de cette affaire politique belge pour en faire tout un documentaire qui recueille des témoignages de migrants, de réfugiés pour une œuvre collective qui va questionner ce mot «migrant ». C’est une œuvre très intéressante sur la sémantique, sur comment on peut faire groupe. C’est un documentaire stupéfiant qui parle de deuil et interroge sur l’attention qu’on porte à ces personnes dans le besoin. C’est typiquement un documentaire de festival, quelque chose qu’on ne verra pas ailleurs. C’est important de mettre ces œuvres en valeur, qui ne seront pas forcément distribuées en salle et dont on a le rôle de diffuser.