THE VILLAGE NEXT TO PARADISE
Un petit village du désert somalien, torride et venteux. Mamargade, père célibataire, cumule les petits boulots pour offrir à son fils Cigaal une vie meilleure. Alors qu’elle vient de divorcer, sa sœur Araweelo revient vivre avec eux. Malgré les vents changeants d’un pays en proie à la guerre civile et aux catastrophes naturelles, l’amour, la confiance et la résilience leur permettront de prendre en main leur destinée.
Critique du film
Le problème des étiquettes c’est qu’elles renvoient à des formes stéréotypées. Dire de The Next Village to Paradise que c’est un film de guerre ne serait pas faux mais on prendrait le risque de lancer le spectateur sur une fausse piste. De la Somalie, nous parviennent, quand le reste de l’actualité le permet, des images d’une guerre civile qui plonge le pays dans le chaos depuis 30 ans. Ce sont précisément ces images, issues d’une chaîne d’information, qui ouvrent le premier long métrage de Mo Harawe. Une façon de les convoquer pour situer l’action mais aussi d’en dénoncer la teneur : la violence froide, anonyme, que l’on ingurgite entre deux résultats de basket et un bulletin météorologique. Ce qui intéresse le cinéaste, ce sont les vies derrière ces images, et ces vies, ce sont celles de Mamargade, Araweelo et Cigaal. Des vies de labeur, de peu de mots, d’amour et de manque d’amour, de sentiments rentrés.
Vers la sérénité
Puisque la mort est aussi un commerce, Mamargade gagne sa vie en creusant des tombes. Et quand la mort se repose, il transporte des marchandises pour des hommes qui le méprisent mais auxquels il n’obéit qu’à moitié. L’homme vit avec son fils et sa sœur qu’il héberge depuis qu’elle est en instance de divorce. Sauf le vent, la vie de Mamargade n’a rien de léger. Mo Harawe filme ce poids à travers les silences d’un quotidien habité par la responsabilité d’un père. Cette charge se transforme en dilemme alors que l’école de Cigaal doit fermer, faute d’enseignants vaillants. Pour l’enfant, ce sera le pensionnat ou la rue. La relation entre le père et le fils prend des accents dramatiques lorsque Mamargade décide de placer l’enfant, contre son gré, dans une école de la ville.
C’est à cet endroit que le film bat le plus fort, tutoyant la grâce du Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica dans sa manière de mettre en scène des regards où se mélange l’amour inconditionnel, la confiance trahie et la culpabilité. Ce vacillement intérieur, c’était déjà la force de Will My Parents Come To See Me, le court-métrage de Mo Harawe primé au Festival de Clermont-Ferrand l’an passé. Ici la durée pourrait être perçue comme une arme à double tranchant. Il y aura ceux qui reprocheront au cinéaste austriaco-somalien des excès de lenteur et de retenue là où d’autres (nous en sommes) apprécieront plutôt la patience et l’immersion progressive. Quatre séquences musicales ponctuent le film, agissant à la fois comme des suspensions et des exutoires au cours desquels le spectateur est invité à sonder les états d’âmes des protagonistes.
Alors que l’argent continue de manquer (les paiements sont toujours partiels ou différés), la dernière partie du film place Araweelo dans une position plus dynamique. D’une part, elle pose les fondations d’une future indépendance qui pourrait n’être qu’une nouvelle dépendance et d’autre part, elle fait le lien entre Cigaal et Mamargade que les circonstances ont éloignés alors que nous venons d’apprendre, lors de l’unique dialogue consistant du récit, la véritable nature du lien qui les unit. Le petit garçon a cessé de se souvenir de ses rêves, a cessé de dessiner des mondes entrelacés où des routes sans fin semblent former de savants plans de labyrinthes. Le temps lui apprendra des vérités que constitueront de nouveau dédales, le ciel n’en finira pas de sitôt de représenter une menace et pourtant, loin de tout angélisme, The Village Next to Paradise se referme dans une forme de sérénité dont la source souterraine, à bien y penser, n’a jamais cessé d’irriguer le film, de même que le vent, plus manifestement, n’a jamais cessé d’aérer l’image.
Mo Harawe livre une chronique somalienne à portée universelle, âpre et stoïque. Un homme, une femme, un enfant, un pays déchiré et toute la beauté d’un dénuement qui jamais ne se résigne.
Bande-annonce
De Mo Harawe, avec Canab Axmed Ibraahin, Axmed Cali Faarax, Cigaal Maxamuud Saleebaan