TOTO ET SES SOEURS
Au cœur d’une famille rom en pleine désintégration, émerge la figure de Totonel, 10 ans, dit Toto. Avec passion il apprend à lire, écrire et danser. Surtout danser et gagner le grand concours de Hip Hop. Au milieu du chaos ambiant, ses deux sœurs essayent de maintenir le mince équilibre de la famille. Le récit cinématographique d’Alexander Nanau enregistre sans pose, à hauteur d’Homme, la vie de Toto et de cette famille qui manque de tout, sauf d’humour et d’amour.
Nobody knows.
Alexander Nanau balade sa caméra en périphérie de Bucarest, dans une cité dortoir insalubre, lieu saturé dont on souhaiterait s’étonner qu’il soit habité tant cela semble inconcevable. De cette masse de béton émergent deux enfants d’à peine 10 ans qui chahutent dans la rue. L’un d’eux escalade un arbre, bientôt disputé par une voisine qui s’inquiète pour sa sécurité. Il y cueille deux pommes, une pour lui, et une pour son ami. Ce petit garçon c’est Totonel, dit « Toto » que l’on va suivre au plus près dans son quotidien chaotique.
Il est dur de concevoir que le film d’Alexander Nanau était initialement un film de commande sur la communauté Rom tant le réalisateur semble investi dans son immense travail sur l’intime pour rendre invisible la présence de la caméra. L’absence de voix-off du documentariste et de regards caméra des protagonistes permettent d’éviter la mise à distance habituelle grâce à la confiance établie par le réalisateur avec le jeune Toto et ses deux sœurs de 14 et 16 ans, livrés à eux-mêmes (leur père absent et leur mère en prison pour trafic de drogue).
La caméra ne quitte jamais Totonel. Ce qu’il voit au quotidien, nous le voyons aussi, au risque d’être confrontés à des plans inconvenants mais que l’on devine nécessaires pour rendre compte de la violence de la situation. Les trois enfants vivent dans un appartement délabré, que les deux sœurs nettoient fréquemment dans l’espoir du retour de leur mère. En vain puisqu’il est réinvesti à la nuit tombée par les oncles héroïnomanes qui transforment le lieu en salle de shoot, ne faisant guère attention à la présence du jeune garçon qui essaie de trouver le sommeil sur un coin du lit. On retrouve l’enfant assoupi à l’école le lendemain matin, puis en visite à sa mère en prison. Ensuite la benjamine assiste au jugement de sa sœur aînée accusée de trafic de stupéfiants elle aussi. Pour finir à l’orphelinat qui accueillera Totonel et sa sœur Andreea. Des institutions qui se présentent à nous dans le montage comme autant de lieux d’enfermement différents, le réalisateur prenant le soin de laisser hors-champ la représentation de l’autorité roumaine (les seules images de policiers étant celles des policiers filmant eux-mêmes l’intervention au domicile de Toto).
Totonel vagabond ne semble être chez lui nulle part. Cette idée nous conduit directement au climax insoupçonné du film où il trouvera refuge lors d’une compétition de hip-hop (qu’il remporte). De l’espoir que représente la danse à ses yeux jaillit cette petite lumière au milieu du chaos, permettant au documentaire de s’extirper de la noirceur la plus totale. Le film nous percute de plein fouet par son optimisme jaillissant d’une situation que l’on croyait alors perdue.
Nanau saisit à la perfection la forte personnalité du garçon et son mouvement perpétuel vers l’avant, l’érigeant malgré lui en représentant de cette joie de vivre si caractéristique de l’enfance. Le film devient un hommage magnifique à leur force de vie ainsi qu’à tous ceux qui croient en eux. Par des petites attentions saisies ici et là, le réalisateur souligne l’étonnante douceur de Toto envers son entourage et la manière dont il renoue avec le monde des adultes. Si l’on comprend vite au détour d’une scène déchirante que la sœur aînée Ana est condamnée à l’inévitable, c’est bien des moments partagées par Toto et sa sœur Andreea que naît l’émouvante poésie du film. Lors de l’une de ces scènes, la neige a recouvert la ville tel un voile de pureté. Le frère et la sœur jouent, et cette dernière s’exclame : « Ah, ça fait du bien ! » Cinq mots libérateurs prononcés en tombant sur le matelas neigeux, offrant l’espace d’un instant l’espoir d’un futur positif porté par leur amour qui leur permettra d’avancer ensemble. Une preuve qu’à force de détermination on peut réussir à sortir des sillons tout tracés.
ll aura fallu à Alexander Nanau beaucoup de talent pour nous offrir les meilleurs cadres, le plus juste découpage, et avoir su capter la toute puissante dramaturgie naissant sous ses yeux. Mais aussi pour avoir su apprivoiser ces enfants fuyants. Et qui sait, par leur rencontre, avoir pu leur permettre d’éviter le chemin qui leur semblait tout tracé, sur lequel se sont perdus leur mère et leur grande sœur.
Il est de ces documentaires qui vous saisissent pour ne vous lâcher qu’à leur toute fin. Au début, vous ne comprenez pas trop où ils vous emmènent, mais lorsque vous en avez finis avec eux, vous saisissez alors toute l’importance du chemin parcouru, surtout lorsqu’il a été effectué avec autant d’intelligence et de sensibilité. Vous dire qu’il faut du temps avant de pouvoir quitter Toto et ses sœurs serait un euphémisme tant la décharge émotionnelle perçue tout le long de la projection résonne longtemps après la fin de la séance, laissant sa durable empreinte optimiste.
La fiche
TOTO ET SES SOEURS
Réalisé par Alexander Nanau
Roumanie – Documentaire
Sortie : 6 janvier 2016
Durée : 94 min